Alexandre de Laronde (1866-1944) (Source : J. R. Léveillé, Anthologie de la poésie franco-manitobaine, Saint-Boniface Éditions du Blé, 1990) |
Pourquoi m'interroger, pourquoi me regarder,
Quand je contemple, seul, dans un profond silence,
Ces boucles de cheveux que j'ai voulu garder ?
Cet humble souvenir murmure l'espérance !
Il rappelle à mon âme un être qui n'est plus,
Mélange inexplicable, et de profonds mystères,
Et de grands dévouements, si souvent reconnus,
Et de noble grandeur, et de peines amères.
J'ai vu, j'ai vu son front, dans l'ardeur des combats,
Et sa seule présence animait le courage ;
J'ai reconnu sa voix dominant les débats,
Pour défendre nos droits et conjurer l'orage ;
Je l'ai revu naguère, exilé malheureux !
Seul, triste et délaissé, sa grande âme était pleine
De ces cuisants chagrins ; l'avenir à ses yeux
Montrait la liberté des enfants de la plaine.
Il est tombé là-bas, comme tombe un héros ;
Pour sauver la patrie, il s'est offert victime ;
Frappé par les arrêts de cruels tribunaux,
Il a livré son cœur, holocauste sublime !
Venez, cœurs généreux, de ces jours écoulés
Venez pleurer encor la fatale mémoire ;
Mais réjouissez-vous, le chef des « Bois-Brûlés »
Revit dans la splendeur, la splendeur de sa gloire.
Alexandre de Laronde* (1885)
J. R. Léveillé, Anthologie de la poésie franco-manitobaine, Saint-Boniface (Manitoba), Les Éditions du Blé, 1990, p. 253-254.
« Le poème est daté de
décembre 1885. Le 12 de ce mois avaient lieu à Saint-Boniface les funérailles
de Louis Riel. Celui-ci n’est pas nommé, mais il ne peut s’agir d’un autre que
lui d’après le texte. De plus, on sait que toute l’affaire de 85 a suscité
beaucoup d’émoi chez les pensionnaires du collège, et qu’un grand nombre de
gens se sont rendus auprès de la dépouille exposée durant deux jours à la
maison de la famille, à Saint-Vital. On peut donc facilement déduire que le
collégien Alexandre, Métis, ait vu à retenir ou à faire retenir une mèche de
cheveux de Riel en souvenir » ― J. R. Léveillé, Anthologie de la poésie franco-manitobaine, p. 254.
* Alexandre
de Laronde est né le 22 avril 1866 à la Plaine du Cheval blanc, aujourd’hui
Saint-François-Xavier (Manitoba), de Louis de Laronde, Métis, guide, chasseur
et trappeur, et de Gudule Morin.
Il fit ses études classiques au Collège de Saint-Boniface, dont il fut l’un des premiers bacheliers, en 1887. Selon un
témoignage, « il excellait en tout : il était éloquent, il se distinguait
dans les joutes littéraires, il aurait pu devenir avocat célèbre, et un grand
écrivain ».
Il préféra toutefois devenir instituteur rural dans sa terre natale
du Manitoba et prit d’abord la charge de maître d’école à la Pointe-des-Chênes,
en plus d’y avoir été notaire public. Il enseigna ensuite au village de Saint-Laurent,
où il fut aussi juge de paix. Il devint conseiller municipal, puis, en 1896,
maire de cette municipalité. Mais dès l’année suivante, il quitta Saint-Laurent
pour enseigner à Mossy River.
Également organiste, il a publié,
souvent sous pseudonyme ou de manière anonyme, des poèmes et articles dans
divers périodiques, dont Le Manitoba.
Il a notamment publié un vibrant hommage à l’abbé Georges Dugas (1833-1928),
ancien directeur du Collège de Saint-Boniface, qu’il qualifia de « travailleur
infatigable qui a tant fait pour les Métis ». Mais il semble que la modestie
pour laquelle Alexandre de Laronde était réputé ait fait en sorte que plusieurs
de ses écrits soient restés inconnus.
Il parlait couramment le saulteux, langue
d’une tribu amérindienne présente au Manitoba de même qu’en Saskatchewan et en
Ontario. Selon lui, le nom « Manitoba » viendrait du saulteux et signifie «
Détroit de l’Esprit ».
Alexandre de Laronde est mort le 27 mai
1944, à Saint-Laurent (Manitoba). Il avait épousé, en 1899, Marie Coutu, dont
il devint veuf en 1904, puis en secondes noces, en 1906, Rosalie Gaudry.
(Sources : J. R. Léveillé, Anthologie de la poésie franco-manitobaine,
Saint-Boniface (Manitoba), Les Éditions du Blé, 1990, p. 243-244 ; Gamila
Morcos, Dictionnaire des artistes et des
auteurs francophones de l’Ouest canadien, Québec, Presses de l’Université
Laval et Edmonton, Faculté Saint-Jean, 1998, p. 179).
La thèse exprimée ci-haut par J. R. Léveillé. à l'effet qu'Alexandre de Laronde aurait pu posséder une mèche des cheveux de Louis Riel semble tout à fait probable, car nous avons découvert dans le journal La Patrie du 17 mars 1937, dans un dossier rappelant la mise à mort de Louis Riel par le régime fédéral canadien, que le poète, alors âgé de 19 ans, est l'un des signataires de l'acte de sépulture de Riel, à Saint-Boniface. Pour lire le dossier complet, cliquer ICI. |
Le poème Une boucle de cheveux, ci- haut, d'Alexandre de Laronde, est tiré de l'Anthologie de la poésie franco- manitobaine. Pour se procurer cet ouvrage, cliquer ICI. |
En avril 1912, une délégation de représentants politiques nationalistes du Québec se sont rendus sur la tombe de Louis Riel, à Saint-Boniface, pour lui rendre hommage. On reconnaît, quatrième à partir de la gauche, Armand LaVergne, grand tribun nationaliste. Le premier à partir de la droite est Paul-Émile Lamarche, qui reste un modèle d'intégrité politique et de patriotisme. Pour en savoir plus sur ces deux personnages, cliquer sur leurs noms. (Source : BANQ ; cliquer sur l'image pour l'élargir) |
Le monument funéraire de Louis Riel tel qu'on peut le voir à notre époque. (Source : Wikitree ; cliquer sur l'image pour l'élargir) |
Ceci est le cercueil qui a servi à transporter le corps de Louis Riel entre Régina (Saskatchewan), lieu de sa pendaison, à Saint-Boniface, au Manitoba. Il repose au cimetière de cette localité. (Source : Passion et histoire) |
Pour prendre connaissance du poème que Louis Riel
adressait en 1879 à John A. MacDonald, premier
ministre du Canada qui le fera pendre six ans plus
tard, cliquer sur cette image :
Pour avoir composé un poème pour dénoncer les
dirigeants du régime fédéral canadien qui ont fait
pendre Louis Riel, Rémi Tremblay a perdu son
poste de traducteur de la Chambre des Communes,
à Ottawa, devenant de ce fait le premier écrivain
censuré de l'histoire du régime fédéral établi
en 1867. Pour découvrir ce poème, cliquer
sur cette image :
Voyez également le Chant du Métis, du
Franco-Manitobain Georges Lemay, en
cliquant sur cette image :
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On ne doit jamais oublier , ils étaient nos freres.
RépondreSupprimer"[...] l'avenir à ses yeux
RépondreSupprimerMontrait la liberté des enfants de la plaine." Ouf ! Un poème coup de poing. Jamais le poète ne nomme Riel. Il n'a pas besoin de le faire. Le/la lecteur/lectrice le reconnaît d'emblée dans les images et symboles poétiques. J'en suis émue. ��