mercredi 15 mai 2019

La Sottise et sa cour

Adèle Bourgeois-Lacerte (1870-1935)

(Source : Georges Bellerive, Brèves
apologies de nos auteurs féminins
,
Québec, Librairie Garneau, 1920)




                                       « De l'esprit !... à quoi bon ?... chez nous c'est la sottise
                                       Qu'on admire, qu'on suit, qu'on loue et qu'on courtise ».
                                                                                            - Gaëtane de MONTREUIL

   
   Le Génie habitait une triste chaumière
   Où pénétrait à peine un filet de lumière.
   Penché sur des bouquins, cet intellectuel
   Semblait se complaire au travail perpétuel.
   On le voyait, le soir, quitter son domicile
   Et s'en aller à pied, humblement, par la ville...
   Sans murmurer « pardon », le badaud, le manant
   Le bousculait ou bien s'en moquait en passant.

   On le connait pourtant, et plusieurs ont pu lire
   Le chef-d'oeuvre qu'il vient justement de produire,
   Où perce sa grande âme ainsi que son savoir...
   Mais la foule, à cela, ne saurait s'émouvoir !
   Elle admire plutôt les toilettes splendides,
   Les bijoux, les chevaux et les autos rapides ;
   C'est un mal de chez-nous : le vrai génie ou l'art
   Est moins apprécié qu'un sot qui roule en char.

   La Sottise habitait une maison princière
   Qu'inondait, chaque soir, un grand flot de lumière
   Et flânant, tout le jour, dans un luxe énervant,
   Causant colifichets, grignotant ou buvant.
   Elle employait surtout son inutile vie
   À déployer son luxe, à susciter l'envie
   De ceux qui s'épataient de toutes ces splendeurs,
   Parce qu'ils ne pouvaient en scruter les laideurs.

   Eh ! tenez, la voilà dans cette limousine,
   Voyez comme pour elle on se courbe l'échine...
   Le manant, tout-à-l'heure, impoliment heurtait
   Le Génie en passant... Regardez quel respect
   Il affiche devant la Sottise dorée,
   Qui passe dédaigneuse et richement parée...
   À contempler cela, les personnes de coeur
   Ont bien plus de mépris encore que de douleur.

                          Adèle Bourgeois-Lacerte(1917)




Tiré de : revue Le Pays Laurentien, Montréal, mars 1917, p. 48. Le poème est signé « Léda », un des noms de plume d'Adèle Bourgeois-Lacerte.

*  Emma Adèle Bourgeois-Lacerte est née à Saint-Hyacinthe le 5 juin 1870, de Jean-Baptiste Bourgeois, avocat puis juge, et de Frances Gilson. Elle fit ses études au Couvent des Ursulines de Trois-Rivières et au Couvent d'Hochelaga, à Montréal. 
   Ayant épousé Alidé Lacerte en 1891, elle emménagea avec lui à Ottawa. Elle devint tôt collaboratrice à divers journaux et périodiques, dont La Presse, La Patrie, La Revue nationale, Pour vous mesdames, Le Passe-Temps, Le Pays Laurentien, Le Courrier fédéral, etc.
   Elle est l'auteure de contes, nouvelles, récits, romans, poèmes, pièces de théâtre, pièces musicales. En 1915, elle publia Contes et légendes, un recueil pour enfants de dix-neuf contes et vingt-sept légendes, avec des poésies et des textes en prose.
   Elle composa quatre-vingt-trois pièces musicales, dont six opérettes, douze valses pour piano et quarante-six pièces vocales dont plusieurs parurent entre 1915 et 1933 dans la revue littéraire et musicale Le Passe-Temps
   Elle s'occupa personnellement de tous les détails de publication de ses oeuvres et défendit vigoureusement ses droits d'auteure-compositrice. Elle fut également conférencière à Trois-Rivières, Montréal, Québec et Ottawa. 
   En novembre 1916, le texte de sa comédie intitulée Les Châtelaines parut dans la revue Le Pays Laurentien. Membre du bureau de direction de la Fédération des femmes canadiennes-françaises (FFCF), elle rédigea en 1920 une pièce dramatique, Jeanne d'Arc, en l'honneur de la dirigeante de la FFCF. La même année, elle signa un feuilleton, intitulé La gardienne du phare, dans le journal Le Courrier fédéral, et qui parut ensuite sous forme de roman. 
   Ses derniers contes, écrits entre 1932 et 1935, ont été maintes fois réédités après sa mort, soit en 1940, 1942, 1945, 1947, 1949, 1953 et 1954. 
   Marie-Paule Desjardins a écrit à son sujet : « Auteure prolifique, elle prend place parmi les pionnières de la littérature jeunesse au Québec et ses pièces jouées dans les établissements scolaires de l'Outaouais lui valent d'être aussi considérée comme pionnière du théâtre pour enfants dans cette région ».
   Adèle Bourgeois-Lacerte est morte à Ottawa le 22 mai 1935. Elle est inhumée à Yamachiche. Par son époux, elle était la belle-soeur du poète Nérée Beauchemin
(Source principale : Marie-Paule Desjardins, Dictionnaire biographique des femmes célèbres et remarquables de notre histoire, Montréal, éditions Guérin, 2007, p. 58).


La Sottise et sa Cour, critique de mœurs
rimée d'Adèle Bourgeois-Lacerte, est tiré
du numéro de mars 1917 de la revue
littéraire Le Pays Laurentien.

(Cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Adèle Bourgeois-Lacerte, photo parue dans
Le Pays Laurentien, novembre 1916
.

En 1920, dans son ouvrage Brèves apologies des nos auteurs féminins, le critique littéraire
Georges Bellerive dressa ce survol de l'oeuvre littéraire et musicale d'Adèle Bourgeois-Lacerte.

(Cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Présentation d'Adèle Bourgeois-Lacerte par Gérard Malchelosse dans
la revue Le Pays Laurentien, numéro de novembre-décembre 1917.

(Cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Le Nouvelliste, 23 mai 1935.

(Source : BANQ)

La Presse, 25 mai 1935.

(Source : BANQ)

Bien que les funérailles d'Adèle Bourgeois-Lacerte eurent lieu à Ottawa, elle fut
inhumée à Yamachiche, où son mari était déjà enterré depuis 1933. Cet article
paru dans Le Nouvelliste le 5 juin 1935, près de deux semaines après l'inhumation,
indique le grand nombre de personnes ayant pris part à cette cérémonie à l'église
puis au cimetière d'Yamachiche. On y remarque la présence de la veuve du poète
Nérée Beauchemin, mort en 1931 et inhumé au même endroit, et de ses enfants.
Par son mari, Adèle Bourgeois-Lacerte était la belle-soeur du poète d'Yamachiche.

(Source : BANQ ; cliquer sur l'image pour l'agrandir)


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