vendredi 3 mai 2019

Nuages et désirs

Jean-Louis Guay (1903-1932)

(Courtoisie Madeleine Guay,

sa petite-nièce)




   Où donc allez-vous ? Vers quels rêves,
   Nuages, êtes-vous poussés
   Sur cette mer du ciel sans grève,
   Comme des esquifs délaissés ?

   Vagabonds aux étranges formes,
   De tons et d'allure divers,
   Vos profils sont parfois énormes
   Mais vous glissez, géants des airs. 

   Dans un ciel pur, l'aube se lève,
   Les vagabonds d'hier ont fui...
   Mais ces passants errent sans trêve,
   Un vient et passe, un autre suit.

                          ***

   Ainsi passent nos vains désirs
   Comme des nuages sans nombre ; 
   Ils font nos peines, nos plaisirs,
   Puis s'éteignent dans l'oubli sombre. 

   Et c'est alors qu'on voudrait voir
   Régner au ciel de sa pensée
   Le calme et l'azur d'un beau soir,
   Où toute crainte est effacée.

   Mais l'être humain est ainsi fait
   Que son coeur désire sans cesse,
   Que son esprit aspire au vrai
   Tant qu'il n'a pas vu la Sagesse. 

                 Jean-Louis Guay*(1928)



Tiré de : Jean-Louis Guay, Moisson de vie, Sainte-Foy, 1931, p. 66-67.

* Jean-Louis Guay, fils d'Octave Guay et de Philomène Rouleau, est né à Saint-Adrien d'Irlande, en Chaudière-Appalaches, le 27 janvier 1903. 
   On sait très peu de choses sur la vie de ce poète, sauf qu'il a fait son cours classique au Collège de Lévis, qu'il a habité quelque temps à Saint-Hyacinthe, où il résida à la résidence des Dominicains. Il aspirait alors à devenir un prêtre membre de cette congrégation, mais il dut y renoncer parce qu'il fut atteint de tuberculose. Pour cette raison, il séjourna plusieurs années au sanatorium du Lac-Édouard, avant de mourir, à l'âge de 29 ans, le 26 juillet 1932, à l'hôpital Laval de Québec. Il a été inhumé dans le cimetière de son village natal.
   S
ouvent sous le nom de plume de « Jean d'Autun » ou Le PélicanJean-Louis Guay a publié des articles et poèmes dans divers journaux et périodiques, dont le magazine La vie au grand air. Son unique recueil de poésies, Moisson de vie, dont la plupart des poèmes ont été composés durant les années où l'auteur séjournait au sanatorium du Lac-Édouard, a été publié en 1931, soit l'année précédant sa mort. On peut ICI consulter ou télécharger gratuitement le recueil. 


Pour en savoir plus sur Jean-Louis Guay, voyez les informations et documents sous ses poèmes Les Flots ; Entre deux rives ; Une ombre a passé et Il neige, que les Poésies québécoises oubliées ont également présentés.


Ce qu'aller à la rencontre d'un 
poète oublié peut faire vivre : 


   Mardi le 31 juillet 2018, je m'étais rendu en compagnie de deux comparses férus de nos poésies oubliées, les Sieurs Pelo et René, au cimetière de Saint-Adrien-d'Irlande, un petit bijou de village de montagne qui est aussi un secret bien gardé, afin d'y trouver la tombe du poète Jean-Louis Guay, qui repose depuis 1932 dans le lot de ses parents.

   Nous y avons lu à voix haute son poème Entre deux rives, une manière pour nous, certes un peu insolite mais émouvante pour qui a la chance de vivre une telle expérience, de rendre hommage au poète disparu tout en faisant revivre sa poésie. Aussi, nous mesurions notamment le fait qu'il n'y avait certainement pas eu beaucoup de personnes non-apparentées à Jean-Louis Guay et qui, depuis sa mort 86 ans plus tôt, avaient pris la peine de se déplacer jusqu'à son village natal pour lui rendre hommage, lui dont le nom est même absent de la croix qui orne sa tombe.

   Dès le dimanche suivant, le 5 août, je décidai d'y retourner avec ma conjointe Louise, afin qu'elle aussi puisse découvrir ce magnifique coin de pays, et aussi pour dire deux autres poèmes sur le tombe de Jean-Louis Guay.

   Le temps est ensoleillé et chaud, agrémenté d'une bienfaisante brise. Après une demi-heure environ que nous sommes à la tombe du poète, Louise décide d'aller faire une ballade d'exploration au village avec nos petites chiennes Moussette et Hortense, me laissant seul au cimetière, aux alentours duquel aucune âme qui vive n'est alors visible. 

   Après une dizaine de minutes, voilà que surgissent un couple âgé dans la soixantaine et un homme plus jeune. Présumant que ces gens habitent le village, je me dirige vers eux, sans trop espérer qu'ils puissent savoir des choses sur mon poète ni même sur sa famille, dont les descendants semblent avoir quitté le village depuis longtemps. Je me dirige vers eux, le recueil de Jean-Louis Guay en main, et me présente. Tout à fait cordiaux, ils se présentent à leur tour : Diane, Réal et leur fils Réjean. Nous nous serrons la main.

   Même si je me doute que je n'obtiendrai pas beaucoup de renseignements de la part de ces sympathiques personnes, je tente quand même ma chance, en commençant par leur demander s'ils habitent le village. Ils me répondent par la négative, mais en précisant qu'ils sont tous deux nés à Saint-Adrien-d'Irlande, qu'ils ont quitté après leur mariage. Ils ajoutent qu'ils se trouvent là en ce dimanche après-midi parce qu'ils avaient voulu pique-niquer dans leur patelin natal, où ils se rendent rarement, puis faire une visite au cimetière, où reposent plusieurs membres de leurs familles.

   Je leur explique la raison pour laquelle je me trouve dans ce cimetière, en leur montrant le recueil Moisson de vie, de Jean-Louis Guay. Je leur indique l'endroit où est enterré celui-ci, dans le carré de son père Octave, à côté duquel se trouve une croix au nom du frère de Jean-Louis, qui se prénommait Octave comme leur père. 

   Je les informe aussi des recherches que j'ai effectuées pour tenter de trouver une photo du poète, mais sans succès jusqu'à présent malgré tous mes efforts même opiniâtres, tout cela, comme je le leur précise, parce que je crois mordicus à la nécessité non seulement de faire remonter à la surface les oeuvres de nos poètes oubliés, mais aussi de les sortir de l'anonymat en révélant leurs visages, de même que leurs histoires de vie. J'estime qu'ils y ont pleinement droit, eux qui ont servi notre langue et notre culture nationales sur les autels de la poésie, et ce, le plus souvent avec générosité et sans aucune attente de gratification personnelle. Je leur parle aussi du site des Poésies québécoises oubliées, de même que de l'album Nos poésies oubliées, sur lequel je travaille, d'où la nécessité de trouver, autant que possible, des photos ou portraits des poètes ainsi tirés de l'oubli.

   Je remarque alors que Diane et Réal se regardent d'un air entendu. Puis ils m'informent qu'ils ont une belle-soeur, Madeleine, qui est la petite-fille d'Octave Guay. J'en déduis aussitôt que Madeleine n'est nulle autre que la petite-nièce de mon poète ! Je n'en crois pas mes oreilles et commence à me croire en plein milieu d'un rêve...

   Diane prend alors son téléphone portable pour rejoindre Madeleine. Par bonheur, celle-ci est chez elle. Diane lui explique notre rencontre imprompue au cimetière de Saint-Adrien-d'Irlande où nous nous trouvons encore, puis elle me passe l'appareil. D'emblée très gentille, Madeleine m'invite aussitôt à venir la trouver chez elle, à Black Lake, qui est tout près. Diane et Réal s'offrent aimablement pour nous y guider. Sur les entrefaites, Louise réapparaît avec nos Moussette et Hortense. 

   Nous montons donc dans notre véhicule et suivons Diane et Réal jusque chez leur belle-soeur Madeleine, ce qui prend environ 10 minutes, pendant lesquelles j'explique à Louise, décontenancée, abasourdie et qui ne comprend pas encore pourquoi elle se trouve au volant en train de suivre des étrangers vers une résidence inconnue de Black Lake où nous n'avions jamais mis les pieds, tout ce qui vient de se passer et qui en encore en train de se dérouler.

   Nous voilà donc peu après chez Madeleine, qui, après les présentations (son mari, lui aussi très cordial, est présent), nous explique qu'elle est celle qui, pour la famille Guay, a conservé l'album-photo familial, une responsabilité que lui avait confiée sa grand-mère, qui était la belle-soeur de notre poète. Puis elle dépose l'album, fort volumineux, sur la table de sa cuisine. 

   Nous voilà donc à la recherche de notre poète, dont Madeleine précise que personne dans la famille ne connaît l'existence de son recueil, dont je venais de lui montrer mon exemplaire comportant une dédicace manuscrite de la soeur de Jean-Louis Guay, une religieuse que Madeleine avait très bien connue. 

   Puis nous trouvons enfin. Même si Madeleine n'avait aucun souvenir de lui, qui d'ailleurs est mort bien avant la naissance de sa petite-nièce, aucun doute n'est possible : quelques photos montrent un patient du sanatorium du Lac-Édouard, en Mauricie. Puisque les informations que j'avais glanées jusque-là indiquent que Jean-Louis Guay avait séjourné à ce sanatorium dans les années 1920, celui que l'on voit ci-haut au dessus du poème Nuages et désirs, extrait d'une photo datant de 1928 et prise au sanatorium du Lac-Édouard comme l'indique la note manuscrite à son endos, est bel et bien Jean-Louis Guay. 

   C'est donc ainsi que nous avons donc déniché une dizaine de photos de notre poète oublié. La photo dont est tiré le médaillon ci-haut, et que l'on peut voir en entier ci-dessous, est particulièrement touchante, car elle montre Jean-Louis Guay en compagnie d'une infirmière du sanatorium du Lac-Édouard, là même où il avait composé la plupart des poèmes qui constituent le recueil Moisson de vie, alors qu'il combattait la terrible maladie qui allait l'emporter quatre ans plus tard.

   Bien entendu, tout cela n'aura été que le fruit du hasard. Mais quand même, on peut en dire que, parfois, le hasard sait fort bien arranger les choses. Et il nous fut impossible de ne pas sentir la présence du poète dans cette rencontre aussi merveilleuse que totalement inattendue, sinon invraisemblable quoique bien réelle, avec ces gens aussi aimables que généreux que sont Diane, Réal, leur fils Réjean et, bien sûr, Madeleine, la petite-nièce de Jean-Louis Guay, ainsi que son mari.

   Enfin, pour couronner cet inoubliable dimanche, Louise et moi sommes retournés à Saint-Adrien-d'Irlande juste après notre visite chez Madeleine, afin de pique-niquer dans le joli parc municipal que nous avions remarqué lors de notre visite au cimetière quelques heures plus tôt et qui est situé sur le terrain où se trouvait jadis l'école primaire que Jean-Louis Guay avait fréquentée.

   Puis voilà qu'apparaît un beau petit bonhomme d'environ 2 ou 3  ans et tout à fait charmant, Jacob, qui vient nous faire causette, et dont nous voyons approcher les parents, Stéphanie et Jean-Philippe, un jeune couple de la région, accompagnés de la petite soeur de Jacob.

   Nous avons jasé durant un bon bout de temps avec Stéphanie et Jean-Philippe, qui se montrèrent vivement intéressés d'en apprendre sur le poète oublié de Saint-Adrien-d'Irlande, et qui m'ont laissé leur adresse-courriel afin que je leur envoie le lien à partir d'où on peut télécharger son recueil Moisson de vie, ce que je n'ai pas manqué de faire. 

  Peu après, j'ai reçu des nouvelles me confirmant leur appréciation des poésies de Jean-Louis Guay, particulièrement son poème L'Anneau, m'a dit la maman de Jacob. Donc, les poésies de Jean-Louis Guay reprennent vie un peu plus encore par la découverte qu'en ont faite ce jour-là Stéphanie et Jean-Philippe, sur l'emplacement même de l'école primaire fréquentée par le poète il y a plus de 100 ans. 

   C'est donc ainsi que s'est déroulé ce dimanche aussi époustouflant qu'émouvant et mémorable du 5 août 2018 au village natal de Jean-Louis Guay, un poète dont l'oeuvre mérite pleinement qu'on la sorte de l'injuste et insensé oubli dans lequel elle est confinée depuis trop longtemps. 



Le poème Nuages et désirs, ci-haut, est tiré du
recueil Moisson de vie, de Jean-Louis Guay. On
peut télécharger gratuitement le recueil ICI.

(Cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Signature de Jean-Louis Guay derrière cette photo prise
au sanatorium du Lac-Édouard, en Haute-Mauricie, où
le poète était soigné pour la tuberculose qui l'emporta
en 1932, à l'âge de 29 ans.

(Collection Daniel Laprès ; cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Jean-Louis Guay adolescent.

(Courtoisie Madeleine Guay)

La plupart des poèmes du recueil Moisson de vie, dont
Nuages et désirs, ci-haut, ont été composés par Jean-Louis 

Guay au sanatorium du Lac-Édouard, dont il ne reste de nos
jours que des ruines. On aperçoit Jean-Louis Guay, le
deuxième à partir de la gauche sur la galerie du
sanatorium où on faisait prendre l'air aux patients.

Sur la photo du bas on aperçoit la galerie où fut
prise en 1928 la même photo des patients alités.

(Photo du haut : collection Madeleine Guay ;
photo du bas : Daniel Laprès, août 2018 ;
cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Jean-Louis Guay est né dans le pittoresque village de
Saint-Adrien-d'Irlande, près de Thetford Mines. Il repose
au cimetière de ce village, dans le lot de ses parents
quoique son nom n'y soit pas indiqué.

(Source : Wikipedia ; cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Recension de Moisson de vie, recueil de poésies de Jean-Louis Guay, par
Charles-E. Harpe, poète, écrivain et dramaturge, dans L'Écho de Frontenac
du 22 octobre 1931. 

(Source : BANQ ; cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Recension de Moisson de vie parue dans Le Quotidien (Lévis) du 31 octobre 1931.

(Source : BANQ ; cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Entrefilet dans Le Devoir du 26 octobre 1931
annonçant la parution du recueil Moisson de vie,
de Jean-Louis Guay.

(Source : BANQ ;
cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Article annonçant la mort de Jean-Louis
Guay dans Le Soleil du 30 juillet 1932.

(Source : BANQ ;
cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Article paru dans Le Courrier de Saint-Hyacinthe du
12 août 1932 soulignant le décès de Jean-Louis Guay.

(Source : BANQ ; cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Poème de « Louise Marie » (un nom de plume) à 
la mémoire de Jean-Louis Guay dans Le Soleil
(Québec) du 17 septembre 1932.

(Source : BANQ : cliquer
sur l'image pour l'agrandir)

Sous cette croix de fer forgé au cimetière
de Saint-Adrien-d'Irlande, près de Black Lake,
repose le poète Jean-Louis Guay, mort en 1932
à l'âge de 29 ans. Le seul nom sur la croix est
celui de son père, Octave Guay, décédé en 1918,
mais son épouse Philomène Rouleau et leur fils
Jean-Louis sont eux aussi inhumés dans le même lot.

(Photo : Daniel Laprès, 2018 ;
cliquer sur l'image pour l'agrandir)


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Cliquer sur l'image pour l'agrandir.

5 commentaires:

  1. Merveilleux de se souvenir de ces poètes oubliés !
    Très belle histoire sur la découverte de sa nièce !
    Dommage que Jean-Louis Guay soit parti si jeune!...

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  2. Très beau témoignage. Merci beaucoup de faire revivre ce poète.

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  3. Jean-Marc Cormier26 juillet 2022 à 23:29

    Merci de me faire découvrir ainsi ce très talentueux poète.

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  4. Une très belle histoire émouvante et touchante. J'ai téléchargé son livre, je vais le lire dans les jours qui viennent, une fois que j'aurai lu Nos poésies oubliées. :)

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