vendredi 30 mars 2018

Le Printemps

Jean-Baptiste Caouette (1854-1922)

(Source : BANQ)




          À M. PIERRE-GEORGES ROY, DU "GLANEUR"


   Le givre a disparu. L'oiseau dans la ramée
   Exhale vers le ciel ses chants mélodieux ;
   L'aurore verse à flots sur la rose embaumée,
   Comme des perles d'or, les larmes de ses yeux. 

   C'est le printemps vermeil : la brise parfumée
   Mêle au bruit du ruisseau son murmure joyeux ; 
   Dans les bosquets en fleur, l'abeille, ranimée,
   Bourdonne en butinant le miel délicieux. 

   Ô résurrection de la grande nature !
   Doux printemps, j'aime à voir ta riante verdure
   Dérouler sur le sol son tapis de velours !

   Quand tu brilles, le front du malheureux se dresse ;
   Les coeurs, jeunes ou vieux, tressaillent d'allégresse,
   Et d'une même voix célèbrent les beaux jours ! 

                               Jean-Baptiste Caouette* (1892)


Tiré de : Jean-Baptiste Caouette, Les Voix Intimes, Québec, Imprimerie L.-J. Demers & Frère, 1892, p. 222. 

*  Fils de Germain Caouette et de Caroline Sauvial, Jean-Baptiste Caouette est né à Saint-Sauveur de Québec le 29 juillet 1854. 
   Ses études terminées, il remplit diverses fonctions au bureau de poste du quartier Saint-Roch, à Québec, avant d'en devenir le directeur, puis il est nommé archiviste du district judiciaire de Québec. Il collabora au Journal de Saint-Roch, au Réveil Littéraire, à L'Union, à la Revue canadienne et, en 1906, il devint éditeur du Journal de Noël. En 1912, il se présenta sans succès aux élections dans le comté de Québec.
   Il est l'auteur de deux romans historiques, Le Vieux muet ou un héros de Châteauguay (1901) et Une intrigante sous le règne de Frontenac (1921), de même que d'un recueil de poésies, Les voix intimes (1892).
   Jean-Baptiste Caouette est mort à Beauport le 2 août 1922. Il avait épousé, en 1884, Delphine Mathieu. 
(Sources : Dictionnaire des oeuvres littéraires du Québec, vol. 1, Montréal, éditions Fides, 1980, p. 775 ; Dictionnaire Guérin des poètes d'ici de 1606 à nos jours, Montréal, éditions Guérin, 2005, p. 230). 


Les Voix Intimes, recueil de poésies de Jean-
Baptiste Caouette d'où est tiré le sonnet Le 
Printempsci-haut. Il ne reste sur le marché 
qu'un seul exemplaire de l'édition originale, à 
très bon prix : voir ICI.

(Cliquer sur l'image pour l'agrandir) 

Jean-Baptiste Caouette, vers 1910.

(Source : BANQ)


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mardi 27 mars 2018

À un oiseau des bois

Charles E. Saunders (1867-1937)
(Source : APTH)




   Joyeux petit oiseau,
   Ta magique cadence
   Dans le sombre silence 
   Brille comme un flambeau.

   Quand les fleurs sont écloses
   Et les beaux jours venus,
   Tu ne te souviens plus
   Des mois froids et moroses.

   Ton cœur riant et gai
   Se réjouit de vivre,
   Et le bonheur t'enivre
   Dans les parfums de mai. 

   Beau messager des cieux,
   Musicien et mystère,
   Tu vois de la lumière
   Qui se cache à mes yeux. 

   Ton oreille entend bien
   La céleste musique,
   Le doux chant séraphique
   Plus tendre que le tien.

   Ermite harmonieux,
   Ton âme est confiante,
   Ta foi ferme et fervente
   En la bonté de Dieu.

   Sans nef et sans autel
   Est le bois solitaire ;
   Mais ta voix monte au ciel
   De l'arbre séculaire ;

   Et par ton chant divin,
   Comme un ancien prophète,
   Tu deviens l'interprète
   Du silence serein.

   Je voudrais comme toi
   Connaître l'espérance
   Et la parfaite foi
   De la sainte innocence.

   Je voudrais accueillir 
   Le malheur sans me plaindre,
   L'avenir sans rien craindre,
   Sans jamais défaillir.

   Mais trop triste est mon cœur ; 
   La douleur m'environne
   Et l'espoir m'abandonne
   Dans ce monde moqueur. 

   Je ne puis oublier
   Les chagrins, les tristesses
   Et les lâches faiblesses
   Pour chanter et prier. 

   Dans les lueurs funèbres
   Je cherche mon chemin,
   Et d'un pas incertain
   J'erre dans les ténèbres. 

   Aide-moi, bel oiseau,
   À monter vers les cimes
   Où les songes sublimes
   Nous arrivent d'en haut, 

   À laisser tout fardeau
   De douleur et de doute,
   Pour m'ouvrir une route
   Vers le bien et le beau.

       Charles E. Saunders (1927)


Tiré de : Charles Edward Saunders, Essais et Vers, Montréal, Les Éditions du Mercure, 1928, p. 76-78.

Pour en savoir plus sur Charles E. Saunders, cliquer ICI

Dans sa préface, Charles E. Saunders présente ainsi son recueil Essais et Vers :

« Un livre a beau être petit, il n'échappe pas à la nécessité de justifier son existence. L'auteur de ces Essais et Vers n'a pas la prétention de faire de la grande littérature. Son but est très simple. Né Canadien de race anglaise, il a été séduit à un âge plutôt avancé par le charme de la langue française qu'il a étudiée sérieusement et avec grand plaisir. En offrant au public quelques petits articles et poèmes, il désire encourager les Canadiens-anglais à approfondir leurs connaissances du français et en même temps il aimerait montrer à ses compatriotes de race française et à ses amis en France qu'il a profité de ses études faites ici et là-bas et qu'il ressent dans son cœur une véritable affection pour le peuple français et pour sa langue si souple et si harmonieuse.  C. E. S. , octobre 1927 ».

Le recueil Essais et Vers, de Charles E. Saunders, 
dans lequel est paru le poème À un oiseau des bois.
Il n'en reste que deux exemplaires connus 

sur le marché : ICI et ICI.

Dédicace manuscrite de Charles E. Saunders
dans son recueil Essais et Vers.
(Collection Daniel Laprès ; 
cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Charles E. Saunders dans son cabinet de travail.
(Source : Encyclopédie canadienne

cliquer sur l'image pour l'agrandir)

samedi 24 mars 2018

France


En hommage au lieutenant-colonel 
Arnaud Beltrame (1973-2018)




   Oui, mon pays est encore France : 
   La fougue, la verve, l'accent,
   L'âme, l'esprit, le cœur, le sang,
   Tout nous en donne l'assurance :
   La France reste toujours la France. 

   Aujourd'hui, tout comme naguère, 
   Ne sommes-nous pas, trait pour trait,
   Le vrai profil, le vif portrait
   Du Normand, père de nos pères ?
   Français, vous êtes nos grands frères. 

   Il est toujours vert et vivace,
   Le rameau du vieil arbre franc ;
   De sève chaude exubérant,
   Superbe et fort comme la race,
   Il est toujours vert et vivace. [...]
  
   Mais au lointain si notre oreille
   Entend le clairon du combat,
   C'est alors que le cœur nous bat,
   C'est alors que le sang s'éveille
   Au son qui frappe notre oreille.

   Sonnez, chantez, clairons sonores !
   Allons, étendards, en avant !
   Dans le feu, l'éclair et le vent,
   Déployez vos plis tricolores !
   Sonnez, chantez, clairons sonores !

   L'envahissement est immense,
   Pour chasser ces grands reîtres roux,
   Que ne sommes-nous avec vous,
   Jeunes soldats de la défense !
   Oh ! notre douleur est immense.

   France, ô maternelle patrie,
   Nos cœurs, qui ne font qu'un pour toi,
   Encore palpitants d'émoi,
   Saignent des coups qui t'ont meurtrie,
   France, ô maternelle patrie !

   Ici comme là-bas on pleure.
   Dévorant le sanglant affront,
   Baissant les yeux, courbant le front,
   Silencieux, on attend l'heure.
   Ici comme là-bas on pleure.

   Quand finira l'horrible transe ?
   Oh ! quand de Versailles à Strasbourg,
   Cloche, canon, clairon, tambour
   Proclameront la délivrance
   De la grande terre de France ?

               Nérée Beauchemin (1870)



Tiré de : Nérée Beauchemin, Les Floraisons Matutinales, Trois-Rivières, Victor Ayotte Éditeur, 1897, p. 38-43. 

De Nérée Beauchemin, les Poésies Québécoises Oubliées ont également présenté : Une sainte et Le Sapin de Noël (cliquer sur les titres).

Pour en savoir plus sur Nérée Beauchemin, cliquer ICI


Le poème France, de Nérée Beauchemin, est tiré du recueil
 Les Floraisons Matutinales, publié en 1897. Cet exemplaire
contient une dédicace signée de la main du poète,

(Collection Daniel Laprès ; cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Nérée Beauchemin (1850-1931)


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jeudi 22 mars 2018

La Malbaie

Honoré Beaugrand (1848-1906)
(Source : Histoire de la Corporation de
la Cité de Montréal
, 1903, p. 304).





   Le flanc du roc abrupt à la crête grisâtre
   Dont le pied disparaît sous le sol agité ; 
   L'âpre galet fouetté par cette mer verdâtre
   Dont les âcres parfums redonnent la santé ;

   Le soir, près du grand feu qui pétille dans l'âtre,
   Et qui semble bien bon quoiqu'on soit en été ;
   Et, guide matinal, la clochette du pâtre,
   Qui vous révèle au loin quelque site enchanté.

   Les sommets couronnés par les pins séculaires ;
   La cascade écumant entre ses pans calcaires ; 
   Les rêves deux à deux ou les joyeux ébats ; 

   Tous ces dons, ô Malbaie ! attirent vers ta plage
   Des groupes affamés de fraîcheur et d'ombrage,
   Qui désertent la ville et ses bruyants éclats. 

                            Honoré Beaugrand (1882) 


Tiré de : Troisième anniversaire de La Patrie (fascicule-souvenir), Montréal, 24 février 1882, p. 38. 

Pour en savoir plus sur Honoré Beaugrand, cliquer ICI

Le sonnet La Malbaie, d'Honoré Beaugrand, a été publié en 1882 dans ce
fascicule-souvenir du troisième anniversaire du journal La Patrie, dont
Beaugrand fut le fondateur et propriétaire. Cet exemplaire contient une
 dédicace signée de la main d'Honoré Beaugrand.
(Collection Daniel Laprès ; cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Globe-trotter, écrivain, libre-penseur anticlérical,
maire de Montréal, homme de progrès, polémiste
redoutable et parfois féroce, Honoré Beaugrand fut 

un personnage hors du commun dans l'histoire du 
Québec. Cette biographie, la première à lui être 
consacrée, constitue une lecture captivante de la 
première à la dernière ligne. On peut la trouver 
facilement dans toute bonne librairie. 
( Informations ICI )

Carte postale montrant La Malbaie (anciennement « Murray Bay »)
vers 1890. (Source : BANQ ; cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Vue de La Malbaie (anciennement « Murray Bay ») vers 1900.
(Source : BANQ ; cliquer sur l'image pour l'agrandir)

lundi 19 mars 2018

Maniwokon : la légende du Lac au Fantôme

Gaëtane de Montreuil (1867-1951)

(Photographiée par le studio
Laprès & Lavergne ; source BANQ)




   Entouré de grandes montagnes

   Est un beau lac, miroir géant,
   Où le chasseur de nos campagnes,
   Sans pitié s'en va, mécréant,
   Tuer le canard, l'alouette,
   Le caribou, même l'élan,
   Dont quelquefois la silhouette
   Se mire encore au vaste étang. 

   La superbe nappe d'eau bleue,
   Cachée au sein de la forêt,
   Célèbre à plus d'une lieue,
   Se révèle comme à regret. 
   Ses bords, tout fleuris de légendes,
   Connurent des jours glorieux
   Quand les Indiens, marchant par bandes,
   Vivaient au pays giboyeux,
   Promenant l'orgueil de leur race
   Sur le sol où, de leurs aïeux,
   Ils conservaient partout la trace
   Avec un soin religieux.

   Les anciens guerriers, pleins d'audace,
   Y venaient se ressouvenir ; 
   Les jeunes, à la même place, 
   Voulaient apprendre l'avenir ; 
   Car le beau lac aux eaux profondes
   Avait un pouvoir merveilleux : 
   Un génie habitait ses ondes... 
   C'était l'oracle de ces lieux.
   Chacun comprenait son langage
   Sans phrase et tout silencieux...
   Si l'on voyait son image,
   L'augure en était précieux,
   Pourvu que sans ombre et sans ride
   Le flot vous renvoyât vos traits.
   L'ambition perdait la bride
   Chez tous les chercheurs de secrets. 

   Et quand au ciel montait la lune,
   ― Le bon génie alors parlait ―
   Quelque amoureuse à la peau brune,
   Mystérieuse, s'en allait, 
   Se faufilant sous la feuillée,
   Dans l'ombre qui la protégeait,
   Inquiète, ou l'âme endeuillée,
   Vers le lac qu'elle interrogeait...

   Le génie avait le coeur tendre
   Et plus souvent il consolait.
   Sa bonté savait condescendre
   Et se montrer quand il le fallait ; 
   Lorsque trop fort soufflait la brise,
   Il mettait un feston d'argent
   Aux franges de la vague grise
   Et son oracle était « changeant ». 
   Quand la lune sous un nuage
   Dérobait son grand oeil moqueur,
   Elle disait dans un mirage : 
   « Ô guerrier, tu seras vainqueur ». 

   Mais pour payer le bon office
   De l'esprit sauvage et puissant,
   Il fallait faire un sacrifice
   Qu'il exigeait une fois l'an. 
   Il voulait une fiancée,
   Qu'il venait lui-même quérir
   Dans une pirogue élancée,
   Qui seule au vent savait courir. 
   C'était un canot sans pilote,
   Qu'un soir on voyait approcher
   Aux bords d'une sombre grotte,
   Où des fauves allaient nicher.
   Et c'était toujours la plus belle
   Que l'égoïste dieu voulait. 
   Mais à cette noce cruelle
   La tendre victime accourait...

   Sur les feuilles d'or et de l'automne
   Si la lune renouvelait,
   Une vaporeuse colonne 
   Au centre du lac s'élevait. 
   Ainsi marquait-il sa présence, 
   L'Esprit-du-Lac, Maniwokon. 
   Et tous ces peuples dans l'enfance
   Ressentaient un trouble profond. 

   Car on racontait que plus d'une, 
   Répondant au voeu de l'amant 
   Qui, mystérieux, sur la dune, 
   Pour elle modulait son chant, 
   Avait déserté sa famille. 
   Elle s'en était allée, un soir
   Qu'on avait vu la pauvre fille
   Dans le canot fatal s'asseoir ; 
   Puis que, sans rameur et sans guide,
   La pirogue avait disparu,
   Que nul sillage sur l'eau fluide
   Après elle n'avait couru...

   Mais cette légende féérique, 
   Que croyait le peuple naïf,
   Chez un brave amant véridique
   Avait rendu l'amour pensif. 
   Et l'on redit la triste histoire
   D'Ywosa, la fille d'un chef,
   Qui fut, par sa beauté notoire
   Et son malheur, mise en relief. 

   Près du beau lac, vivaient amies,
   Aux temps lointains, deux nations
   Que, jadis, avaient réunies
   L'honneur et les traditions. 
   Ywosa, la belle des belles,
   Comptait bien plus d'un soupirant,
   Mais aux brûlantes ritournelles
   Son coeur restait indifférent...

   La jeune fille était coquette,
   Mais elle n'avait que seize ans...
   Qu'est, à cet âge, une amourette,
   Que sont des voeux et des serments ?
   Pourtant, un jour, la voilà prise
   Au piège éternel de l'amour
   Et le sentiment qui la grise
   Éveille un généreux retour...

   Hélas ! un guerrier qui l'adore
   De son père a fixé le choix,
   Il lui fait des présents, l'honore
   À la mode antique des bois. 
   Mais le coeur se rit des usages,
   Celui d'Ywosa s'est donné,
   Sans aller consulter les sages
   Qui parlent d'amour raisonné.
   Il était de race étrangère, 
   L'élu de la jeune Ywosa ; 
   Homaba, choisi par son père.
   En rival heureux s'imposa...

   Légère comme une bichette, 
   À l'heure où dorment les oiseaux,
   Ywosa voulut, en cachette, 
   Consulter l'oracle des eaux :
   Elle descendit à la plage
   En se cachant à tous les yeux
   Et, vive, pencha son visage
   Sur le lac où brillaient les cieux. 
   Mais elle croit ce qu'elle espère,
   L'oracle parle dans son coeur,
   L'édit n'en saurait être austère
   Et son amour sera vainqueur ! 
   Mais, qu'est-ce ?... un bras a pris sa taille,
   L'enfant se dégage et s'enfuit ;
   Elle supplie, elle bataille, 
   Homaba, jaloux, la poursuit...

   Le lendemain, dans son village,
   On la chercha sans la revoir,
   Il se fit quelque babillage,
   ― Les langues savaient leur devoir ― : 
   Perdre une enfant, c'était bien grave,
   Mais le cas devenait banal,
   Quand d'un guerrier vaillant et brave
   On redoutait le sort fatal. 

   L'amitié du sauvage est telle : 
   L'ami doit venger son ami, 
   Ou le défunt, loi cruelle, 
   Punit celui qui l'a trahi...
   Et partout, on cherche, on appelle,
   Homaba, le jeune guerrier. 
   On sait qu'hier il eut querelle,
   Et l'on désigne un meurtrier...
   C'est Zicahota que l'on nomme,
   Qu'a marqué le peuple rageur,
   Et c'est lui qui, le mieux, en somme,
   Cherche jaloux, sombre et vengeur. 

   Il connaît les lois de sa race
   Et sait que sa vie est en jeu.
   Pour trouver d'Homaba la trace
   Il a trois jours et c'est fort peu...
   Mais, ayant deviné le rôle
   Que l'infâme a si bien joué,
   C'est au châtiment de ce drôle
   Que Zicahota s'est voué,
   ― Car Zicahota, qu'on accuse, 
   C'est le guerrier qu'aime Ywosa ―. 
   On l'interroge, il se refuse
   À divulguer ce qu'il osa. 
   Les pas ne laissent point d'empreinte
   Dans les bois au tapis moussu, 
   Zicahota poursuit sans crainte
   Le sombre plan qu'il a conçu. 

   Dans la forêt qui semble morte,
   Par son silence de tombeau,
   En son coeur le sauvage porte
   Sa haine comme un clair flambeau.
   Ses pieds écrasent des corolles
   Humides des larmes du soir...
   Leur parfum, plainte sans parole, 
   Avive, exalte son espoir. 

   Un penser de vengeance emporte
   Le guerrier par monts et par vaux,
   Mais la prudence aussi l'escorte,
   Qu'il soit sur la terre ou les eaux ; 
   Pour se poser sans bruit dans l'ombre,
   Son pied léger n'a pas d'égal...
   De moyens, de ruse sans nombre
   Il possède un riche arsenal : 
   Il peut imiter la cadence
   De la chouette au cri sépulcral,
   Du goéland qui se balance
   En cueillant son repas frugal ;
   Il sait la plainte langoureuse
   Du héron couleur de roseau,
   À l'allure morne et peureuse,
   Pêchant discret au bord de l'eau ; 
   Du grand bois, de ceux qui l'habitent
   Il a pris plus d'une leçon ;
   Des lourdes branches, qui s'agitent,
   Son oreille connaît le son,
   Du ruisseau qui tout bas murmure
   Il imite le clapotis...
   Les bruits divers de la nature,
   Ses lèvres les ont tous appris.

   Bientôt ses yeux dans les ténèbres
   Ont su trouver ce qu'il voulait
   Et vers les siens, juges funèbres,
   Zicahota s'en revenait.
   Après la longue randonnée
   Dont il a caché le trajet, 
   À toute la foule étonnée
   Il divulgue un hardi projet.
   La curiosité s'avive. 
   Et lorsqu'au ciel pâlit le jour,
   Tout le village est sur la rive. 
   Zicahota vient à son tour.

   Dédaignant la fureur des vagues,
   Sans peur il pousse son canot. 
   Sous la lune deux formes vagues
   Au loin se dessinent bientôt : 
   C'est Homaba, rameur habile,
   Qui, là-bas, apparaît ainsi,
   Et, près de lui, sombre et tranquille,
   Ywosa semble à sa merci...
   Mais les canots enfin s'abordent,
   Zicahota, fier, s'est dressé !
   Les deux rivaux, luttent, se tordent,
   Homaba tombe terrassé. 

   Vers Ywosa, sa tendre amante,
   Zicahota s'est élancé,
   Mais un spectacle d'épouvante
   Fait hésiter le fiancé : 
   Là, du sein des eaux en furie,
   Un nuage semble monter,
   Comme une longue draperie
   Que la brise vient tourmenter.
   Puis de cette vapeur flottante,
   Légère écharpe, blanc linceul,
   Sort une immense main sanglante,
   Et, Zicahota reste seul. 
   Horreur, vision affolante,
   Ywosa lutte dans les flots
   Et de l'enfant la voix mourante
   Crie un adieu dans ses sanglots...

   C'est l'Esprit-du-Lac qui l'entraîne
   Au royaume mystérieux... 
   La plus belle sera la reine
   De ce roi fantôme odieux. 

   Dans son canot, dit la légende,
   On voit encore, parfois le soir,
   Quand Maniwokon le demande, 
   La plus belle venir s'asseoir. 

             Gaëtane de Montreuil* (1926)


Tiré de :  Gaëtane de Montreuil, Les Rêves morts, Montréal, 1927, p. 3-16. Paru auparavant dans le périodique Mon Magazine, janvier 1926, p. 13

* Née à Québec le 22 janvier 1867, Gaëtane de Montreuil (nom de plume de Georgina Bélanger-Gill), fut chroniqueuse et journaliste. Après avoir étudié à l'École normale (1885), elle se lança dans le journalisme et, durant plus de quarante ans, on pourra lire ses chroniques dans Le Monde illustré, La Presse, Le Journal de Françoise, Le Bien Public, Le Pays laurentien, Passe-Partout, Le Pays, Mon Magazine, Le Jour et Pour vous Mesdames
   Elle passa deux années en Californie (1914-1916), puis de retour à Montréal, elle fit paraître des recueils de contes, des romans, des causeries et chroniques, ainsi qu'un recueil de poésies, Les Rêves morts, dont les poèmes avaient déjà paru dans Mon Magazine, dont Gaëtane de Montreuil fut la directrice (1926-1932). 
   En 1912, son roman Fleur des ondes connut un succès populaire et elle l'adapta pour la scène l'année suivante. Elle fut l'une des premières femmes au Québec à s'intéresser au journalisme et à y faire sa marque. 
   Gaëtane de Montreuil est morte à Montréal le 24 juin 1951. Elle avait épousé, en 1902, le poète et artiste-peintre Charles Gill
(Sources : Dictionnaire Guérin des poètes d'ici de 1606 à nos jours,  deuxième édition, Montréal, Guérin, 2005, p. 1000 ; Marie-Paule Desjardins, Dictionnaire biographique des femmes célèbres et remarquables de notre histoire, Montréal, éditions Guérin, 2007, p. 28-29).


Illustration encadrant le titre du conte poétique de Gaëtane
de Montreuil dans Mon Magazine, janvier 1926, p. 13

(Cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Les Rêves morts, recueil de poésies de Gaëtane
de Montreuil, d'où est tiré le conte poétique
Maniwokon : la légende du Lac au Fantôme.
Un seul exemplaire semble encore disponible

sur le marché : voyez ICI.
(Cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Dédicace signée de la main de Gaëtane de Montreuil
dans son recueil de poésies Les Rêves morts.

(Collection Daniel Laprès ; cliquer sur l'image pour l'agrandir)

En 1976, le spécialiste de la littérature
québécoise, Réginald Hamel, publiait
cette biographie de Gaëtane de Montreuil.
Des exemplaires sont encore disponibles ICI.

(Cliquer sur l'image pour l'agrandir)  


Le concepteur de ce carnet-web a publié l'ouvrage en deux 
tomes intitulé Nos poésies oubliées, qui présente 200 de
de nos poètes oubliés, avec pour chacun un poème, une
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