mercredi 30 janvier 2019

Paysage blanc

Édouard Chauvin (1894-1962)

(Source : Richard Foisy, Les Casoars,
Montréal, éditions Varia, 2004) 




   Les sillons dorment sous la neige.
   La bourrasque siffle en sacrant.
   Le grand vent du Nord désagrège
   Les bancs de neige dans le « rang ». 

   À l'horizon des routes blanches
   Se tassent les sapins frileux,
   Et l'on n'entend plus sur les branches
   Les engueulades des « siffleux ».

   Les toits dans la campagne morte
   Veillent. Le froid cerne la porte.
   Et la Grand'Ourse, au firmament, 
   
   Là-haut, à cent mille lieues,
   Se gèle le bout de la queue
   Sans grogner... éternellement ! 

                Édouard Chauvin(1918)



Tiré de : Édouard Chauvin, Figurines, Montréal, Le Devoir, 1918, p. 99-100.

Édouard Chauvin est né à la Longue-Pointe, dans l'est de l'île de Montréal, le 20 juin 1894, de Léon-Adolphe Chauvin, avocat et député de Terrebonne, et de Berthe Gagnon. Il fit ses études classiques au Collège de Montréal et au Séminaire de Sainte-Thérèse, puis s'inscrivit à en droit à l'Université Laval de Montréal.
   Il quitta la faculté après sa deuxième année et forma avec quelques autres jeunes écrivains un groupe littéraire, curieusement nommé « la Tribu des Casoars », dont les réunions étaient tenues dans le local de « L'Arche », au 26 rue Notre-Dame est, au Vieux-Montréal. Chaque membre avait adopté un surnom fantastique et irraisonné : entre autres, le médecin et écrivain Philippe Panneton (nom de plume « Ringuet », auteur de Trente arpents) devint « le Sphinx d'Halifax ; l'avocat Honoré Parent, « la Fourmi savante » ; le journaliste Roger Maillet, « le Vibrion sceptique » ; le critique d'art, journaliste et frère d'Édouard, Jean Chauvin, « le Trombone gallinacé », et Édouard Chauvin lui-même était « l'Icare illuminé ».
   En 1918, il se lança dans le journalisme au service du journal Le Canada, puis pour La Patrie et La Presse. En 1919, il fonda Le Quartier Latin, journal des étudiants de l'Université Laval de Montréal. Il s'établit ensuite à Trois-Rivières, où il fit partie de la première équipe du quotidien Le Nouvelliste, tout en collaborant au journal hebdomadaire Le Bien public, de cette même ville. En 1930, il revint à Montréal où il se joignit au Petit Journal, fondé en 1926 par son camarade de jeunesse et confrère des « Casoars », Roger Maillet. En 1937, tout en restant au Petit Journal, il fonda, avec Roger et Roland Maillet, l'hebdomadaire Phot0-Journal, qui connut un grand succès.
   Il publia deux recueils de poésies : Figurines (1918), qui connut un vif succès, et Vivre (1921).
  En 1942, il quitta le journalisme pour devenir traducteur des débats parlementaires à Ottawa. Il devint également le responsable des périodiques de la section française des Forces armées canadiennes, jusqu'à sa mort survenue le 21 décembre 1962. Il avait épousé Gabrielle Bélanger le 12 avril 1926.
  Selon les critiques littéraires Laurent Mailhot et Pierre Nepveu, « Édouard Chauvin est le type même du "carabin", gentiment frondeur, fantaisiste, humoriste. Son oeuvre mince est celle d'un poète-chansonnier».  
(Sources principales : Dictionnaire des oeuvres littéraires du Québec, tome 2, Montréal, éditions Fides, 1981, p. 494 ; Laurent Mailhot et Pierre Nepveu, La poésie québécoise des origines à nos jours, Montréal, Presses de l'Université du Québec et Les Éditions de l'Hexagone, 1981, p. 200 ; Richard Foisy, Les Casoars ; en souvenir des dîners du Casoar-Club, Montréal, éditions Varia, 2004). 


Le poème Paysage blanc, ci-haut, est tiré
du recueil Figurines, d'Édouard Chauvin.
Deux exemplaires sont encore disponibles
sur le marché, voyez ICI et ICI.

(Cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Dédicace manuscrite d'Édouard Chauvin
dans son recueil Figurines et adressée à
à Léon Mercier-Gouin, petit-fils d'Honoré

Mercier et fils de Lomer Gouin.

(Collection Daniel Laprès ;
cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Édouard Chauvin, vers 1950.

(Source : La poésie québécoise
des origines à nos jours
).

Quelques mois après la mort d'Édouard Chauvin, le journaliste, philosophe et
critique littéraire Victor Barbeau, qui l'avait bien connu, publia cet hommage
à sa mémoire dans le journal L'Action, de Québec, le 19 mars 1963.

(Source : BANQ ; cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Le 29 décembre 1962, le Photo-Journal publia
cet hommage à son fondateur Édouard Chauvin,
mort quelques jours plus tôt.

(Source : BANQ)

Le 18 janvier 1963, Le Nouvelliste, de Trois-Rivières,
publia cette mention de la mort de son ancien
collaborateur Édouard Chauvin.

(Source : BANQ )

La Presse, 22 décembre 1962.

(Source : BANQ )

En 2004, le chercheur autonome Richard Foisy
avait publié cet ouvrage sur les « Casoars », ce
groupe littéraire dont Édouard Chauvin était
membre. Le livre est encore disponible sur
commande dans toute bonne librairie.
Informations ICI


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dimanche 27 janvier 2019

Ma Gaspésie

Blanche Lamontagne (1889-1958)

(Source : Portraits de femmes, tome 1,
Montréal, éditions La Patrie,
1938, p. 66)




   Fille du Saint-Laurent aux magiques contours,
   C'est un pays de monts, de coteaux pittoresques,
   Où les rochers, flanqués de parois gigantesques,
   Voisinent la montagne aux gracieux détours. 

   La mer baise ses pieds, la vague enchanteresse
   Y jette ses refrains dans le couchant vermeil ;
   Et la vigueur de ses noroîts et son soleil
   Nous font lever le front, sous leur rude caresse.

   Ses collines, ses caps qui dominent la mer
   Sont comme des géants résistant aux années,
   Que ni les vagues, ni les brises déchaînées
   Ne peuvent ébranler sur leur socle de fer.

   Au-dessus de ses monts à la haute corniche,
   Les cèdres et les pins forment de verts bouquets,
   Et dans la profondeur des bois et des bosquets, 
   Le vorace épervier auprès des pinsons niche.

   Si blancs sont les bateaux qu'on y voit louvoyer,
   Si large est l'horizon dans la brise légère,
   Que notre âme, à son tour éprise de lumière,
   Pour des cieux inconnus voudrait appareiller.

   Il n'est pas de pays, pas d'endroit sur la terre
   Où souffle un vent plus pur, où vit plus de beauté.
   La poésie éclate en sa rusticité,
   Et l'aigle et ma pensée habitent dans son aire.

   Ma pensée inlassable, avide d'infini,
   Battant de l'aile aux murs des sublimes rivages,
   Revient obstinément à ces rives sauvages
   Comme l'aigle revient mourir près de son nid. 

                             Blanche Lamontagne* (1928)




Tiré de : Blanche Lamontagne-Beauregard, Ma Gaspésie, Montréal, 1928, p. 7-9.

*  Blanche Lamontagne est née aux Escoumins le 13 janvier 1889, d'Émile Lamontagne, commis, et d'Amanda Lévesque. De 1897 à 1908, elle étudia à Cap-Chat, au couvent de Sainte-Anne-des-Monts et à l'École d'enseignement supérieur pour jeunes filles de Montréal. Elle fut l'une des premières femmes inscrites au certificat de littérature de l'Université Laval à Montréal (1909). Elle suivit aussi de nombreux cours d'arts plastiques.
   En 1911, une suite poétique, parue sous le pseudonyme « Pour la Patrie », lui valut le prix du concours littéraire de la Société du parler français. Elle publia divers recueils de poésies et de contes, de même que quelques romans : Visions gaspésiennes (1913) ; Par nos champs et nos rives (1917) ; La vieille maison (1920) ; Les trois lyres (1923) ; Un coeur fidèle (1924) ; Récits et légendes (1924) ; La moisson nouvelle (1926) ; Légendes gaspésiennes (1927) ; Ma Gaspésie (1928) ; Au fond des bois (1931) ; Dans la brousse (1935) ; Le rêve d'André (1943). Elle écrivit également un livret d'opéra, Francine, dédié à la compositrice et pédagogue musicale Albertine Morin-Labrecque et qui fut présenté en 1930 au Conservatoire national de musique.
   Elle collabora à divers périodiques, dont La bonne parole, Le Canada français, La Revue nationale, Le Passe-Temps, La Revue moderne, Paysana, La Ronde d'office, etc. 
   En 1924, elle devint membre de la Société des poètes canadiens-français. En 1928, son poème Gaspésie, terre du silence lui valut la médaille d'argent du concours du Salon des poètes, à Lyon (France).
   En 1937, elle participa au Grand gala de la poésie organisé par la Société des écrivains canadiens-français, qui eut lieu à l'Auditorium Le Plateau, à Montréal, à l'occasion du Deuxième congrès de la langue française.
   En 1946, elle fut auteur-ressource pour certaines émissions de Tableaux canadiens, à la radio de Radio-Canada.
   En 1956, elle fut nommée membre à vie de la Société des poètes canadiens-français en hommage à son apport à la littérature québécoise.
   Sont dédiés à sa mémoire la rue Lamontagne, à Sherbrooke, le mont Blanche-Lamontagne situé dans le Parc de conservation de la Gaspésie et le parc Blanche-Lamontagne, à Montréal.
   Le critique d'art et de littérature Henri d'Arles a écrit de Blanche Lamontagne qu'elle « semble posséder la grâce magique de découvrir le mystère qui erre autour des choses et les enveloppe, d'extraire de la matière commune le sens et la beauté qui y dorment et que seuls les poètes savent éveiller ». 
   Blanche Lamontagne est morte à l'hôpital Saint-Jeanne-d'Arc, à Montréal, le 25 mai 1958. Elle est inhumée dans cette même ville, au cimetière Notre-Dame-des-Neiges. On peut lire sur sa pierre tombale : « Elle mit toute son âme à chanter son pays ». Elle avait épousé Hector Beauregard, avocat, le 15 juillet 1920. 
(Sources : Marie-Paule Desjardins, Dictionnaire biographique des femmes célèbres et remarquables de notre histoire, Montréal, éditions Guérin, 2007, p. 276-277 ; Dictionnaire des oeuvres littéraires du Québec, tome 2, Montréal, éditions Fides, 1981, p. 1165-1166 ; Georges Bellerive, Brèves apologies de nos auteurs féminins, Québec, Librairie Garneau, 1920, p. 86-95). 

De Blanche Lamontagne, les Poésies québécoises oubliées ont également présenté : Il vente (cliquer sur le titre).


Le poème Ma Gaspésie, ci-haut,
est tiré du recueil portant le même
titre, de Blanche Lamontagne.

(Cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Dédicace manuscrite de Blanche Lamontagne dans
son recueil Ma Gaspésie et adressée à Antoine
Taschereau, frère du premier ministre du Québec
de 1920 à 1936, Louis-Alexandre Taschereau.

(Collection Daniel Laprès ; 
cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Blanche Lamontagne, vers 1920.

(Source : BANQ)

L'écrivaine Michelle Le Normand a signé cet article
dans le numéro de juin 1958 de la revue Lectures.

(Source : BANQ ; cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Article paru dans Le Progrès du Golfe,
de Rimouski, le 13 juin 1958.

(Source : BANQ : cliquer sur l'image pour l'agrandir)

L'écrivain et critique littéraire Harry Bernard a signé cet article
dans Le Courrier de Saint-Hyacinthe du 24 juillet 1958, .
(Source : BANQ ; cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Notice nécrologique dans
La Presse du 28 mai 1958.

(Source : BANQ)


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mercredi 23 janvier 2019

Il neige

Jean-Louis Guay (1903-1932)

(Source : collection Daniel Laprès)




   Sur la terre endormie il neige des étoiles
                Qui se croisent de près,
                Tissent de fines toiles.
   Tout est blanc au dehors : l'hiver a ses attraits,
                Mais derrière ses voiles
                Se cachent maints regrets.

   Il neige sur les monts, il neige dans la plaine,
                Au-dessus des grands bois,
                Sans soupir, sans haleine.
   Il neige sur la route, il neige sur les toits ;
                Comme en flocons de laine
                La neige choit parfois.

   Il neige, et les flocons frôlent les boucles blondes ;
                Les bambins avec cris
                Dansent leurs vieilles rondes.
   Il neige des fils blancs parmi les cheveux gris...
                De visions profondes
                Les vieillards sont épris.

   Il neige dans les nids où la mousse frissonne ;
                L'oiseau frileux a fui
                Avec le vent d'automne.
   Il neige dans les cœurs d'où l'amour s'est enfui...
                Nul espoir ne rayonne
                En leur lugubre nuit.

   Il neige du bonheur au sein des maisons closes,
                Où le froid, les hivers
                Sont de futiles choses.
   Il neige des soucis et des regrets amers...
                Leurs heures sont moroses
                Dans les foyers déserts. 

                                 Jean-Louis Guay* (1929)



Tiré de : Jean-Louis Guay, Moisson de vie, Sainte-Foy, 1931, p. 128-129.

* Jean-Louis Guay, fils d'Octave Guay et de Philomène Rouleau, est né à Saint-Adrien d'Irlande, comté de Mégantic, le 27 janvier 1903. 
   On sait très peu de choses sur la vie de ce poète, sauf qu'il a fait son cours classique au Collège de Lévis, qu'il a habité quelque temps à Saint-Hyacinthe, et qu'il fut longtemps malade de tuberculose, avant de mourir jeune, à l'âge de 29 ans, le 26 juillet 1932, au Sanatorium Notre-Dame, à Sainte-Foy, près de Québec. Il a été inhumé dans le cimetière de son village natal.
   S
ouvent sous le nom de plume Le PélicanJean-Louis Guay a publié des poèmes dans divers périodiques, dont le magazine La vie au grand air. Son unique recueil de poésies, Moisson de vie, a été publié en 1931, soit l'année précédant sa mort. On peut ICI consulter ou télécharger gratuitement le recueil. 


Pour en savoir plus sur Jean-Louis Guay, voyez les informations et documents sous ses poèmes Les FlotsEntre deux rives,  Une ombre a passé et Nuages et désirs, que les Poésies québécoises oubliées ont également présentés.


Le poème Il neige, ci-haut, est tiré du recueil
Moisson de vie, de Jean-Louis Guay. On peut
télécharger gratuitement le recueil ICI.


(Cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Signature de Jean-Louis Guay derrière cette photo prise
au sanatorium du Lac-Édouard, en Haute-Mauricie, où
le poète était soigné pour la tuberculose qui l'emporta
en 1932, à l'âge de 29 ans.


(Collection Daniel Laprès ;
cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Jean-Louis Guay est né dans le pittoresque village de
Saint-Adrien-d'Irlande, près de Thetford Mines. Il repose
au cimetière de ce village, dans le lot de ses parents
quoique son nom n'y soit pas indiqué.


(Source : Wikipedia ; cliquer sur l'image pour l'agrandir)

La plupart des poèmes du recueil Moisson de vie, dont
Il neige, ci-haut, ont été composés par Jean-Louis Guay
au sanatorium du Lac-Édouard, dont il ne reste de nos
jours que des ruines. On aperçoit Jean-Louis Guay, le
deuxième à partir de la gauche sur la galerie du
sanatorium où on faisait prendre l'air aux patients.

Sur la photo du bas on aperçoit la galerie où fut
prise en 1928 la photo des patients alités.

(Photo du haut : collection Madeleine Guay ;
photo du bas : Daniel Laprès, août 2018 ;
cliquer sur l'image pour l'agrandir)


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dimanche 20 janvier 2019

Hymne au Vent du Nord

Alfred DesRochers (1901-1978)

(Source : Un poète et son double)




   Ô Vent du Nord, vent de chez nous, vent de féérie,
   Qui vas surtout la nuit, pour que la poudrerie,
   Quand le soleil, vers d'autres cieux, a pris son vol,
   Allonge sa clarté laiteuse à fleur de sol ;
   Ô monstre de l'azur farouche, dont les râles
   Nous émeuvent autant que, dans les cathédrales,
   Le cri d'une trompette aux Élévations ;
   Aigle étourdi d'avoir erré sur les Hudsons,
   Parmi les grognements baveux des ours polaires ;
   Sublime aventurier des espaces stellaires,
   Où tu chasses l'odeur du crime pestilent ;
   Ô toi, dont la clameur effare un continent
   Et dont le souffle immense ébranle les étoiles ;
   Toi qui déchires les forêts comme des toiles ; 
   Vandale et modeleur des sites éblouis
   Qui donnent des splendeurs d'astres à mon pays,
   Je chanterai ton coeur que nul ne veut comprendre.
   C'est toi qui de blancheur enveloppes la cendre,
   Pour que le souvenir sinistre du charnier
   Ne s'avive en notre âme, ô vent calomnié !

   Ta force immarcessible ignore les traîtrises :
   Tu n'as pas la longueur énervante des brises
   Qui nous viennent, avec la fièvre, d'Orient,
   Et qui nous voient mourir par elle, en souriant ;
   Tu n'es pas le cyclone énorme des Tropiques,
   Qui mêle à l'eau des puits des vagues d'Atlantiques,
   Et dont le souffle rauque est issu des volcans ;
   Comme le sirocco, ce bâtard d'ouragans,
   Qui vient on ne sait d'où, qui se perd dans l'espace,
   Tu n'ensanglantes pas les abords de ta trace ;
   Tu n'as jamais besoin, comme le vent d'été, 
   De sentir le tonnerre en laisse à ton côté,
   Pour aboyer la foudre, en clamant ta venue. 
   Ô Vent épique, peintre inoui de la nue,
   Lorsque tu dois venir, tu jettes sur les cieux,
   Au-dessus des sommets du nord vertigineux,
   Le signe avant-coureur de ton âme loyale :
   Un éblouissement d'aurore boréale. 

   Et tu nous viens alors. Malheur au voyageur
   Qui n'a pas entendu l'appel avertisseur ! 

   Car toi, qui dois passer pour assainir le monde, 
   Tu ne peux ralentir ta marche une seconde :
   Ton bras-cohorte étreint l'infortuné marcheur ;
   Mais, tandis que le sang se fige dans son coeur,
   Tu rétrécis pour lui les plaines infinies ;
   Tu répètes sans fin pour lui les symphonies
   Qui montent de l'abîme arctique vers les cieux ;
   Tu places le mirage allègre dans ses yeux : 
   Il voit le feu de camp où le cèdre s'embrase
   Et la mort vient sur lui comme vient une extase.
   Demain, sur le verglas scintillant d'un ciel clair,
   La gloire d'une étoile envahira sa chair.

   Non, tu n'es pas, ô Vent du Nord, un vent infâme : 
   Tu vis, et comme nous, tu possèdes une âme.
   Comme un parfum de rose au temps du rosier vert,
   Tu dispenses l'amour durant les mois d'hiver.

   Car il vibre en ta voix un tel frisson de peine,
   Que l'esprit faible oublie, en l'écoutant, sa haine,
   Et durant ces longs mois où le jour est trop court,
   Quand tu chantes, ton chant fait s'élargir l'amour. 
   Il redit la douleur indistincte des choses
   Qui souffrent sous des cieux également moroses.

   Nul ne sait mieux que toi l'horreur de rôder seul
   Ou séparé de ceux qu'on aime ; le linceul 
   Étendu par la glace entre le ciel et l'onde
   Et le suaire épais des neiges sur le monde.
   Les cris de désespoir de l'Arctique, l'appel
   Poussé par la forêt que torture le gel,
   Toute la nostalgie éparse de la terre
   Pour le soleil, pour la chaleur, pour la lumière,
   Pour l'eau, pour les ébats folâtres des troupeaux,
   Et ton désir, jamais assouvi de repos,
   Tout cela, dans ton chant soupire et se lamente
   Avec un tel émoi d'espérance démente,
   Que nul n'en peut saisir toute la profondeur. 

   Sans toi, l'amour disparaîtrait durant ces heures
   Où l'hiver nous retient cloîtrés dans les demeures.
   Le tête-à-tête pèse et devient obsédant
   S'il ne plane sur lui quelque épouvantement.
   Sans toi, l'amant serait bientôt las de l'amante ;
   Mais quand ta grande voix gronde dans la tourmente,
   La peur unit les corps, l'effroi chasse l'ennui,
   Le coeur sent la pitié chaude descendre en lui,
   L'épaule ingénument recherche une autre épaule,
   La main transie, avec douceur, se tend et frôle
   Une autre main, la chair est un ravissement ;
   La mère sur son sein réchauffe son enfant,
   Et les époux, qu'avaient endurcis les années,
   Ont retrouvé soudain leurs caresses fanées.
   Le lit triste s'emplit des capiteux parfums
   Que répandaient jadis les fleurs des soirs défunts ;
   Le nuage de l'heure ancienne se dissipe ;
   Et dans l'étreinte ardente où l'âme participe,
   Comme le corps, parfois s'incrée un rédempteur.

   Ah ! si l'on te maudit, ô Vent libérateur
   Qui chasses loin de nous la minute obsédante,
   C'est qu'un désir secret de vengeance nous hante,
   Et ce qu'on hait en toi, c'est le pardon qui vient. 

________________


   Comme un vase imprégné des liqueurs qu'il contient,
   Ô Vent dont j'aspirai souvent la violence
   Durant les jours fougueux de mon adolescence,
   Je sens que, dans mon corps tordu de passions,
   Tu te mêles au sang des générations ! 
   Car mes aïeux, au cours de luttes séculaires,
   Subirent tant de fois les coups de tes lanières,
   Que ta rage puissante en pénétra leurs sens : 
   Nous sommes devenus frères depuis longtemps !
   Car, de les voir toujours debout devant ta face,
   Tu compris qu'ils étaient des créateurs de race,
   Et par une magie étrange, tu donnas
   La vigueur de ton souffle aux muscles de leurs bras !

   Le double acharnement se poursuit dans mes veines,
   Et quand je suis courbé sur quelques tâches vaines,
   Ô Vent, qui te prêtas tant de fois à mes jeux,
   Que résonne en mon coeur ton appel orageux.
   Je tiens autant de toi que d'eux ma violence,
   Ma haine de l'obstacle et ma peur du silence,
   Et, malgré tous les ans dont je me sens vieillir,
   De préférer encor l'espoir au souvenir ! 

   Hélas ! la Ville a mis entre nous deux ses briques,
   Et je ne comprends plus aussi bien tes cantiques,
   Depuis que j'en subis le lâche apaisement.
   L'effroi de la douleur s'infiltre lentement,
   Chaque jour, dans ma chair de mollesse envahie,
   Telle, entre les pavés, la fleur s'emplit de suie.

   Je sens des lâchetés qui me rongent les nerfs,
   Et ne retrouve plus qu'un charme de vieux airs
   À tes mots glorieux qui m'insufflaient des fièvres ;
   Un sourire sceptique a rétréci mes lèvres,
   Et je crains, quelquefois, qu'en m'éveillant, demain,
   Je ne sente mon coeur devenu trop humain ! 

   Ô Vent, emporte-moi vers la grande Aventure.
   Je veux voir la force âpre de la Nature,
   Loin, par-delà l'encerclement des horizons
   Que souille la fumée étroite des maisons ! 
   Je veux aller dormir parmi les cimes blanches,
   Sur un lit de frimas, de verglas et de branches,
   Bercé par la rumeur de ta voix en courroux,
   Et par le hurlement famélique des loups ! 

   Le froid et le sommeil qui clorent mes paupières
   Me donneront l'aspect immuable des pierres ! 
   Ô rôdeur immortel qui vas depuis le temps,
   Je ne subirai plus l'horreur ni les tourments
   De l'âme enclose au sein d'un moule périssable ;
   J'oublierai que ma vie est moins qu'un grain de sable
   Au sablier des ans chus dans l'Éternité !

   Et quand viendront sur moi les vagues de clarté
   Que l'aube brusquement roulera sur mon gîte,
   Je secouerai l'amas de neige qui m'abrite ;
   Debout, je humerai l'atmosphère des monts,
   Pour que sa force nette emplisse mes poumons,
   Et, cabré sur le ciel que l'aurore incendie,
   Je laisserai ma voix, comme ta poudrerie, 
   Descendre sur la plaine en rauques tourbillons,
   Envelopper l'essaim maculé des maisons,
   Afin que, dominant le bruit de ton blasphème,
   Je clame au monde veule, ô mon Vent, que je t'aime !

                                       Alfred DesRochers (1929)




Tiré de : Alfred DesRochers, À l'ombre de l'Orford, Montréal, Librairie d'Action canadienne-française, 1930, p. 91-99. 

Pour en savoir plus sur Alfred DesRochers, voyez la présentation du texte de sa conférence donnée en 1953 à Montréal, Pleins feux sur nos lumières poétiques occultées

D'Alfred DesRochers, les Poésies québécoises oubliées ont également présenté : ― Je suis un fils déchu et ― Ode au soleil d'hiver


Première édition littéraire (1930) du recueil
À l'ombre de l'Orford, d'Alfred DesRochers,
d'où est tiré l'Hymne au Vent du Nord, ci-haut.
Son lancement est considéré comme ayant
été un moment important de l'histoire littéraire
du Québec, comme on peut le voir ICI.

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On peut de nos jours se procurer dans toute
bonne librairie, et à bas prix, cette édition
de poche du recueil À l'ombre de l'Orford.
(Informations ICI).  

Dédicace manuscrite d'Alfred DesRochers à son
petit-fils Vincent, dans une édition de 1974 de son
recueil L'Offrande aux vierges folles.

(Collection Daniel Laprès ;
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Alfred DesRochers, dans les années 1960, avec sa fille, la
comédienne, humoriste et chanteuse Clémence DesRochers.

(Photo : Antoine Désilets ; source : BANQ ;
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Alfred DesRochers repose, « À l'ombre de l'Orford »,
au cimetière de Saint-Élie-d'Orford.

(Photo : Daniel Laprès, juillet 2018 ;
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La correspondance entre Louis Dantin et Alfred
DesRochers
 est une riche source d'informations
qui fait découvrir le foisonnement de la vie
littéraire québécoise de la première moité du
XXe siècle. Pour informations, voyez ICI.


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de Nos poésies oubliées, un volume préparé par le concepteur 
du carnet-web des Poésies québécoises oubliées, et qui présente
100 poètes oubliés du peuple héritier de Nouvelle-France, avec
pour chacun un poème, une notice biographique et une photo
ou portrait. Pour se procurer le volume par Paypal ou virement 
Interac, voyez les modalités sur le document auquel on accède
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