dimanche 30 janvier 2022

Le temps vole...

Louis Riel (1844-1885)

Photo prise à Montréal lorsqu'il avait 14 ans,
alors qu'il était élève du Collège de Montréal.

(Source : Université du Manitoba)




           Honoré directeur (1)

   Le temps vole et se précipite ;
   Hélas ! rien ne peut l'arrêter !
   Il entraîne tout dans sa fuite ; 
   En vain veut-on lui résister.
   Que la jeunesse le conjure
   En faveur de ses doux attraits ; 
   Que l'âge en blanche chevelure
   Lui porte des pleurs, des regrets ; 
   Qu'en face de la mort la mère
   Se lamente pour ses enfants ; 
   Que son inquiétude amère
   Demande encor d'autres instants,
   Les gémissements et les larmes, 
   Les sanglots, les douleurs, l'amour,
   La beauté, ses plus tendres charmes,
   Tout meurt, tout passe sans retour. 

   Tout n'est bientôt plus que des ombres.
   Les palais et les monuments 
   Se convertissent en décombres.
   Les années, sous leurs pas pesants, 
   Après s'être plues à construire
   Ainsi qu'à perfectionner, 
   Semblent s'appliquer à détruire, 
   À renverser, à ruiner. 
   Je vois leur pente insurmontable
   Hâter dans leur rapide cours
   Vers un abîme inévitable
   Les joies, les plaisirs, nos beaux jours.

   Sur les flancs de notre montagne
   Aux premiers rayons du printemps,
   Quand bondissent vers la campagne
   Les neiges fondues en torrents ;
   Quand la tempête impétueuse
   S'élance sur les ailes des vents, 
   Ou que la vapeur voyageuse 
   Fend comme un trait les airs brûlants,
   Les heures dans leur course agile
   S'enfuient encor plus lestement. 
   Est-il donc rien de si fragile
   Que ce temps qui trompe en fuyant ?

   Oh ! Dans sa marche impitoyable, 
   Que n'ôte-t-il pas chaque jour ?
   Ami, bienfaiteur charitable,
   Collège longtemps mon séjour !
   D'autres, s'appropriant ma joie,
   Sont venus s'asseoir où j'étais !
   Vous qui suivez ma même voie,
   Goûtez bien ce que je goûtais.
   Épargnez-vous les pensées sombres ;
   Bannissez les tristes soucis. 
   Que jamais la nuit sous ses ombres
   N'entende gémir vos ennuis.
   Avec le temps qui nous maîtrise,
   Assez tôt viendront les chagrins.
   Livrez-vous gaîment à la brise
   Que soufflent vos plus beaux matins. 
   Le jour arrivera bien vite
   Où, songeant à d'anciens plaisirs,
   Comme ici que mon cœur palpite,
   Vous vous plairez dans les soupirs. 

   Aujourd'hui mon âme fidèle
   S'est remise d'un souvenir.
   Une fête que je rappelle 
   Pour moi n'est plus à revenir : 
   D'autres te célèbrent, saint Charles (2),
   Et tu ne viens plus m'égayer. 
   Mais encore au moins tu me parles ; 
   Les joies ne peuvent s'oublier ! 

   À tes concerts remplis de charmes,
   Je suis comme un écho lointain
   Qui redit tout bas, dans les larmes, 
   Tes accents de tendre refrain.
   J'entends encore la musique 
   Et ses sonores instruments
   Élever leur voix sympathique.
   J'entends des vœux reconnaissants ;
   Soudain ma bouche les répète.
   Je m'émeus ; je me réjouis !...
   Le présent me plaît... je regrette...
   Où sont mes jours évanouis ?...

   Lisez dans le fond de mon âme,
   Ô vous pour qui l'on bat des mains ;
   Pour qui l'amour, comme une flamme,
   Brille sur tous ces fronts sereins.
   Ainsi que des ondes rapides
   Le temps aura beau s'envoler, 
   Dût-il me couronner de rides,
   Il ne fera que redoubler 
   Le plaisir de mes souvenances. 
   Sous les plus éloignés climats
   Et dans toutes les circonstances, 
   Non ! je ne vous oublierai pas !

                          Je demeure, Monsieur le directeur, 
                          avec le plus profond respect et 
                          une grande gratitude, celui 
                          qui chéris votre protection.  

                                                       Louis Riel.

                         Montréal, Mile-End, 4 novembre 1865 ; 
                                  Monsieur le directeur, veuillez me
                                  pardonner le format. 



Tiré de : Louis Riel, Poésies de jeunesse, Saint-Boniface (Manitoba), 2019, p. 178-181.

(1) : Il s'agit de Charles-Octave Lenoir dit Rolland, directeur du Collège de Montréal durant les années où Louis Riel y fut élève. Né à Montréal le 17 mars 1825, de Toussaint Rolland-Lenoir  et de Madeleine Monet, il entra chez les Sulpiciens et fut ordonné prêtre à Paris (France) le 20 décembre 1851. Il a œuvré au sein de quelques paroisses comme vicaire ou autrement ; on le retrace notamment à Saint-Aimé (Montérégie), où du 3 mai au 17 septembre 1853 il signa presque tous les actes des registres de la paroisse. Il dirigea le Collège de Montréal de 1859 jusqu'à quelques années avant sa mort survenue le 18 avril 1879 à Saint-Hilaire-de-Madawaska (Nouveau-Brunswick). Il repose dans la crypte des Sulpiciens, à Montréal. 
(Sources : La Patrie (Montréal), 19 avril 1879 ; Dictionnaire biographique du clergé canadien-français : les anciens, Montréal, Imprimerie de l'École catholique des Sourds-Muets, 1910, p. 339). 

(2) Riel fait ici référence à saint Charles Borromée, ce qui est une manière pour lui de rendre hommage à son ancien directeur de collège auquel il adresse ce poème et qui se prénommait Charles.

De Louis Riel, les Poésies québécoises oubliées ont également présenté À sir John A. MacDonald (cliquer sur le titre).  

Sur l'assassinat politico-judiciaire de Louis Riel, voyez les poèmes Une boucle de cheveux, d'Alexandre de Laronde ; Chant du Métis, de Georges Lemay ; Aux chevaliers du nœud coulant, de Rémi Tremblay (cliquer sur les titres des poèmes).


Charles-Octave Lenoir dit Rolland
(1825-1879)

Louis Riel lui a adressé le poème ci-haut.

La Patrie (Montréal), 19 avril 1879.

(Source : BANQ)

Le Collège de Montréal, tel qu'il paraissait à l'époque où Louis Riel en fut l'élève.

(Source : BANQ ; cliquer sur l'image pour l'élargir)

Les Poésies de jeunesse de
Louis Riel ont été publiées
en 2019 par les éditions du
Blé, au Manitoba. Pour s'en
procurer un exemplaire,
cliquer ICI


Parlant de nos poètes d'antan et oubliés, l'écrivaine Reine Malouin
(1898-1976), qui a longtemps animé la vie poétique au Québec, a 
affirmé que sans eux, « peut-être n'aurions-nous jamais très bien 
compris la valeur morale, l'angoisse, les aspirations patriotiques, 
la forte humanité de nos ancêtres, avec tout ce qu'ils ont vécu, 
souffert et pleuré ». 

Les voix de nos poètes oubliés nous sont désormais rendues. 
Le concepteur de ce carnet-web a publié l'ouvrage en deux 
tomes intitulé Nos poésies oubliées, qui présente 200 de
de nos poètes oubliés, avec pour chacun un poème, une
notice biographique et une photo ou portrait. Chaque  
tome est l'objet d'une édition unique et au tirage limité. 
Pour connaître les modalités de commande de cet 
ouvrage qui constitue une véritable pièce de collection
cliquez sur cette image : 

mercredi 19 janvier 2022

Clarté nocturne

Benoît Desforêts, nom de plume de
Louis Van Biervliet (1874-1962)

(Source : Le Quotidien, 18 août 1979 ;
cliquer sur l'image pour l'élargir)



La remise en circulation, après plus de quatre-vingts ans, du 
poème suivant est dédié à la mémoire de Mona Latif-Ghattas
écrivaine, poète, fervente amie des arts et de la culture, 
préfacière du tome 2 de Nos poésies oubliéesdécédée à 
Montréal le 24 décembre 2021, soit une semaine après 
la sortie de cet ouvrage qui contient donc le dernier 
écrit public de cette grande dame de lettres.

Mona Latif-Ghattas
(1946-2021)



   Bel astre aux doux rayons, toi, Reine de la nuit,
   Verse tes flots d'amour sur les tombes que j'aime.
   Je les revois, là-bas, dans cette clarté blême,
   Par le val solitaire où mon rêve s'enfuit.

   Sous les feuilles d'automne, aux sépulcres, sans bruit
   Dorment les trépassés de leur repos suprême.
   Bel astre aux doux rayons, toi, Reine de la nuit,
   Verse tes flots d'amour sur les tombes que j'aime.

   Peut-être une âme, enclose en son triste réduit,
   Cherche l'espace... ouvre son vol, cet instant même... 
   Éclaire, en souriant, le sentier qu'elle suit ; 
   Chante, pour l'attirer, ton lumineux poème...

   Bel astre aux doux rayons, toi, Reine de la nuit ! 

                                   Benoît Desforêts* (1940)



Tiré de : Benoît Desforêts, Poèmes de solitude, Laprairie, 1940, p. 86. 


*  Benoît Desforêts est le nom de plume de Louis Van Biervliet, né à Gand (Belgique), de Jules Van Biervliet, professeur de droit à l'Université de Louvain, et d'Amélie Champy. Il fit ses études au collège Sainte-Barbe, dans sa ville natale, où il développa le goût de  la littérature et une passion pour les œuvres de Victor Hugo.
   Il arriva au Québec en 1900 et, le 22 décembre 1905, à l'âge de 31 ans et après avoir vécu diverses expériences,  il demanda son admission chez les moines de l'abbaye d'Oka. Il y fit ses études de philosophie et de théologie et fut ordonné prêtre le 2 juin 1917. Le 17 mai 1918, il vint s'installer à la Trappe de Mistassini, où il restera jusqu'à la fin de sa vie. Il fut notamment préfet des études et professeur au juvénat de l'abbaye, en plus d'avoir été directeur des petits choristes du même juvénat.
   Promoteur de la colonisation, il a publié les ouvrages suivants : Joseph, victime et sauveur (tragédie biblique, 1932) ; Le p'tit gars du colon (roman, 1934) ; Un sillon dans la forêt (roman, 1936) ; Poèmes de solitude (1940) ; Le mystère d'un cloître (roman, 1947). Plusieurs de ses œuvres sont restées inédites et sont conservées aux archives de la Trappe de Mistassini. 
   Benoît Desforêts est mort à Mistassini le 24 octobre 1962. Son nom de moine était le Père Marie-Benoît. 
(Sources : Le Quotidien (Chicoutimi), 18 août 1979 ; Des jours et des hommes : les Trappistes de Mistassini 1892-1992, Mistassini, Monastère Notre-Dame de Mistassini, 1991, p. 67-68 ; Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec, tome 3, Montréal, Fides, 1987, p. 920).


Pour en savoir plus sur Benoît Desforêts,
cliquer sur cette image pour consulter un
article paru en 1979 dans Le Quotidien
de Chicoutimi : 


Poèmes de solitude, recueil de
Benoît Desforêts d'où est tiré le
poème Clarté nocturne, ci-haut.

(Cliquer sur l'image pour l'élargir)

Dédicace manuscrite de Benoît Desforêts dans
son recueil Poèmes de solitude.

(Collection Daniel Laprès ;
cliquer sur l'image pour l'élargir)


Parlant de nos poètes d'antan et oubliés, l'écrivaine Reine Malouin
(1898-1976), qui a longtemps animé la vie poétique au Québec, a 
affirmé que sans eux, « peut-être n'aurions-nous jamais très bien 
compris la valeur morale, l'angoisse, les aspirations patriotiques, 
la forte humanité de nos ancêtres, avec tout ce qu'ils ont vécu, 
souffert et pleuré ». 

Les voix de nos poètes oubliés nous sont désormais rendues. 
Le concepteur de ce carnet-web a publié l'ouvrage en deux 
tomes intitulé Nos poésies oubliées, qui présente 200 de
de nos poètes oubliés, avec pour chacun un poème, une
notice biographique et une photo ou portrait. Chaque  
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ouvrage qui constitue une véritable pièce de collection
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samedi 1 janvier 2022

Le Jour de l'An

La bénédiction de Jour de l'An (1880), par Henri Julien.

(Cliquer sur l'image pour l'élargir)




   Douze sanglots ont vibré dans l'espace, 
   ― Sont-ce les pleurs du lugubre beffroi ?
   ― C'est l'avenir jetant à l'an qui passe,
   Avec mépris, un adieu sombre et froid.

   Un nouvel an, constellé de promesses,
   Vient de surgir des vastes profondeurs ;
   Accordons-lui nos plus tendres caresses,
   Car il promet d'ineffables bonheurs. 

   L'an dernier fut désastreux et terrible : 
   Il a semé partout tant de revers...
   Il a changé ― ce despote inflexible ―
   Nos rêves d'or en mille maux divers !

                             ***

   N'en parlons plus ! Et saluons l'aurore
   Du nouveau jour qui brille à l'horizon ; 
   Que de nos cœurs parte un hymne sonore
   Pour acclamer l'hôte de la saison !  

   Voyez là-bas, dans la pauvre chaumière,
   Le malheureux amaigri par la faim : 
   Du nouvel an, il attend, il espère
   Plus de bonheur et le morceau de pain !

   Sous les lambris, où la pourpre rayonne,
   Le riche aussi formule ses désirs : 
   « Bel an, dit-il, d'un pur éclat couronne
   Nos doux banquets, nos fêtes, nos plaisirs ! »

   Au saint autel, le prêtre vénérable
   Pour le pécheur implore le bon Dieu ;
   Son chant d'amour ― cri de joie admirable ―
   Comme l'encens monte vers le ciel bleu. 

   Dès ce moment, oublions nos rancunes ; 
   À l'ennemi présentons notre main. 
   Après les jours de noires infortunes, 
   Dieu nous réserve un heureux lendemain !

                Jean-Baptiste Caouette* (Premier de l'an 1882)



Tiré de : Jean-Baptiste Caouette, Les voix intimes, Québec, Imprimerie de L.-J. Demers et Frère, 1892, p. 131-133. 

*  Fils de Germain Caouette et de Caroline Sauvial, Jean-Baptiste Caouette est né à Saint-Sauveur de Québec le 29 juillet 1854. 
   Ses études terminées, il remplit diverses fonctions au bureau de poste du quartier Saint-Roch, à Québec, avant d'en devenir le directeur, puis il fut nommé archiviste du district judiciaire de Québec. Il collabora au Journal de Saint-Roch, au Réveil Littéraire, à L'Union, à la Revue canadienne et, en 1906, il devint éditeur du Journal de Noël. En 1912, il se présenta sans succès aux élections dans le comté de Québec.
   Il est l'auteur de deux romans historiques, Le Vieux muet ou un héros de Châteauguay (1901) et Une intrigante sous le règne de Frontenac (1921), de même que d'un recueil de poésies, Les voix intimes (1892).
   Jean-Baptiste Caouette est mort à Beauport le 2 août 1922. Il avait épousé, en 1884, Delphine Mathieu. 
(Sources : Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec, vol. 1, Montréal, Fides, 1980, p. 775 ; Dictionnaire Guérin des poètes d'ici de 1606 à nos jours, Montréal, Guérin, 2005, p. 230). 

De Jean-Baptiste Caouette, les Poésies québécoises oubliées ont également présenté: Le printemps (cliquer sur le titre).


Jean-Baptiste Caouette (1854-1922)

(Source : BANQ)

Les Voix Intimes, recueil de poésies de Jean-
Baptiste Caouette d'où est tiré le sonnet Le 
Printempsci-haut. Il ne reste sur le marché 
qu'un seul exemplaire de l'édition originale, à 
très bon prix : voir ICI.

(Cliquer sur l'image pour l'agrandir) 

Jean-Baptiste Caouette, vers 1910.

(Source : BANQ)


Parlant de nos poètes d'antan et oubliés, l'écrivaine Reine Malouin
(1898-1976), qui a longtemps animé la vie poétique au Québec, a 
affirmé que sans eux, « peut-être n'aurions-nous jamais très bien 
compris la valeur morale, l'angoisse, les aspirations patriotiques, 
la forte humanité de nos ancêtres, avec tout ce qu'ils ont vécu, 
souffert et pleuré ». 

Les voix de nos poètes oubliés nous sont désormais rendues. 
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