vendredi 10 juillet 2020

Description d'un orage

Louise-Amélie Panet (1789-1862)

(Source : Marcel Ducharme, Louise-Amélie
Panet, seigneuresse, artiste peintre, poétesse
,
L'Assomption, éditions Point du Jour, 2016)




   Que le spectacle est grand que donnent les orages !
   Des jours chauds de juillet les puissantes ardeurs
   Ayant pompé du sol les dernières vapeurs, 
   On voit s'amonceler nuages sur nuages.
   Leur ténébreuse masse, à la merci des vents,
   Vole en fiers tourbillons et se heurte en tout sens
   Au fond de cette nue à la couleur de cuivre,
   Dont à peine l'on peut la course suivre.

   La foudre, se cachant, retient longtemps ses feux.
   Rien ne l'annonce encor qu'un bruit lointain qui roule
   Dans l'espace des airs. Bientôt en gouttes coule
   Sur l'aride terrain une eau venant des cieux.

   L'homme a le cœur saisi. Dans un morne silence,
   Sinistre météore, éblouissant ruban,
             Un instant passe et l'atmosphère
             Tremble sous les coups du tonnerre.
             Les vents refoulent vers la terre. 
   Là rasent en furie et découvrent le toit 
   De ce pauvre taudis de la veuve éplorée,
   Ajoutant sans remords à ces maux de surcroît,
   Des colonnes de sable atteignent l'Éthérée,
   Et dans sa rage l'air fait d'affreux sifflements
   Qu'il change en plaintes, en cris, en sombres hurlements.

             Voici de nouveau la lumière  !
             Elle se fourche, réverbère. 
   Et le ciel retentit du plus terrible son
   Que répète la nue et redit le vallon. 
   Prélude d'un déluge en plein dans sa carrière,
   Le firmament parait tomber foudre sur nous.

   Quel horrible chaos ! L'impétueuse pluie
   Sur la terre s'abat, la fouette avec furie,
   Par bonds dessus, l'obstacle y redouble ses coups,
             Et la claire eau, tendre fluide,
   Dans son ire n'est plus qu'un effrayant liquide
   Qui frappe chaque objet comme un fléau solide. 
   Opulentes moissons, lui résisterez-vous ?
             Ah, non, votre épi dans sa rage
             Elle foule, écrase et saccage,
   Le mêle en le souillant avec un noir limon,
   Amalgame hideux qui n'eut jamais de nom.

   Et vous aimables fleurs, ô charme de la vue ! 
   Dans un clin d’œil, ces cruels attentats
   Ont meurtri, lacéré, vos membres délicats ; 
   En vain l'on cherche, hélas, votre beauté perdue, 
   Vous n'êtes plus pour nous que l'emblème d'un bien
   Trop promptement passé, dont il ne reste rien.

   La rivière s'accroît, le fleuve est hors de rive, 
             Le ruisseau devient un torrent,
   L'eau gonfle, se rejoint, forme un violent courant
             Et tout flotte, et tout dérive,
   De la confusion, image la plus vive. 

   Enfin, l'averse cesse, on se livre à l'espoir, 
   Dans la voûte des cieux l'azur se laisse voir.
             On respire, on est hors d'atteinte, 
   Puisqu'elle montre encor sa plus douce couleur. 
             Au loin s'ensuit la pâle crainte
             Et la despotique terreur.

   Chaque être fait ce cri : la tempête est cessée ! 
             Quand, aussi prompt que la pensée, 
             Le ciel s'ouvre par le milieu
             Et darde en traître sa fusée ! 
             Quel bruit se fait entendre, ô Dieu ! 
             Quel détonement formidable !
             Quelle décharge épouvantable  !
             L'air se déchire, ah, quels éclats ! 
             Quel effroi ! Quel affreux fracas !
             L'on croule sous ses propres pas. 
   Seigneur ! tout va périr, maître de la nature, 
   Grâce ! Faites donc grâce à votre créature !

             Le calme naît, l'orage fuit,
             Ce pacte ancien, signe de joie,
             L'arc aux sept couleurs se déploie :
   Tout reparaît sortant de son réduit
   Et se répand allègre sur la voie. 
   Du soleil les rayons recolorent le jour,
             Embellissant tout l'alentour.
   Le vert le plus brillant, d'une teinte charmante
   Découvre les bosquets, revernit les coteaux,
   Un liquide perle orne tous les rameaux,
             À chaque feuille est vacillante.
   Sur la branche, l'oiseau recommence à siffler ;
   Il essaye son aile et veut déjà voler...

   Mais le regard recherche. On voit l'onde grossie
   Dans un profond sillon faire un nouveau chemin,
   D'un vieillard solitaire il loupe le jardin, 
   Seul bien qui lui restait, seul plaisir de sa vie, 
             Le champ de grain est haché,
             L'arbre à fruit est arraché !
   Que de travaux perdus ! de peines inutiles !
   Recueillez-vous, hélas, le prix de vos sueurs,
             Quand la tempête rend stériles
             Vos campagnes, ô laboureurs ?

   Un orme s'élevait orgueilleux sur la plaine,
   Son tronc vieux de cent ans portait sa tête hautaine, 
   Ses bras noueux, courbés vers la terre, s'abaissaient,
   En guirlandes tombant ses feuilles la baisaient.
             Son heure de gloire est passée,
   La foudre l'a détruit, élément destructeur ! 
   Du pied jusqu'au sommet son écorce est froissée,
             Sa noble cime est renversée. 
   Des puissantes brebis cherchant dans leur frayeur
             Un asile contre l'orage,
             Crurent l'avoir sous son ombrage. 
             Et l'éclair parmi le troupeau
             Choisit la mère et son agneau !
             Pauvre petit couché près d'elle,
             Il paraît doucement dormir
             En reposant sur sa mamelle ;
   Pour eux tout est fini ! Plus de joie à venir ! 

   ...Oh, fuyez loin de nous, tempêtes si terribles,
             Redoutables pour tous les seins,
   Fuyez, disparaissez et que des jours sereins
   Nous amènent des nuits paisibles.

                   Louise-Amélie Panet*
(3 août 1841)



Tiré de : Marcel Ducharme, Louise-Amélie Panet, seigneuresse, artiste-peintre, poétesse, L'Assomption, éditions Point du jour, 2016, p. 150-152.

*  Louise-Amélie Panet est née à Québec, de Pierre-Louis Panet, notaire, et de Marie-Anne Cerré. Après son cours primaire chez les Ursulines, à Québec, elle termina en 1801 ses études chez les Dames de la Congrégation, à Montréal. En 1808, elle fréquenta l'atelier de William von Berczy et sa famille, et réalisa trois portraits qui marquèrent le début de sa carrière d'artiste-peintre. Elle s'intéressa aussi aux Lettres, ses premiers poèmes connus ayant été rédigés en 1812. Elle rédigea par la suite de nombreux autres poèmes. 
   Le 27 septembre 1819, elle épousa William Bent Berczy à la cathédrale anglicane de Montréal. Elle s'établit dès lors avec son époux à Windsor (Ontario). À la mort de sa mère, en 1828, le couple emménage au manoir d'Ailleboust, à Sainte-Mélanie, qui avait été construit par son père décédé en 1812. Elle devint alors seigneuresse. 
   Louise-Amélie Panet est morte au manoir d'Ailleboust le 24 mars 1862. Elle repose au cimetière de Sainte-Mélanie. Elle était la tante de Charles Lévesque, le tout premier poète présenté par les Poésies québécoises oubliées
(Sources : Marcel Ducharme, Louise-Amélie Panet, seigneuresse, artiste-peintre, poétesse, L'Assomption, éditions Point du jour, 2016 ; Louise-Amélie Panet, Quelques traits particuliers aux saisons du Bas-Canada et aux mœurs des habitants de ses campagnes il y a quarante ans, mis en vers, texte édité par Roger Lemoine, Ottawa, Les Éditions David, 2000).


Le poème Description d'un orage, ci-haut, est tiré
de l'ouvrage biographique de Charles Ducharme,
paru aux éditions Point du jour en 2016. Pour en
savoir plus sur cet enrichissant ouvrage consacré
à la première femme de lettres connue du Québec,
 cliquer ICI.

(Cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Entre 1836 et 1839, Louise-Amélie Panet
a composé un long poème, intitulé
Quelques traits particuliers aux saisons
 du Bas-Canada et aux  mœurs des
habitants de ses campagnes.
Cette
oeuvre est parue pour la première fois
en 2000. Pour plus d'informations sur
ce volume que l'on peut encore se
procurer en librairie cliquer ICI.

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Le manoir d'Ailleboust, à Sainte-Mélanie, dans Lanaudière,
où vécut et mourut Louise-Amélie Panet.

(Source : Montrealbb)

Monument funéraire de Louise-Amélie Panet au
cimetière de Sainte-Mélanie, dans Lanaudière.

(Source : Find-a-Grave)


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