samedi 30 juillet 2022

La muse noire

« Cette photo constitue un document émouvant puisque
quelques minutes après avoir apporté les dernières
retouches au maquillage du narrateur du pageant, 
M. Claude Touchette, M. Harpe s'écroulait frappé d'une
attaque d'angine. Relevé immédiatement, il trouva la
force de dire : "C'est beau, c'est beau, continuez" ». 
Charles-E. Harpe est mort à 43 ans dans les minutes
qui suivirent. Le Soleil, 2 août 1952.




   Homme, que viens-tu faire en ce monde barbare,
   Sans fusil sur l'épaule, avec le rêve au poing,
   Et ton cœur langoureux comme un son de guitare ?
   Ton langage est de ceux qu'ils ne comprendront point. 

   Tu chercherais en vain, dans cette foule amère, 
   L'appui d'une âme habile à soulager ton front
   Que l'on sent lourd du raisin bleu de la chimère :
   S'ils ne t'ignorent pas, ils te massacreront. 

   Ta chanson est pareille à la source d'eau vive,
   Se frayant un chemin dans le roc du vallon
   Pour n'abreuver que le jonc fauve de la rive
   Et que le sable étouffe au gré de l'aquilon

   Tu secoueras le rire à ta mine pâlotte. 
   Puis croyant voir surgir, sans plume et sans mousquet, 
   Le fantôme éperdu de l'ombrageux Quichotte,
   Ton nom sera sifflé comme un méchant roquet.

   À quoi bon dépenser ta peine et ton courage
   À souffler dans un cor par les siècles rouillé ?
   Roland ne hante plus l'écho du paysage
   Que des festins d'hyènes ont à jamais souillé.

   En vain chercherais-tu l'amour des pastorales
   Dans ces hameaux de leur chaume découronnés.
   Les rayons irisés des brumes vespérales
   Ne s'étendent qu'au bord des nids abandonnés. 

   L'orage a dévasté le sol fécond des plaines,
   Où la lune, en frôlant la houle des blés mûrs
   Et les étangs lustrés comme des porcelaines,
   Prolongeait sur nos soirs un mirage d'azur. 

   Fini le temps des madrigaux, des villanelles
   Des aveux chuchotés derrière un éventail ;
   Les amants de Watteau, pâmés sous les tonnelles,
   Sont comme les dieux morts d'un rutilant vitrail. 

   Mortes sont au jardin la rose et l'églantine
   Sur le tombeau d'Elvire, où pleure un rossignol
   Comme un suprême adieu du cœur de Lamartine.
   Qu'on a tué pour en faire un grand Guignol. 

   Ils ont mis de la poudre aux jonctions des âmes,
   En poussant sur la Tour des cris ensorcelés ;
   Ils ont réduit l'Art pur en un monceau de flamme
   En le crucifiant au fil des barbelés.

   Tu ne peux mesurer la force de leurs armes :
   Remonte la colline avec tes yeux d'enfant
   Et ton cœur débordant de sagesse et de larmes
   Pour engourdir ta peine aux sons de l'olifant !

                                Charles-E. Harpe (1949)



Tiré de : revue Littéra, vol. 1, no 2, Rimouski, novembre-décembre 1949, p. 8-9.


Pour écouter l'interprétation du poème ci-haut
par Félix Tanguay, cliquer sur cette image : 



De Charles-E. Harpe, Nos poésies oubliées a également présenté (cliquer sur les titres) : L'escale ; Clair de lune ; Voix de la solitude ; Le plus bel hymne à l'orgue des vivants ; Été du ciel de mon enfance ; Guirlande aux éprouvésPrintemps ; Chanson d'automneNoël pour une âme seule.


Pour en savoir plus sur Charles-E. Harpe,
cliquer sur cette illustration : 


Le poème La muse noire, ci-haut, de Charles-E. Harpe, est paru dans le
numéro de novembre-décembre 1949 de la revue Littéra, de Rimouski.

Article consacré à Charles-E. Harpe dans le numéro de novembre-décembre
1949 de la revue Littéra, dans lequel est également paru le poème ci-haut.

(Cliquer sur l'article pour l'élargir)

Monument funéraire de Charles-E. Harpe à l'entrée du cimetière
de Saint-Aubert-de-l'Islet, sur la Côte-du-Sud.

(Photo : Daniel Laprès, août 2018)


Parlant de nos poètes d'antan et oubliés, l'écrivaine Reine Malouin
(1898-1976), qui a longtemps animé la vie poétique au Québec, a 
affirmé que sans eux, « peut-être n'aurions-nous jamais très bien 
compris la valeur morale, l'angoisse, les aspirations patriotiques, 
la forte humanité de nos ancêtres, avec tout ce qu'ils ont vécu, 
souffert et pleuré ». 

Les voix de nos poètes oubliés nous sont désormais rendues. 
Le concepteur de ce carnet-web a publié l'ouvrage en deux 
tomes intitulé Nos poésies oubliées, qui présente 200 de
de nos poètes oubliés, avec pour chacun un poème, une
notice biographique et une photo ou portrait. Chaque  
tome est l'objet d'une édition unique et au tirage limité. 
Pour connaître les modalités de commande de cet 
ouvrage qui constitue une véritable pièce de collection
cliquez sur cette image : 

mardi 26 juillet 2022

Fécondité

Jean-Louis Guay (1903-1932)

(Photo : courtoisie de Madeleine
Guay, sa petite-nièce)




   Suis-moi sur la colline où l'horizon recule,
   Grandissant à nos yeux la campagne au repos,
   Viens contempler les champs, les bois et les troupeaux
   Avant que soient trop bas les feux du crépuscule.

   Quelque part et si loin que le regard se porte,
   Le foin a repoussé dans les prés rajeunis ;
   L'avoine et le maïs dressent leurs blonds épis,
   Et les grands blés dorés sont lourds du pain qu'ils portent. 

   La forêt étalant sa chevelure sombre
   Cache bien des trésors dans son sein plantureux ;
   Les vergers sont chargés de leurs fruits savoureux,
   Et les jardins enclos ont des teintes sans nombre.

   Les vaches en paissant remontent le pacage,
   Les moutons sont couchés sous un large sapin, 
   Les chevaux hument l'air, et sur le grand chemin
   L'étranger, attentif, les regarde au passage.

   Des toits pointus s'échappe un reste de fumée ;
   Les enfants par leurs cris troublent la paix du soir ;
   Sur le perron de bois la maman vient s'asseoir
   Et le paysan chante avec sa bien-aimée.

                                      ***
   N'est-ce pas là l'image à la fois grande et belle
   Du bonheur calme et pur et de la liberté ?
   Est-il une richesse, est-il une beauté
   Plus utile à l'amour qui veut être fidèle ?

   Comme un ruisseau limpide encor près de sa source,
   Dans ses veines porte un flot pur, abondant,
   Qui redonne l'ardeur et s'en va, débordant, 
   Monte et se renouvelle en poursuivant sa course ;

   Sentir battre son cœur quand le rêve l'enchante,
   Pouvoir ainsi choisir et suivre son chemin ; 
   Être docile et prêt à secourir la main
   Qui supplie ; être bon quand la vie est méchante ; 

   Entendre chaque soir sans son âme qui vibre
   Le refrain grave et doux du devoir accompli ; 
   Voir sa terre féconde et son cœur ennobli 
   Par la loi du travail... c'est être riche et libre !  

                                      ***
   Ami, cette richesse est ton heureux partage ;
   Par le gain qu'elle t'offre elle assure tes jours , 
   L'épouse trouve en elle un précieux secours,
   Les filles et les fils une part d'héritage. 

   La paix du soir descend sur les voiles de l'ombre
   Et sème le mystère et le rêve à la fois ; 
   La nuit donne l'éveil à de nouvelles voix,
   Au ciel vont s'incruster des diamants sans nombre...

                             Jean-Louis Guay (1928)



Tiré de : Jean-Louis Guay, Moisson de vie, Sainte-Foy, 1931, p. 97-100. 

* Jean-Louis Guay, fils d'Octave Guay et de Philomène Rouleau, est né à Saint-Adrien d'Irlande, en Chaudière-Appalaches, le 27 janvier 1903. 
   On sait très peu de choses sur la vie de ce poète, sauf qu'il a fait son cours classique au Collège de Lévis, qu'il a habité quelque temps à Saint-Hyacinthe, où il résida à la résidence des Dominicains. Il aspirait alors à devenir un prêtre membre de cette congrégation, mais il dut y renoncer parce qu'il fut atteint de tuberculose. Pour cette raison, il séjourna plusieurs années au sanatorium du Lac-Édouard, avant de mourir, à l'âge de 29 ans, le 26 juillet 1932, à l'hôpital Laval de Québec. Il a été inhumé dans le cimetière de son village natal.
   S
ouvent sous le nom de plume de « Jean d'Autun » ou « Le Pélican », Jean-Louis Guay a publié des articles et poèmes dans divers journaux et périodiques, dont le magazine La vie au grand air. Son unique recueil, Moisson de vie, dont la plupart des poèmes ont été composés durant les années où l'auteur séjournait au sanatorium du Lac-Édouard, a été publié en 1931, soit l'année précédant sa mort. On peut ICI consulter ou télécharger gratuitement le recueil. 


Pour en savoir plus sur Jean-Louis Guay, voyez les informations et documents sous ses poèmes Les Flots ; Entre deux rives ; Une ombre a passé et Il neige (cliquer sur les titres) que les Nos poésies oubliées ont également présentés.

De Jean-Louis Guay, Nos poésies oubliées ont également présenté (cliquer sur les titres): Nuages et désirs ; L'été revient ; Au cimetière ; Sans retour.


Parlant de nos poètes d'antan et oubliés, l'écrivaine Reine Malouin
(1898-1976), qui a longtemps animé la vie poétique au Québec, a 
affirmé que sans eux, « peut-être n'aurions-nous jamais très bien 
compris la valeur morale, l'angoisse, les aspirations patriotiques, 
la forte humanité de nos ancêtres, avec tout ce qu'ils ont vécu, 
souffert et pleuré ». 

Les voix de nos poètes oubliés nous sont désormais rendues. 
Le concepteur de ce carnet-web a publié l'ouvrage en deux 
tomes intitulé Nos poésies oubliées, qui présente 200 de
de nos poètes oubliés, avec pour chacun un poème, une
notice biographique et une photo ou portrait. Chaque  
tome est l'objet d'une édition unique et au tirage limité. 
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