Homme, que viens-tu faire en ce monde barbare,
Sans fusil sur l'épaule, avec le rêve au poing,
Et ton cœur langoureux comme un son de guitare ?
Ton langage est de ceux qu'ils ne comprendront point.
Tu chercherais en vain, dans cette foule amère,
L'appui d'une âme habile à soulager ton front
Que l'on sent lourd du raisin bleu de la chimère :
S'ils ne t'ignorent pas, ils te massacreront.
Ta chanson est pareille à la source d'eau vive,
Se frayant un chemin dans le roc du vallon
Pour n'abreuver que le jonc fauve de la rive
Et que le sable étouffe au gré de l'aquilon.
Tu secoueras le rire à ta mine pâlotte.
Puis croyant voir surgir, sans plume et sans mousquet,
Le fantôme éperdu de l'ombrageux Quichotte,
Ton nom sera sifflé comme un méchant roquet.
À quoi bon dépenser ta peine et ton courage
À souffler dans un cor par les siècles rouillé ?
Roland ne hante plus l'écho du paysage
Que des festins d'hyènes ont à jamais souillé.
En vain chercherais-tu l'amour des pastorales
Dans ces hameaux de leur chaume découronnés.
Les rayons irisés des brumes vespérales
Ne s'étendent qu'au bord des nids abandonnés.
L'orage a dévasté le sol fécond des plaines,
Où la lune, en frôlant la houle des blés mûrs
Et les étangs lustrés comme des porcelaines,
Prolongeait sur nos soirs un mirage d'azur.
Fini le temps des madrigaux, des villanelles,
Des aveux chuchotés derrière un éventail ;
Les amants de Watteau, pâmés sous les tonnelles,
Sont comme les dieux morts d'un rutilant vitrail.
Mortes sont au jardin la rose et l'églantine
Sur le tombeau d'Elvire, où pleure un rossignol
Comme un suprême adieu du cœur de Lamartine.
Qu'on a tué pour en faire un grand Guignol.
Ils ont mis de la poudre aux jonctions des âmes,
En poussant sur la Tour des cris ensorcelés ;
Ils ont réduit l'Art pur en un monceau de flamme
En le crucifiant au fil des barbelés.
Tu ne peux mesurer la force de leurs armes :
Remonte la colline avec tes yeux d'enfant
Et ton cœur débordant de sagesse et de larmes
Pour engourdir ta peine aux sons de l'olifant !
Charles-E. Harpe (1949)
Tiré de : revue Littéra, vol. 1, no 2, Rimouski, novembre-décembre 1949, p. 8-9.
Pour écouter l'interprétation du poème ci-haut
par Félix Tanguay, cliquer sur cette image :
De Charles-E. Harpe, Nos poésies oubliées a également présenté (cliquer sur les titres) : L'escale ; Clair de lune ; Voix de la solitude ; Le plus bel hymne à l'orgue des vivants ; Été du ciel de mon enfance ; Guirlande aux éprouvés ; Printemps ; Chanson d'automne ; Noël pour une âme seule.
Pour en savoir plus sur Charles-E. Harpe,
cliquer sur cette illustration :
Le poème La muse noire, ci-haut, de Charles-E. Harpe, est paru dans le numéro de novembre-décembre 1949 de la revue Littéra, de Rimouski. |
Article consacré à Charles-E. Harpe dans le numéro de novembre-décembre 1949 de la revue Littéra, dans lequel est également paru le poème ci-haut. (Cliquer sur l'article pour l'élargir) |
Monument funéraire de Charles-E. Harpe à l'entrée du cimetière de Saint-Aubert-de-l'Islet, sur la Côte-du-Sud. (Photo : Daniel Laprès, août 2018) |
Parlant de nos poètes d'antan et oubliés, l'écrivaine Reine Malouin
(1898-1976), qui a longtemps animé la vie poétique au Québec, a
affirmé que sans eux, « peut-être n'aurions-nous jamais très bien
compris la valeur morale, l'angoisse, les aspirations patriotiques,
la forte humanité de nos ancêtres, avec tout ce qu'ils ont vécu,
souffert et pleuré ».
Les voix de nos poètes oubliés nous sont désormais rendues.
Le concepteur de ce carnet-web a publié l'ouvrage en deux
tomes intitulé Nos poésies oubliées, qui présente 200 de
de nos poètes oubliés, avec pour chacun un poème, une
notice biographique et une photo ou portrait. Chaque
tome est l'objet d'une édition unique et au tirage limité.
Pour connaître les modalités de commande de cet
ouvrage qui constitue une véritable pièce de collection,
cliquez sur cette image :
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire