dimanche 27 juin 2021

L'oiseau

Louise-Amélie Panet (1789-1862)

(Source : Marcel Ducharme, Louise-Amélie
Panet, seigneuresse, artiste-peintre, poétesse

L'Assomption, Éditions Point du Jour, 2016)




   Léger petit oiseau
   Haut et bas qui voltige,
   Pose-toi donc, te dis-je. 
   Ah ! le voilà ; mais qu'il est beau
   Enfin fixé sur cette tige !

   Ton œil est un grenat.
   Plutôt cette parcelle
   Que couvre ta prunelle
   Qui du feu brillant a l'éclat,
   En est une vive étincelle. 

   Cesse ton mouvement,
   Oisillon, je te prie.
   J'ai la plus vive envie
   De te contempler un moment :
   Arrête ces sauts de folie !

   Il s'arrête, et son cou
   Se gonfle, et vers le faîte
   Du ciel levant la tête,
   Il semble que j'ouïs «glou-glou». 
   Va-t-il me donner une fête ?

   Oui, j'entends ses accents.
   Un sonore ramage
   Remplit le frais bocage ;
   Du flageolet aux sons perçants
   Il imite au vrai le sifflage.

   Il change de couplet,
   Lentement il roucoule.
   Tous doux sa note roule,
   Semblable au bruit qui tant me plaît
   D'un humble ruisseau qui s'écoule.

   Écoutons quels roulis
   Dans l'air se font entendre !
   Quels sons joyeux et tendres !
   Par mille aimables gazouillis,
   Son cœur paraît vouloir s'épandre.

   Sous de prochains buissons,
   Sa compagne chérie
   Comprend sa voix amie
   Et couve mieux ses nourrissons
   Qui forment leur fortune unie. 

   Ô doux êtres ailés,
   Vos chants, votre parure,
   Font aimer la nature.
   Dans mes bosquets, en paix, volez, 
   Et trouvez-y votre pâture. 
   
   Ah ! quand le souvenir
   Du temps passé m'agite, 
   M'enivre ou bien m'irrite,
   Poussez-moi vos cris de plaisir,
   Afin que le souci me quitte. 

           Louise-Amélie Panet (vers 1841)



Tiré de : Yolande Grisé et Jeanne d'Arc Lortie, s.c.o., Les textes poétiques du Canada français, volume 4, Montréal, Fides, 1991, p. 417-419. Le poème est préalablement paru de façon posthume dans la revue La Kermesse, Québec, 25 novembre 1892 (voir ci-dessous).

*  Louise-Amélie Panet est née à Québec, de Pierre-Louis Panet, notaire, et de Marie-Anne Cerré. Après son cours primaire chez les Ursulines, à Québec, elle termina en 1801 ses études chez les Dames de la Congrégation, à Montréal. En 1808, elle fréquenta l'atelier de William von Berczy et sa famille, et réalisa trois portraits qui marquèrent le début de sa carrière d'artiste-peintre. Elle s'intéressa aussi aux Lettres, ses premiers poèmes connus ayant été rédigés en 1812. Elle rédigea par la suite de nombreux autres poèmes. 
   Le 27 septembre 1819, elle épousa William Bent Berczy à la cathédrale anglicane de Montréal. Elle s'établit dès lors avec son époux à Windsor (Ontario). À la mort de sa mère, en 1828, le couple emménage au manoir d'Ailleboust, à Sainte-Mélanie, qui avait été construit par son père décédé en 1812. Elle devint alors seigneuresse. 
   Louise-Amélie Panet est morte au manoir d'Ailleboust le 24 mars 1862. Elle repose au cimetière de Sainte-Mélanie. Elle était la tante de Charles Lévesque, le tout premier poète présenté par les Poésies québécoises oubliées, et de Guillaume Lévesque, qui prit part aux luttes des Patriotes de 1837 et fut condamné à l'exil, et dont les Poésies québécoises oubliées ont présenté le poème La feuille au vent ou l'exil.
(Sources : Marcel Ducharme, Louise-Amélie Panet, seigneuresse, artiste-peintre, poétesse, L'Assomption, éditions Point du jour, 2016 ; Louise-Amélie Panet, Quelques traits particuliers aux saisons du Bas-Canada et aux mœurs des habitants de ses campagnes il y a quarante ans, mis en vers, texte édité par Roger Lemoine, Ottawa, Les Éditions David, 2000).

De Louise-Amélie Panet, les Poésies québécoises oubliées ont également présenté : Description d'un orage (cliquer sur le titre).


Le poème L'oiseau, de Louise-Amélie Panet,
est tiré du volume quatrième des Textes
poétiques du Canada français
.

(Cliquer sur l'image pour l'élargir)


Le poème L'oiseau est préalablement paru de façon
posthume dans la revue La Kermesse, de Québec, 
le 25 novembre 1892, dans un article sur Louise-
Amélie Panet. Pour consulter cet article, cliquer 
sur cette image :


Un intéressante biographie de Louise-Amélie Panet
 et signée Charles Ducharme, est parue aux éditions
Point du jour en 2016, au sujet de Louise-Amélie
Panet. Pour en savoir savoir plus sur cet enrichissant
 ouvrage consacré à la première femme de lettres
connue du Québec, cliquer ICI.

(Cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Entre 1836 et 1839, Louise-Amélie Panet
a composé un long poème, intitulé
Quelques traits particuliers aux saisons
 du Bas-Canada et aux  mœurs des
habitants de ses campagnes. 
Cette
oeuvre est parue pour la première fois
en 2000. Pour plus d'informations sur
ce volume que l'on peut encore se
procurer en librairie cliquer ICI.

(Cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Le manoir d'Ailleboust, à Sainte-Mélanie, dans Lanaudière,
où vécut et mourut Louise-Amélie Panet.

(Source : Montrealbb)

Monument funéraire de Louise-Amélie Panet au
cimetière de Sainte-Mélanie, dans Lanaudière.

(Source : Find-a-Grave)


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mercredi 23 juin 2021

La fête nationale

Dévoilement de la statue de Lévis sur la façade du Parlement de Québec,
 le 23 juin 1896, à l'occasion de l'inauguration des festivités de la Saint-
Jean-Baptiste du lendemain, 24 juin. L'œuvre (voir sous le poème)
a été conçue par le sculpteur Philippe Hébert)

(Source : Musée de la civilisation du Québec ;
archives du Séminaire de Québec.
Cliquer sur l'image pour l'élargir) 



                 La Saint-Jean-Baptiste

   Vingt-quatre juin ! Salut ! ― Ô fête solennelle !
   Apporte dans nos cœurs l'amitié fraternelle,
   Ce sentiment si beau qu'on le dit surhumain !
   Retardez votre cours, heures patriotiques !
   Laissez-nous savourer les plaisirs pacifiques
             Dont vous semez votre chemin !

   Le soleil radieux, comme un puissant génie,
   Répand à flots vermeils le jour et l'harmonie ;
   Il féconde nos champs de ses subtils rayons ;
   Il dispense partout dans sa course enflammée
   La vie et l'abondance ; une brise embaumée
             S'élève de nos frais sillons.

   Notre libre drapeau flotte, au gré de la brise,
   Au sommet d'une tour, au clocher d'une église
   Et domine nos champs, ― resplendissants tableaux ! ―
   Sous ses replis mouvants, l'enthousiaste foule
   Se rallie et se presse, ensuite se déroule
             Ondulante comme les flots !

   Tous les cœurs sont émus par la même pensée.
   Voyez se réunir cette foule empressée.
   Elle confond ensemble, en ce jour patronal,
   Au seuil du temple saint où souvent elle prie,
   L'amour du Tout-Puissant, l'amour de la patrie,
             Dans le devoir national ! 

   Du ciel où vous vivez, de ces célestes dômes,
   Esprits de nos aïeux, ô bien-aimés fantômes,
             Venez contemplez vos enfants.
   Dans le ravissement leur âme se déploie ;
   Leur chère liberté, le bonheur et la joie
             Brillent sur leurs fronts triomphants !

   Voyez qu'elle sied bien à leur tête ennoblie,
   La couronne de fleurs que vous avez cueillie, 
             La couronne de liberté ! 
   Ils ne l'ont pas flétri, ce lys emblématique ;
   Mais ils l'ont cultivé de leur main héroïque
             Comme on cultive un fruit d'été !

                                    Léon Lorrain (1890)



Tiré de : Léon Lorrain, Les fleurs poétiques, Montréal, C. O. Beauchemin & Fils Libraires-Imprimeurs, 1890, p. 157-160.

Pour en savoir plus sur Léon Lorrain, voyez la notice biographique et les documents sous son poème La chapelle isolée (cliquer sur le titre).

De Léon Lorrain, les Poésies québécoises oubliées ont également présenté : Le fat.


Léon Lorrain (1855-1892)

(Source : revue Le Glaneur, septembre 1892)

Le poème La fête nationale, ci-haut, est tiré 
des Fleurs poétiques, recueil de Léon Lorrain.

(Cliquer sur l'image pour l'élargir)

La statue de Lévis sur la façade du Parlement de Québec a été dévoilée le
23 juin 1896, lors d'une imposante cérémonie inaugurant les festivités de
la Saint-Jean-Baptiste, et dont la photo ornant le poème La fête nationale
ci-haut a croqué un instant. 

(Source de la photo et du texte : Pierre-Georges Roy, Les monuments 
commémoratifs
dans la province de Québec, tome 1, Québec, 1923,
p. 71-73. Cliquer sur l'image pour l'élargir)


Le général de Lévis brisant sa légendaire épée et faisant
brûler les drapeaux régimentaires à l'île Sainte-Hélène afin 
qu'ils ne soient pas livrés aux Anglais (œuvre de Joseph-
Charles Franchère, 1918). Voyez le poème L'épée de Lévis
d'Émery Desrochesen cliquant sur cette image : 


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lundi 21 juin 2021

À la mémoire de Georges Turcotte

Georges Turcotte (1850-1938), portier durant 72 ans au Séminaire de Québec.

(Sources : Georges Turcotte : Musée de la civilisation du Québec,
archives du Séminaire de Québec. Entrée du Séminaire : BANQ)





          Vir fidelis... (L'homme fidèle)

   « Georges ! » ― Recueillons-nous, émus, sur cette tombe : 
   Georges, ce grand ami des écoliers, n'est plus !
   Comme pour le vieil orme* épuisé qui succombe,
   Ses jours, la même année, ont été révolus. 

   Ayant rivé son cœur au cœur du Séminaire,
   Et, près d'un siècle, vu l'immense défilé 
   Des enfants devenus presque des centenaires,
   Il restera, là-haut, son serviteur zélé. 

   Georges, dormez en paix, vous qui fûtes le père
   Accueillant, secourable et dévoué toujours,
   De ceux qui, chaque année, entrant au Séminaire,
   Vous retrouvaient au seuil de leur nouveau séjour !

   Dormez en paix ! Nos cœurs ont gardé souvenance
   De vos fortes vertus, et leur fidélité
   Surgira du sillon gonflé par la semence
   De vos bienfaits grandis par votre humilité...

   Pour qu'auprès de sa Mère enfin Dieu vous convie,
   Voyez les chapelets glisser entre nos doigts :
   Vous les aviez montés en invoquant Marie...
   Vers Elle c'est pour vous que s'élèvent nos voix.

                                         Arthur Lacasse (1938)




Tiré de : Abbé Arthur Lacasse, L'Heure du souvenir, Québec, 1945, p. 207-207.

* Il s'agit du fameux orme, disparu en 1940 mais gravement endommagé par la foudre peu avant la mort de Georges Turcotte en juillet 1938, qui ombrageait la « cour des petits », au Séminaire. Il y a une symbolique forte dans le fait que ce vieil orme légendaire dans l'histoire du Séminaire ait été foudroyé l'été même où le vieux portier tout aussi légendaire, Georges Turcotte, est décédé, et ce, d'autant plus que l'orme était tout jeune et petit lorsque M. Turcotte avait commencé à travailler pour le Séminaire. 

   Né à Saint-Jean-de-l'île-d'Orléans le 31 décembre 1850, de Basile Turcotte et de Séraphine Royer Georges Turcotte a été de 1866 au jour précédent sa mort, le 28 juillet 1938, soit durant plus de soixante-douze ans, portier du Séminaire de Québec. Il a ainsi été connu de générations d'élèves de cette importante institution d'enseignement pour la formation des élites canadiennes-françaises du temps. Bien qu'occupant une fonction modeste, M. Turcotte a été une figure marquante de son époque, comme en témoignent les articles publiés dans tous les importants journaux du Québec à l'occasion de son décès, et dont on peut lire certains ci-dessous. Il avait épousé Célina Lacombe à Québec le 9 juin 1874. Il a été inhumé au cimetière Saint-Charles de Québec.
   Dans son livre consacré au manoir Mauvide-Genest de Saint-Jean-de-l'île-d'Orléans, Guy Turcotte cite les archives du Séminaire de Québec au sujet de Georges Turcotte : « Les lunettes sur le bout du nez, rien ne lui échappe. Plus qu'un simple portier, il recolle les chaussures, répare les chapelets cassés et répond aux demandes des écoliers ». Guy Turcotte cite également la revue Cap-aux-Diamants : « L'humble portique du portier ― ou du concierge, comme la coutume veut qu'on le désigne au Séminaire ― est immuable. C'est une indispensable voie d'entrée et de sortie de l'institution. Le concierge, surveillant les allées et venues, est au courant de ce qui se trame dans le Séminaire ». 
(Sources : Jean-Marie Turgeon, Les vendredis de l'oncle Gaspard, Québec, 1944, p. 175-179 ; Guy Turcotte, Plus de 100 ans au manoir Mauvide-Genest à Saint-Jean-de-l'île-d'Orléans, Québec, Les Éditions GID, 2016, p. 66-67 ; Le Devoir, 29 juillet 1938 ; Le Soleil, 29 juillet 1938). 


Pour en savoir plus sur Arthur Lacasse, auteur du poème ci-haut, voyez la notice biographique et les documents sous son poème L'épidémie du vaccin à Québec (cliquer sur le titre). 

D'Arthur Lacasse, les Poésies québécoises oubliées ont également présenté : Paysage nocturne ; À la mémoire de Pamphile Le May


À la mémoire de Georges Turcotte, ci-haut, 
est tiré de L'Heure du souvenir, recueil de
l'abbé Arthur Lacasse. 

(Cliquer sur l'image pour l'élargir)

Le légendaire orme de la « cour des petits » du Séminaire de Québec. À 
ses débuts comme portier du Séminaire, en 1866, Georges Turcotte a vu cet
arbre au début de sa croissance. La foudre l'a gravement endommagé
quelques semaines avant la mort de M. Turcotte, à l'été 1938. L'arbre a
 finalement été abattu en 1940. Le début du poème ci-haut de l'abbé 

Arthur Lacasse fait mention de cet orme longtemps attaché aux
souvenirs du Séminaire de Québec.

(Source : Musée de la civilisation du Québec ; 
archives du Séminaire de Québec)


Pour en savoir plus sur Georges Turcotte, voyez 
 le chapitre que lui a consacré Jean-Marie Turgeon,
ancien élève au Séminaire de Québec, dans son 
livre Les vendredis de l'oncle Gaspard, paru en 
1944. Turgeon a eu une carrière de journaliste.
 Cliquer sur l'image pour y accéder :


Georges Turcotte dans la « cour des petits » du 
Séminaire de Québec le 20 mars 1916, jour de
ses cinquante ans de service.

(Source : Musée de la civilisation du Québec ;
archives du Séminaire de Québec.
Cliquer sur l'image pour l'élargir)

Georges Turcotte dans la « cour des petits » du 
Séminaire de Québec le 20 mars 1916, jour de
ses cinquante ans de service.

(Source : Musée de la civilisation du Québec ;
archives du Séminaire de Québec.
Cliquer sur l'image pour l'élargir)

Georges Turcotte (1850-1938)

(Source : Musée de la civilisation du Québec ;
archives du Séminaire de Québec.
Cliquer sur l'image pour l'élargir)

Georges Turcotte et sa famille.

(Source : Musée de la civilisation du Québec ;
archives du Séminaire de Québec.
Cliquer sur l'image pour l'élargir)

Le Séminaire de Québec attribuait un « Prix Georges-Turcotte » lors des
cérémonies de fin d'année scolaire. La remise du prix mentionnée par cet
extrait d'un article du Soleil du 15 juin 1938 eut lieu quelques semaines
à peine avant le décès de Georges Turcotte.

(Source : BANQ)

Le Devoir, 29 juillet 1938.

(Source : BANQ ; cliquer sur l'image pour l'élargir)

Le Devoir, 30 juillet 1938.

(Source : BANQ ; cliquer sur l'image pour l'élargir)

Le Soleil, 29 juillet 1938.

(Source : BANQ ; cliquer sur l'image pour l'élargir)

Le Petit journal, 31 juillet 1938.

(Source : BANQ ; cliquer sur l'image pour l'agrandir)

L'Action catholique, 1er août 1938. L'article se poursuit avec les noms de centaines de personnes,
dont plusieurs notables, ayant assisté aux funérailles à la Basilique de Québec.

(Source : BANQ ; cliquer sur l'image pour l'élargir)


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vendredi 18 juin 2021

Désespérance romantique

Alfred DesRochers (1901-1978)

(Source : Revue de Bibliothèque et Archives nationales du Québec, no 4, 2012)




   Puisque l'amitié flanche et puisque l'amour ment,
   Puisque toute espérance est un vil boniment,
   Plus menteur que celui qu'à la porte des tentes
   Débite le paillasse en phrases éclatantes,
   Sans chercher plus longtemps un asile non-sûr
   Dans ce hangar branlant qu'on nomme le futur,
   Par une aube de juin au temps de pleine lune,
   Je fuirai la cité dont le bruit m'importune.

   Je partirai, furtif, dès le petit matin,
   À l'heure où le soleil rôde encore incertain,
   Derrière l'amas bleu des lointaines collines
   Que la lune revêt de blanches mousselines ;
   Je partirai, furtif, et le regard tendu
   Vers quelque bourg du nord, à l'horizon, perdu
   Parmi de hauts sommets dont on ne voit les cimes,
   Pour que la nuit, stagnante encore aux lieux intimes,
   Me cèle la beauté fautive des objets
   Qu'en mon amour naïf naguère j'hébergeais. 

   Je ne veux pas revoir cette branche de lierre
   Qui s'enroule à l'entour du vieux siège de pierre,
   Auprès de la tonnelle, au milieu du jardin ; 
   Car malgré ma rancœur et malgré son dédain
   Dont la douleur cuisante à mon orgueil persiste,
   Je sais mon cœur trop faible, hélas ! pour qu'il résiste
   À l'énervant appel du flasque souvenir.

   Je veux quitter ces lieux pour n'y plus revenir ! 

   Je m'en irai d'un pas effaré, dans la rue
   Dont la longueur sera par le silence accrue ;
   Mais quand ma marche aura dépassé les remparts,
   Je secouerai mes pieds enivrés de départs,
   Pour ne pas emporter avec moi la poussière
   Des sites où mon cœur, dans l'ivresse première
   D'un serrement de main ou d'un vol de baiser,
   Sentit germer en lui le rêve inapaisé. 

   Plus tard, lorsque le jour contempteur des aurores,
   Avec un giclement de rais multicolores, 
   Hissera son front fauve au-dessus des monts bleus,
   Je lancerai ma blouse au talus rocailleux ;
   Je me dévêtirai la poitrine et le torse ;
   Au soleil j'offrirai ma jeunesse et ma force,
   Et les muscles puissants et souples de ma chair,
   Pour que son poids, croulant sur moi d'un zénith clair,
   Qui tarit les ruisseaux au sortir de leur source,
   Alourdisse mon corps nerveux durant sa course,
   Comme il appesantit les fleurs de sureaux blancs.

   Tout mon être au soleil, je veux marcher longtemps,
   Sans même détourner la tête aux railleries
   Des fermières, baillant au seuil des laiteries,
   Ou des filles cueillant des fraises dans les champs : 
   J'ai trop connu combien les hommes sont méchants
   Pour qu'une cruauté nouvelle ne m'émeuve. 

   Ce que je veux subir, c'est une douleur neuve :
   Je veux savoir les maux physiques, et l'effroi
   De voir les chiens rageurs aboyer contre moi ;
   Je veux connaître enfin la fatigue des membres,
   Ne plus humer l'odeur capiteuse des chambres
   Où se meurt une rose auprès de fards séchés ;
   Je veux vivre la vie âpre des DesRochers,
   L'existence remplie et dure des ancêtres,
   Qui tout le jour ployés à leurs travaux champêtres,
   S'endormaient, quand venait l'obscurité, si las
   Que la foudre éclatant ne les éveillait pas ! 

   Je veux marcher longtemps ! Je verrai roussir l'herbe, 
   Les roses se faner aux rosiers de Viterbe,
   Qui s'allongent en haies au devant des maisons.

   Mes souliers éculés rongeront mes talons ;
   Je sentirai la faim atroce, la fringale
   Affaiblir mes genoux sous la lumière égale
   D'un soleil implacable et fort comme la mort, 
   Mais sans fléchir, j'irai quand même, vers le nord !
   
   Je verrai, quand viendra sur moi le crépuscule
   De ce jour violemment brûlé de canicule,
   Le soleil s'abîmer derrière les grands monts,
   Dans une mer de cuivre et d'or en fusions.
   Ma vigueur du matin ne sera plus qu'une ombre
   Perdue alors, comme tant d'autres, dans le nombre
   Des ombres que le soir allonge sur le sol,
   Et j'irai chancelant, comme soûlé d'alcool,
   Tant la fatigue aura mis en moi de faiblesse,
   Quand le but aperçu fouettera ma détresse.

   Alors, réunissant dans un suprême effort,
   Comme une troupe se rallie autour d'un fort,
   Toute ma force éparse encore inépuisée,
   Je courberai plus bas mon échine lassée
   Et j'escaladerai la montagne, où surgit,
   Sur le dernier fond d'or du couchant aminci, 
   Le bourg que je visais en partant de la ville,
   Dégoûté des humains et de leur clameur vile. 

   Et je m'écroulerai dans la fougère, alors. 
   Mais avant qu'un sommeil aussi lourd que mon corps
   Abolisse la gloire âpre du paysage, 
   Couché sur le flanc droit, du foin sur le visage,
   Sans m'apercevoir même en mon néant qu'il soit
   Des branches de bois mort et des cailloux sous moi,
   Encore conscient, j'aurai cette minute
   Unique de sentir en mon âme de brute
   S'infiltrer, remplaçant la mémoire et l'espoir, 
   La blancheur de la lune et le calme du soir. 

                                     Alfred DesRochers (1929)



Tiré de : Alfred DesRochers, À l'ombre de l'Orford, Montréal, Librairie d'Action canadienne-française, 1930, p. 17-22.

Pour en savoir plus sur Alfred DesRochers, voyez la notice biographique et les documents sous son poème Ode au soleil d'hiver (cliquer sur le titre).

D'Alfred DesRochers, les Poésies québécoises oubliées ont également présenté : Je suis un fils déchu et Hymne au vent du Nord (cliquer sur les titres).


Le poème Désespérance romantique, ci-haut, est 
tiré du recueil À l'ombre de l'Orford, d'Alfred
DesRochers. Cliquer ICI pour se procurer cette
œuvre majeure de la littérature québécoise.


Deux ans avant son décès, Alfred DesRochers donna 
ce qui allait devenir sa dernière grande entrevue, 
parue dans La Presse du 23 octobre 1976. Pour
en prendre connaissance, cliquer sur cette image :



Le 20 avril 1954, dans la grande salle de l'hôtel 
Ritz-Carlton, à Montréal, Alfred DesRochers donna
une importance conférence sur la poésie canadienne-
française. Pour prendre connaissance du texte de 
cette allocution, cliquer sur cette image : 


Alfred DesRochers à l'époque où il
publia À l'ombre de l'Orford

(Photo : La Tribune, 29 novembre 1930)

Dédicace manuscrite d'Alfred DesRochers dans son recueil
Le retour de Titus, paru en 1963. DesRochers a daté de 1936
sa dédicace, probablement pour marquer, 
dans une manière 
de facétie, le fait que les vers inclus dans ce volume ont été
composés en 1936 (36 étant l'inversion de 63).

(Collection Daniel Laprès ;
cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Alfred DesRochers en compagnie de Philippe Panneton
alias « Ringuet », auteur du roman Trente arpents.

(Source : revue Lectures, mai 1953) 


Alfred DesRochers posant en 1953 avec son épouse Rose-Alma Breault à
Claire-Fontaine, résidence de leur amie l'écrivaine animatrice de télévision
  Françoise Gaudet-Smet. Claire-Fontaine est situé à Saint-Sylvère,
dans la région de Bécancour. Sur cette résidence et celle qui l'habitait,
voyez une intéressante vidéo ICI.

(Source inconnue ; cliquer sur l'image pour l'élargir)

Le 18 novembre 1966, vingt-cinquième anniversaire de la mort du poète
Émile Nelligan, Alfred DesRochers eut l'honneur de procéder au dévoilement
de la stèle ornant sa tombe au cimetière Notre-Dame-des-Neiges, à Montréal.
Au cours de l'imposante cérémonie, DesRochers a également dit le célèbre
poème de Nelligan, Le vaisseau d'or. Le médaillon sur la stèle est une 
œuvre du sculpteur et poète Alonzo Cinq-Mars, dont les Poésies québécoises
 oubliées
ont publié Illusion et Homère en balade à Québec. À droite de
DesRochers, légèrement en arrière-plan, le comédien Albert Millaire, qui 
lui aussi prit part à la cérémonie en lisant un texte.

(Source : BANQ ; cliquer sur l'image pour l'élargir)

La Presse, 19 novembre 1966.

(Source : BANQ ; cliquer sur l'article pour l'élargir)

Alfred DesRochers en octobre 1976,
deux ans avant son décès.

(Source : BANQ ; cliquer
sur l'image pour l'élargir)

Monument funéraire d'Alfred DesRochers à Saint-Élie-d'Orford.

(Photo : Daniel Laprès, juillet 2918 ; cliquer sur l'image pour l'élargir)


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