mardi 26 juillet 2022

Fécondité

Jean-Louis Guay (1903-1932)

(Photo : courtoisie de Madeleine
Guay, sa petite-nièce)




   Suis-moi sur la colline où l'horizon recule,
   Grandissant à nos yeux la campagne au repos,
   Viens contempler les champs, les bois et les troupeaux
   Avant que soient trop bas les feux du crépuscule.

   Quelque part et si loin que le regard se porte,
   Le foin a repoussé dans les prés rajeunis ;
   L'avoine et le maïs dressent leurs blonds épis,
   Et les grands blés dorés sont lourds du pain qu'ils portent. 

   La forêt étalant sa chevelure sombre
   Cache bien des trésors dans son sein plantureux ;
   Les vergers sont chargés de leurs fruits savoureux,
   Et les jardins enclos ont des teintes sans nombre.

   Les vaches en paissant remontent le pacage,
   Les moutons sont couchés sous un large sapin, 
   Les chevaux hument l'air, et sur le grand chemin
   L'étranger, attentif, les regarde au passage.

   Des toits pointus s'échappe un reste de fumée ;
   Les enfants par leurs cris troublent la paix du soir ;
   Sur le perron de bois la maman vient s'asseoir
   Et le paysan chante avec sa bien-aimée.

                                      ***
   N'est-ce pas là l'image à la fois grande et belle
   Du bonheur calme et pur et de la liberté ?
   Est-il une richesse, est-il une beauté
   Plus utile à l'amour qui veut être fidèle ?

   Comme un ruisseau limpide encor près de sa source,
   Dans ses veines porte un flot pur, abondant,
   Qui redonne l'ardeur et s'en va, débordant, 
   Monte et se renouvelle en poursuivant sa course ;

   Sentir battre son cœur quand le rêve l'enchante,
   Pouvoir ainsi choisir et suivre son chemin ; 
   Être docile et prêt à secourir la main
   Qui supplie ; être bon quand la vie est méchante ; 

   Entendre chaque soir sans son âme qui vibre
   Le refrain grave et doux du devoir accompli ; 
   Voir sa terre féconde et son cœur ennobli 
   Par la loi du travail... c'est être riche et libre !  

                                      ***
   Ami, cette richesse est ton heureux partage ;
   Par le gain qu'elle t'offre elle assure tes jours , 
   L'épouse trouve en elle un précieux secours,
   Les filles et les fils une part d'héritage. 

   La paix du soir descend sur les voiles de l'ombre
   Et sème le mystère et le rêve à la fois ; 
   La nuit donne l'éveil à de nouvelles voix,
   Au ciel vont s'incruster des diamants sans nombre...

                             Jean-Louis Guay (1928)



Tiré de : Jean-Louis Guay, Moisson de vie, Sainte-Foy, 1931, p. 97-100. 

* Jean-Louis Guay, fils d'Octave Guay et de Philomène Rouleau, est né à Saint-Adrien d'Irlande, en Chaudière-Appalaches, le 27 janvier 1903. 
   On sait très peu de choses sur la vie de ce poète, sauf qu'il a fait son cours classique au Collège de Lévis, qu'il a habité quelque temps à Saint-Hyacinthe, où il résida à la résidence des Dominicains. Il aspirait alors à devenir un prêtre membre de cette congrégation, mais il dut y renoncer parce qu'il fut atteint de tuberculose. Pour cette raison, il séjourna plusieurs années au sanatorium du Lac-Édouard, avant de mourir, à l'âge de 29 ans, le 26 juillet 1932, à l'hôpital Laval de Québec. Il a été inhumé dans le cimetière de son village natal.
   S
ouvent sous le nom de plume de « Jean d'Autun » ou « Le Pélican », Jean-Louis Guay a publié des articles et poèmes dans divers journaux et périodiques, dont le magazine La vie au grand air. Son unique recueil, Moisson de vie, dont la plupart des poèmes ont été composés durant les années où l'auteur séjournait au sanatorium du Lac-Édouard, a été publié en 1931, soit l'année précédant sa mort. On peut ICI consulter ou télécharger gratuitement le recueil. 


Pour en savoir plus sur Jean-Louis Guay, voyez les informations et documents sous ses poèmes Les Flots ; Entre deux rives ; Une ombre a passé et Il neige (cliquer sur les titres) que les Nos poésies oubliées ont également présentés.

De Jean-Louis Guay, Nos poésies oubliées ont également présenté (cliquer sur les titres): Nuages et désirs ; L'été revient ; Au cimetière ; Sans retour.


Parlant de nos poètes d'antan et oubliés, l'écrivaine Reine Malouin
(1898-1976), qui a longtemps animé la vie poétique au Québec, a 
affirmé que sans eux, « peut-être n'aurions-nous jamais très bien 
compris la valeur morale, l'angoisse, les aspirations patriotiques, 
la forte humanité de nos ancêtres, avec tout ce qu'ils ont vécu, 
souffert et pleuré ». 

Les voix de nos poètes oubliés nous sont désormais rendues. 
Le concepteur de ce carnet-web a publié l'ouvrage en deux 
tomes intitulé Nos poésies oubliées, qui présente 200 de
de nos poètes oubliés, avec pour chacun un poème, une
notice biographique et une photo ou portrait. Chaque  
tome est l'objet d'une édition unique et au tirage limité. 
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ouvrage qui constitue une véritable pièce de collection
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2 commentaires:

  1. En l'oublie la mort triomphe, la vie persite par le souvenir.

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  2. Ce récit de Jean-Louis Guay me remémore les soirées estivales de mon enfance dans les petits hameaux de mes grands-parents. Le texte me ramène aisément dans cette époque encore raccordée à ce monde qui n'habite plus notre imaginaire collectif. Du moins, c'est le cas de ma famille, qui ne se rassemble plus pour humer l'air sur les terres que nos ancêtres ont défrichées. Vive la nuit de cette belle époque !

    Napoléon Aubin

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