Georges Lemay (1857-1902) (Sources : Musée de la civilisation du Québec ; fonds Henri-Arthur Scott) |
Le vent qui souffle à travers la prairie
Lèche en passant le gibet d'un pendu.
Le cœur est froid, mais la lèvre flétrie
Murmure encore : Les lâches m'ont vendu !
Ils m'ont vendu pour sauver leur pitance,
Pour ce clinquant qu'on nomme croix d'honneur.
Pour faire hélas ! pardonner leur naissance
Ils n'ont pas craint l'éternel déshonneur !
Ils m'ont livré, méprisant vos prières,
Ils ont tressé la corde du bourreau ;
Ils se sont faits les valets des sectaires,
Trinquant ensemble aux pieds de l'échafaud.
Entendez-vous le chant des orangistes
Qui, plein d'espoir, célèbrent mon trépas :
« Nous marcherons dans le sang des papistes,
Nous foulerons leurs crânes sous nos pas ! »
Ai-je plus fait que défendre mes frères,
Dépossédés par des nouveaux venus,
Que réclamer, sur ce sol de nos pères,
Un coin de terre et des droits méconnus ?
Et quand un jour, fatigués d'injustice,
Nos gens émus élevèrent la voix,
On cria : « Mort à la race métisse ! »
On nous traqua jusqu'au fond de nos bois.
Vous souvient-il de ce jour homicide
Où leur Crozier se lança contre nous ?
Qui commença ce duel fratricide ?
Vous qui pendez, dites, le savez-vous ?
Ils ont frappé des blessés sans défense,
Ils ont pillé, puis brûlé nos maisons,
Et quand nos voix implorent leur clémence,
Ils n'ont pour nous que gibets et prisons.
Dors, ô Riel ! tranquille au cimetière,
Le gibet donne à ta cause un martyr.
Un cri vengeur s'élève de ta bière
Que tout leur or ne fera que grandir :
Le vent qui passe à travers nos campagnes
Longtemps dira : « Les lâches l'ont vendu ! »
Longtemps aussi l'écho de nos montagnes
Répètera : « Les lâches l'ont pendu ! »
Georges Lemay* (1886)
Tiré de : Georges Lemay, Chant du Métis, Québec, Presses de La Justice, 1886.
* Georges Lemay est né à Saint Paul (Minnesota) le 1er janvier 1857, de Joseph Octave Lemay, député au parlement du Manitoba, et de Camille Auger. La famille Lemay était originaire du comté de Lotbinière. Il fit ses études classiques au Collège de Saint-Boniface (Manitoba) puis, de 1870 à 1877, au Petit séminaire de Québec. De 1881 à 1884, il étudia le droit à l'Université Laval de Québec, mais délaissa la profession d'avocat pour laquelle il ne se sentait guère de goût et dont il ne prit pas les degrés à la fin de son cycle d'études.
Dès avant la fin de ses études, il se lança dans le journalisme, collaborant tour à tour au Journal de Québec, à L'Événement et au Canadien. En 1885, lors de la scission du parti conservateur sur l'affaire Riel, il entra comme secrétaire de la rédaction au journal pro-Riel La Justice.
En 1884, il publia à Québec un recueil de nouvelles et de récits, Petites fantaisies littéraires, qui fut remarqué par la critique.
Après avoir épousé à Québec, en 1885, Louise-Henriette, fille d'Hubert Larue qui fut son professeur de chimie au Petit séminaire, il partit s'établir à New York en 1887 et y fonda Le Canada, dans lequel il combattit les partisans de l'annexion du Canada aux États-Unis et pourfendit la servilité des émigrants canadiens-français, mais le journal ne survécut que six mois. Sous le pseudonyme « Edmond Dantès », il collabora au journal canadien-français Le National, de Plattsburgh (New York), dont il devint le rédacteur en chef en mai 1888. Il revint à New York en 1889, où il fut, l'année suivante, cofondateur et rédacteur en chef du New York Canada, un autre journal de langue française. En 1894, il lança La Revue, qui disparut l'année suivante.
Las de la précarité du journalisme canadien-français aux États-Unis, il prit en janvier 1891 un emploi de fonctionnaire au département des travaux publics de la ville de New York, mais il perdit ce poste en 1895, quelques mois après l'arrivée au pouvoir du parti adverse au sien.
Il se fit dès lors professeur de langue française. Musicien doué, il enseigna aussi le piano, la flûte, le cornet, instruments dont il était réputé jouer avec grand talent. Il fut également organiste à l'église Saint-Jean-Baptiste de New York, qui tenait lieu de paroisse aux Canadiens-français expatriés. Il fut dit de lui : « Un homme dont on peut dire qu'il passa comme un brillant météorite dans le firmament de l'intelligence est M. Georges Lemay. […] Il rédigea le National pendant neuf mois, et le journal acquit alors une réputation méritée par les articles vigoureux et au style châtié qu'y écrivait M. Lemay. […] À ses talents littéraires M. Lemay joignait un goût remarquable pour la musique, et il était surtout flûtiste très distingué. Comme tel il était une précieuse acquisition pour les orchestres ».
Georges Lemay est mort à New York le 17 avril 1902. Il était âgé de quarante-cinq ans. Il a été inhumé dans le cimetière du Calvaire, à New York.
(Sources : Joseph-Edmond Roy, Souvenirs d'une classe au Séminaire de Québec 1867-1877, Lévis, 1905, p. 12-16 ; Alexandre Bélisle, Histoire de la presse franco-américaine, Worcester (Massachusetts), Ateliers typographiques de L'Opinion publique, 1911, p. 167 ; Culture des futurs ; Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec, Montréal, Fides, 1980, p. 572 ; La Justice, 3 juillet 1890 ; L'Étoile du Nord, 5 février 1891).
Pour en savoir plus sur Georges Lemay, voyez le portrait
qu'a écrit à sa mémoire son confrère du Séminaire de Québec,
l'historien Joseph-Edmond Roy, dont les Poésies québécoises
oubliées ont publié le poème Ville et village, en cliquant
sur cette illustration :
Dédicace manuscrite de Georges Lemay dans son livre Petites fantaisies littéraires, paru en 1884. Pour télécharger ce volume, cliquer ICI. (Collection Daniel Laprès ; cliquer sur l'image pour l'agrandir) |
En plus de ses talents littéraires, Georges Lemay était réputé excellent musicien. Ce portrait est tiré d'une photo de groupe de la Société musicale Sainte-Cécile du Petit séminaire de Québec, année 1873-74. (Source : Fonds d'archives du Séminaire de Québec) |
Georges Lemay assis et tenant la flûte, membre du Quintette Laverdière, fondé en 1873, du Petit Séminaire de Québec. (Source : Fonds d'archives du Séminaire de Québec) |
Georges Lemay (Source : Alexandre Bélisle, Histoire de la presse franco-américaine, Worcester (Mass.), L'Opinion publique, 1911) |
Le Chant du Métis, dont le texte est présenté
ci-haut, est une chanson dont la musique et
les paroles ont été composées par Georges
Lemay. Pour en consulter ou télécharger
la partition musicale et le texte tel que
publié en 1886, cliquer sur la
couverture de l'œuvre :
Dans un chapitre de son ouvrages Petites fantaisies littéraires,
paru en 1884, Georges Lemay prend fait et couse pour Louis
Riel et le combat des Métis de l'Ouest. Pour consulter ce texte,
cliquer sur la couverture du livre :
Parlant de nos poètes d'antan et oubliés, l'écrivaine Reine Malouin
(1898-1976), qui a longtemps animé la vie poétique au Québec, a
affirmé que sans eux, « peut-être n'aurions-nous jamais très bien
compris la valeur morale, l'angoisse, les aspirations patriotiques,
la forte humanité de nos ancêtres, avec tout ce qu'ils ont vécu,
souffert et pleuré ».
Les voix de nos poètes oubliés nous sont désormais rendues.
Le concepteur de ce carnet-web a publié l'ouvrage en deux
tomes intitulé Nos poésies oubliées, qui présente 200 de
de nos poètes oubliés, avec pour chacun un poème, une
notice biographique et une photo ou portrait. Chaque
tome est l'objet d'une édition unique et au tirage limité.
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ouvrage qui constitue une véritable pièce de collection,
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Merci de faire survivre notre culture et raviver notre mémoire.
RépondreSupprimerCe que tout les Métis devraient savoir
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