mardi 30 janvier 2018

Paysage nocturne

Arthur Lacasse (1869-1956)

(Source : Le défilé des heures,1938)





        Minuit vient de sonner. Tout dort. L'ombre enveloppe
        En son voile confus les maisons et les prés...
        Plus de rires bruyants sous l'auvent de l'échoppe ;
        Seul le ruisseau bruit dans les aulnes pourprés.

        Dans la forge où, de grand matin, le feu rougoie,

        Tenailles, lourds marteaux, pinces, gisent épars ;
        L'âtre noir, sans chaleur, semble un foyer sans joie,
        Et les limes ont tu leurs grincements criards. 

        La ferme, tout à l'heure active et bourdonnante,

        Sommeille. Au râtelier ronflent les ardennais
        Herses et tombereaux sont, depuis la brunante,
        Remisés sous le porche où pendent les harnais. 

        Déliés de leur joug, les boeufs, dans l'herbe grasse,

        Repus et ruminant encore, se sont couchés ; 
        Plus loin, des agneaux blancs, groupés, paupière lasse,
        Dans un repli du sol sont à demi cachés. 

        Sinueuse et grisâtre au pied de la montagne,

        La route même, où rien ne bouge, est au repos. 
        Sa tâche, chaque soir, finit, à la campagne, 
        À cette heure paisible où dorment les troupeaux.

        Mais le jour lui fut dur : voyez, le long des haies, 

        Où les boeufs ont tiré des chariots penants
        Ces ornières, ces trous, béants comme des plaies
        Qu'oublieront de panser les rudes paysans !

        Sur l'épaisse forêt que l'ombre à mes yeux cache,

        Plane un morne silence, et mon oreille, en vain, 
        Voudrait ouïr encore le han sec de la hache
        Qu'un bras solide enfonce au tronc vibrant du pin. 

        Ainsi que le chemin, la forêt se repose

        Jusqu'à l'aube nouvelle où le travail reprend ; 
        Et les souples rameaux que la bruine arrose
        Épandent dans l'air leur parfum odorant. 

        Dans les aulnes, discret, toute clameur éteinte,

        Le ruisseau chante encore... Puis, dans la nuit, soudain,
        Un roulement très doux s'élève : c'est la plainte
        Du froment que meurtrit la meule du moulin. 

                                    Arthur Lacasse* (1938)




Tiré de : Abbé Arthur Lacasse, Le défilé des heures, Québec, 1938, p. 87-88.

* Arthur Lacasse est né le 7 octobre 1869 à Saint-Anselme. Ordonné prêtre le 20 mai 1894 dans sa paroisse natale. Il a été, successivement, vicaire à Saint-Michel-de-Bellechasse, au Château-Richer, à Saint-Joseph-de-Beauce, à Saint-Augustin-de-Desmaures, puis curé de Honfleur, de Saint-Tite-des-Caps, de Saint-Apollinaire et de Saint-Henri-de-Lévis, où il est décédé le 15 juin 1956. 
   Féru de littérature et des arts, il a publié trois recueils de poésies : Heures solitaires (1916), L'envol des heures (1919) et Les heures sereines (1927). Le défilé des heures, paru en 1938, contient plusieurs pièces parues dans ces trois recueils, de même que certains poèmes inédits. 

D'Arthur Lacasse, les Poésies québécoises oubliées ont également publié : À la mémoire de Pamphile Le May.


Illustration accompagnant le poème Paysage
Nocturne
, dans le recueil Le défilé des heures.
L'oeuvre est signée Valfleuri, nom d'artiste de
Sr Marie-du-Divin-Coeur, O.P., de Québec.


(Cliquer sur l'image pour l'agrandir)  

Le défilé des heures, recueil d'où est
puisé le poème Paysage nocturne.


(Cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Dédicace d'Arthur Lacasse dans son recueil Le défilé des heures.

(Collection Daniel Laprès ; cliquer sur l'image pour l'agrandir)


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vendredi 26 janvier 2018

Le crapaud et l'éphémère

Charles Laberge (1827-1874)

(Source : BANQ)




   Il était une fois, au bord du Saint-Laurent,
   Par un beau jour d'été, sous un soleil ardent, 
   Un pauvre travailleur, venu là dès l'aurore,
   Qui faisait rebondir et rebondir encore
            Un lourd marteau d'acier
            Sur le flanc d'un rocher. 

   Mille coups impuissants retombant en cadence, 
   Ébranlaient les échos sur le rivage immense ; 
   De son bras musculeux, il martelait en vain ;
   Il était aux abois !... mais que voit-il soudain ?
   Le rocher, tout meurtri, s'entrouvrir et se fendre,
   Au milieu des débris, la lumière surprendre
   Un crapaud renfermé dans l'étrange cachot
   Où, pressé, comprimé comme dans un maillot,
   Il avait si longtemps, en triste solitaire, 
   Passé sa longue vie : bien des fois centenaire,
   Et pour sûr assez vieux pour avoir vu Cartier

   Hors de lui, le captif se met à gambader,
   Sans mesure, sans frein, comme pris de folie, 
   Puis s'arrête, admirant la richesse infinie
   Du gazon qu'autrefois, jeune et naïf enfant,
   Il foulait si joyeux !... Puis, encore avançant, 
   Il procède par bonds, puis encore il rumine, 
   Et se trémousse tant et si longtemps festine,
   Qu'une douce langueur l'invitant au sommeil,
   Il se gonfle, s'étend et s'endort au soleil.

   Un insecte, par là, voltigeant d'aventure, 
   Pour se poser plus haut, le choisit pour monture ; 
   En sentant l'aiguillon, se réveille en sursaut,
   Comme un taureau blessé, le paresseux crapaud. 
   ―« Impudente ! dit-il, tout rouge de colère...
   Tu m'oses insulter, misérable éphémère ! 
   Sais-tu que j'ai hanté l'Iroquois, l'Algonquin, 
   Le Huron, le Sioux, et l'immortel Champlain
   Dont les deux continents se disputaient la gloire ; 
   De cent fières tribus, j'ai vu la sanglante histoire ; 
   Que j'ai connu Le Rat, le plus grand des guerriers,
   Et que j'ai barbotté dans les plus vieux bourbiers ? 
   Et sans plus de respect pour mon dos séculaire,
   Toi, vil être d'un jour, à peine sur la terre,...
   Sur lui tu t'ébattrais !... Tu m'oses provoquer !
   Mais sais-tu que je puis d'un seul coup te croquer ? » 

   ―« Vénérable crapaud, lui répondit la belle, 
   Vous êtes, par ma foi, d'une humeur trop cruelle ; 
   À votre âge, monsieur, cela n'est pas séant ;
   De grâce, calmez-vous, et parlons sensément. 
   Peut-être, de mille ans, surpasses-tu mon âge,
   Mais comment passas-tu ce temps, illustre sage ?
   Accroupi, ramassé dans le creux d'un caillou,
   Tu coulas tes beaux jours dans cet ignoble trou,
   Sans jamais des crapauds, tes proches et tes frères, 
   Partager les labeurs, soulager les misères. 
   Tu hantais l'Iroquois,... mais du fond d'un ruisseau,
   Quand Le Rat combattait,... à l'abri d'un roseau
   Tu comptais les blessés. Est-ce beaucoup de gloire
   D'avoir vu de bien loin, sans danger, la victoire ?
   Je suis jeune, il est vrai : mais j'ai déjà connu
   Le travail et l'amour, le plaisir, la vertu,
   Je suis mère, déjà ; pour ma progéniture
   Je travaille, écoutant la voix de la nature, 
   Courant, sautant, volant, et n'ayant de repos
   Que je n'aie amassé la charge de mon dos. 
   Si pour faire le bien, de ton cerveau rebelle
   Tu ne peux rien tirer, sers au moins d'escabelle.
   Au soleil tu brillais d'un éclat mensonger, 
   Et vers toi j'accourus. Mais c'est assez flâner,
   Je retourne au travail, riant de ta colère...
   J'ai des ailes, vois-tu ; ... cours après l'éphémère ! »...

   L'insecte s'envola. Le reptile à l'instant,
   De rage plein, dit-on, mourut en écumant. 
                                            ____

               À quoi sert la science,
               L'âge et l'expérience, 
   Si ce n'est pour le bien ? Les talents sont un prêt : 
   À Dieu le capital, au prochain l'intérêt.
                                             ____  

               N'est-il pas sur la terre
               Maints bipèdes hargneux,
               À l'encolure fière,
               Bien plus lâches que vieux ;
   Dormant sur leur avoir, au milieu de leur vie ;
   À l'heure du danger, laissant là leur patrie
   Quand ils sont bien repus ; mais crevant de fureur
   Quand la jeunesse veut pour eux avoir du coeur ?

                                    Charles Laberge (1853) 




Tiré de : La littérature canadienne de 1850 à 1860, tome 2, Québec, G. et G. E. Desbarats Imprimeurs-Éditeurs, 1864, p. 221-223. 

Pour en savoir plus sur Charles Laberge, cliquer ICI


La fable poétique Le crapaud et l'éphémère
est parue en 1864 dans le tome 2 de
l'anthologie La littérature canadienne de
1850 à 1860
, publiée sous les soins de la
revue Le Foyer canadien.

(Cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Charles Laberge

(Source : Laurent-Olivier David, Souvenirs et
biographies
, Montréal, Beauchemin, 1911)

Charles Laberge en 1874, année de sa mort à l'âge de 46 ans.

(Source : BANQ ; cliquer sur l'image pour l'agrandir)


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mardi 23 janvier 2018

Viens voir neiger

Francis DesRoches (1895-1979)

(Source : J.-Arthur Lemay,
Mille têtes, 1931)




   La neige tourbillonne
   Vite, mets ton manteau !
   Viens voir neiger, mignonne,
   Viens voir comme c'est beau !...
      
   Sous ta claire voilette
   Cache ton gai minois ; 
   Allons voir la toilette 
   Si blanche des grands bois !...

   D'une chaude fourrure 
   Protège bien ton cou ; 
   Entends sous la ramure
   Le vent qui fait froufrou. 

   Abrite tes menottes 
   En ton épais manchon ; 
   Écoute un peu les notes
   De ce vent folichon

   Chère, je t'aime toute ! 
   Allons, viens à mon bras ; 
   Allons voir sur la route
   La neige, pas à pas. 

   Regarde sur la plaine
   Tous ces blancs papillons ; 
   Vois la campagne pleine
   De blancheurs, de rayons. 

   La neige flotte et tombe
   Blanche indéfiniment ! 
   Ô duvet de colombe
   Qui vire éperdument !...

   Elle revêt les chênes
   D'un manteau de velours,
   Et de ses blanches chaînes
   Enlace nos amours...

   Comme un violoncelle 
   Le vent gémit là-bas ; 
   La neige s'amoncelle
   Au bord des champs, en tas. 

   Tout n'est plus que lumières,
   Reflets des blancs cristaux,
   Les routes, les chaumières,
   Les vallons, les coteaux. 

   Sous la fine avalanche
   De la mousse des cieux,
   M'amie est toute blanche,
   Oh ! si blanche à mes yeux !...
       
   Et la neige qui frôle
   Ta lèvre de satin
   Donne un petit air drôle
   À ton rire mutin...

   Allons, ma Fleur de Givre,
   Reviens vite au foyer
   Sur les chenets de cuivre
   Chauffer ton petit pied...

   Et là, devant les flammes
   Et leur bonne chaleur,
   Nous ferons pour nos âmes
   Un Rêve de Blancheur !...

            Francis DesRoches (1920) 



Tiré de : Francis DesRoches, Brumes du soir, Québec, Imprimerie de L'Action Sociale, 1920, p. 114-117. 

Pour en savoir plus sur Francis DesRoches, cliquer ICI.


Brumes du soir, recueil de poésies de
Francis Desroches, publié en 1920 et 

d'où est tiré le poème Viens voir neiger.

(Cliquer sur l'image pour l'agrandir) 


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vendredi 19 janvier 2018

La mort d'un hêtre

René Chopin (1885-1953)

(Source : Les Herbes Rouges)




   Encore dans sa force au milieu de notre âge
   Cet arbre avait vécu l'histoire du vieux bourg ; 
   De son front végétal il pleuvait de l'ombrage
   Sur l'enclos obstrué d'une sordide cour. 

   J'aimais le déploiement de sa plus longue branche
   À l'angle du toit proche et plat de la maison,
   Et pour y respirer l'odorante avalanche
   Ma fenêtre s'ouvrait comme un large poumon. 

   Je me le figurais un sage invulnérable
   À qui le Temps octroie une immortalité : 
   La peuplade planta sa tente misérable
   Avant qu'autour de lui s'élargît la cité. [...]

   J'imaginais en mai l'arbre qui se réveille,
   À travers ses canaux la sève qu'il filtrait ;
   Ses feuilles à l'été semblaient autant d'oreilles
   Qui rassemblent les bruits épars de la forêt.

   Le dégoulinement d'une chute de pluie
   En glissant sur son fût longuement le trempait,
   Mais son écorce nue à l'aube qui l'essuie
   Des linges bleus qu'agite un vent d'ouest se drapait. 

   Masques de l'infini, les malfaisantes lunes
   Troublèrent son repos de leurs songes glacés ; 
   Par les blancs févriers ses branches une à une
   Gémirent sous l'étau des minuits verglacés. [...] 

   Le hêtre, en liberté poussé dans la broussaille,
   Dôme à la fois tourné vers les quatre horizons,
   Vit sur lui-même enfin se fermer la muraille
   De la ville étouffante ainsi qu'une prison. 

   La nostalgie hanta sa cîme forestière,
   Il fut un beau captif qui s'évade en hauteur ;
   Entre les toits aigus, corniches et gouttières,
   Il souleva son grand faîte dominateur. [...] 

   Moi seul j'aurai compris la noblesse du hêtre
   Inutile au vieux bourg bruyant et besogneux,
   Et qu'il était un sage et vénérable ancêtre
   Et le gardien du songe immuable des dieux. 

   Lorsque fond à midi le bitume des rues,
   Que transpire l'écorce et l'argile se fend,
   J'ai vu contre l'aïeul, ennemi des cohues, 
   S'abattre l'homme, armé de ruses, triomphant. 

    Le quartier en émoi peu à peu qui s'attroupe
    Applaudir à la mort du héros mutilé,
    Et j'entendis craquer les membres que l'on coupe,
    Et les cris des enfants aux ordres se mêler. 

    Ô prodige inouï de la lutte géante !
    L'arbre geint sous l'assaut, se tord, raidit ses noeuds,
    Et sa sève a giclé de l'entaille béante
    Jusqu'au front du bourreau dans un spasme haineux. 

    Les bûcherons, craignant sa soudaine revanche,
    Manièrent un jeu de corde habilement
    Qui balance une à une et courbe chaque branche,
    L'écartèle du tronc dans un déchirement. 

    J'ai vu l'éclatement des copeaux sous la hache, 
    Aller, courir la scie à morsure d'acier,
    Le fragile rameau qui rompt et se détache,
    S'accroche dans sa chute et tombe fracassé. [...] 

    Grands bois que la légende a peuplés d'ombres vaines,
    Berceaux mystérieux des cultes révolus,
    J'anticipe le soir des détresses humaines
    Et cet âge à venir où vous ne serez plus. [...] 

                                      René Chopin* (1933)



Extraits tirés de : René Chopin, Dominantes, Montréal, Éditions Albert Lévesque, 1933, p. 43-53


* « Poète, né au Sault-au-Récollet. Après ses études classiques au Collège Sainte-Marie, il fait son droit à l'Université Laval à Montréal, où il rencontre Paul Morin qui l'encourage à envoyer ses poèmes au [journal LeNationaliste. Reçu notaire en 1910, il va suivre des cours de chant à Paris, puis fait un bref séjour à Rome [...].
   De retour au Québec (1911), il exerce le notariat à Montréal. En 1913, à l'instigation de ses amis Paul Morin et Marcel Dugas, il publie un premier recueil de poésie, Le Coeur en exil, accueilli favorablement par la critique française et québécoise. Après la guerre de 1914, Le Nigog, La Revue moderne et L'Action [de Jules Fournierlui ouvrent leurs pages. En 1944, il devient critique littéraire au Devoir
   Sa poésie, deux recueils à vingt ans de distance, est sans équivalent à l'époque. Elle traite surtout de l'incompréhension et du rejet du poète par la société ; elle est dominée par l'inquiétude, marquée par l'angoisse de la solitude, mais elle aboutit à une sorte de paix dans la communion avec la nature. Les critiques ont souligné sa sensibilité, sa recherche des belles formes et des symboles, son culte de l'art. "Par la vigueur de la pensée, dit Louis Dantin, par le sens du mystère, par l'élan chaleureux, par l'éclat des images et la justesse des sons, les poèmes de René Chopin se marquent au cachet de la vraie poésie"».
 
(Source : Dictionnaire des auteurs de langue française en Amérique du Nord, Montréal, éditions Fides, 1989, p. 305). 

Le recueil d'où est tiré le poème La mort d'un hêtre.

(Cliquer sur l'image pour l'agrandir).
 

Décidace signée de la main de René Chopin dans
son recueil Dominantes.

(Collection Daniel Laprès ;
cliquer sur l'image pour l'agrandir). 

Les deux recueils de René Chopin sont devenus
très difficiles à trouver. Par contre, on peut
commander dans toute bonne librairie l'anthologie
Les exotiques, préparée par Sylvain Campeau et
qui contient de nombreux poèmes de René Chopin.
Pour informations, cliquer ICI
  

mardi 16 janvier 2018

Sous les branches

Gonzalve Desaulniers (1863-1934)

(Source : Les Contemporains : série de biographies
des hommes du jour
, 2e livraison, Montréal,
A. Filiatreault Éditeur, 1899, p. 140)




   Comme pour ramener mes vagues rêveries,
   À l'heure où le couchant étale ses pâleurs
   Et, des pentes du mont aux sillons des prairies,
   Verse ses derniers feux sur les dernières fleurs,

   Je vais au bois parmi mes compagnes, les branches.
   Les arbres sont de vieux amis et j'ai pour eux
   L'amour qu'ont les enfants pour l'aïeule aux mains blanches,
   Qui les endort avec des mots mystérieux.

   Je les connais, je sais leurs noms et leurs usages.
   Ils sont doux au rêveur comme ils le sont aux nids
   Quand l'ombre de leurs troncs patinés par les âges
   Rappelle les oiseaux que l'hiver a bannis. 

   Je leur parle et ma voix humaine les enchante.
   Ils me répondent par des sons que je comprends,
   Car le vent qui parfois dans leur ramures chante
   N'est que l'écho profond de leurs coeurs délirants. 

   Les arbres comme nous naissent, vivent et meurent ; 
   Ils ont des jours sans joie et des jours fériés
   Dans les feuilles que l'air agite et qui demeurent,
   Dans celles que la bise éparpille à leurs pieds. 

   Ils aiment comme nous les aubes sous leurs voiles,
   Les midis plus ardents, les nuits aux mille feux,
   Les heures de soleil et les heures d'étoiles,
   Eux qui boivent le sang d'un sol prodigieux. 

   Hélas ! ne laissons plus, par des mains étrangères,
   Découronner nos bois où la source a pleuré,
   Ces bois que les étés tapissent de fougères
   Et dont l'aède, tant de fois, s'est inspiré. 


                                      Gonzalve Desaulniers (1930)




Tiré de : Gonzalve Desaulniers, Les bois qui chantent, Montréal, Librairie Beauchemin Limitée, 1930, p. 187-189.

Pour en savoir plus sur Gonzalve Desaulniers, cliquer ICI


Les bois qui chantent, recueil contenant le poème Sous les branches

(Cliquer sur l'image pour l'agrandir).

Homme sensible et généreux, Gonzalve Desaulniers est toujours resté
proche du poète Émile Nelligan. On l'aperçoit debout à gauche, en 1932,
chez lui dans le quartier Ahuntsic, à Montréal, en compagnie de sa fille,
de l'écrivaine Anne-Marie Gleason-Hughenin (nom de plume "Madeleine"), 

d'Émile Nelligan (assis) et du comédien Camille Ducharme.

(Source : La vie littéraire au Québec, tome VI, Québec, Presses de
l'Université Laval, 2010, p. 68 ; cliquer sur l'image pour l'agrandir).


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samedi 13 janvier 2018

Contre la paresse intellectuelle

Michel Bibaud (1782-1857)
(Source : Le Répertoire national, vol. 1)


                 
          [...] La paresse, souvent, du corps passe dans l'âme : 
          Tel n'est pas paresseux pour orner sa maison,
          Arroser son jardin, recueillir sa moisson. 
          Cultiver son esprit ? ­... Ah ! c'est une autre chose ; 
          On ne peut s'y résoudre, on le craint, on ne l'ose. 
          On est fier d'un verger, d'un champ, d'un palefroi,
          D'un chien ; de son esprit, nullement. Loin de moi
          Le dessein de parler contre l'agriculture ; 
          Cet art est le premier qui fut dans la nature : 
          Il fait jaunir les champs, fait fleurir les jardins ; 
          Il embellit la terre, et nourrit les humains,
          Enrichit le pays, entretient le commerce : 
          Honneur donc, et profit à quiconque l'exerce. 
          Mais devons-nous toujours soumettre l'âme au corps, 
          Négliger le dedans pour parer le dehors ? [...]
          
          Oh ! combien ce pays renferme d'ignorants 
          Qu'on aurait pu compter au nombre des savants,
          S'ils n'eussent un peu trop écouté la Paresse,
          Et s'ils se fussent moins plongés dans la mollesse !
          Combien, au lieu de lire, d'écrire, de travailler, 
          Passent le temps à rire, ou jouer, ou bâiller ! 

          À l'exemple voisin des dix-huit républiques*,
          Vit-on jamais ici des corps académiques ?
          Privé d'un tel secours, ce qu'on apprit, enfant,
          On l'oublie et le perd souvent en vieillissant ; 
          Surtout quand, à cet âge, étudiant par force, 
          On n'a pu du savoir attraper que l'écorce. 
          Quand se réveilleront nos esprits cagnards ?
          Quand étudierons-nous la nature et les arts ?

          La Paresse nous fait mal parler notre langue : 
          Combien peu, débitant la plus courte harangue,
          Savent garder l'ordre et le vrai sens des mots,
          Commencer et finir chaque phrase à propos.
          Trop souvent au milieu d'une phrase française,
          Nous plaçons sans façon une tournure anglaise : 
          Presentment, indictment, impeachment, foreman,
          Sheriff, writ, verdict, bill, roast-beef, warrant, watchman
          Nous écorchons l'oreille avec ces mots barbares,
          Et rendons nos discours un peu plus que bizarres

          [...] Pour croître, entretenir, préserver l'ignorance,
          La Paresse produit la triste insouciance : 
          Cet être à l'air nigaud, aux regards stupéfaits,
          Du présent, du futur ne s'occupe jamais. 
          L'insouciant voit tout, entend tout sans rien dire,
          Et même d'un bon mot jamais il n'a su rire. 
          En tout temps, en tout lieu, il se tient coi,
          Et tout ce qu'il sait dire est : "Que m'importe à moi ?"
          Il verrait l'incendie aux coins de sa patrie ; 
          Ou son père, ou sa mère, ou sa femme périe ; 
          Les villes, les moissons, les vergers embrasés ; 
          La moitié des humains sous leurs toits écrasés ; 
          L'autre moitié criant, pleurant, mourante ou morte, 
          Ladre, il serait muet, ou dirait : "Que m'importe ?"
          
          De froids indifférents ici le nombre est grand,
          Et semble, qui pis est, aller toujours croissant. 
          Ailleurs, l'indifférence est fruit de la détresse ; 
          Elle est, dans ce pays, fille de la Paresse. 
          Qui dit indifférent dit encore paresseux. 
          Peut-être devrais-je faire un récit affreux
          Des malheurs qu'ont produits et la mère et la fille, 
          Et tous les alliés de la triste famille,
          En tous lieux, en tous temps, et dans tous les états ; 
          Mais si je commençais, je ne finirais pas,
          Tant de ces maux divers la mesure est immense. [...]

                                       Michel Bibaud (1830) 


Tiré de :  Le Répertoire national, vol. 1, Montréal, J. M. Valois & Cie Libraires-Éditeurs, 1893, p. 122-124. 

* À l'époque de la composition de cette satire, l'Union américaine ne comprenait que dix-huit États.    

Pour en savoir plus sur Michel Bibaud, cliquer ICI.


Le poème satirique Contre la paresse, d'où est tiré l'extrait ci-haut,
est paru pour la première fois dans un recueil imprimé en 1830 par
Ludger Duvernay. Premier recueil de poésies à avoir été publié
au Québec, il a été réédité en 2003 par les éditions Les Herbes
Rouges et on peut encore se le procurer dans toute bonne librairie.
Pour informations, cliquer ICI. (Cliquer sur l'image pour l'agrandir).

mercredi 10 janvier 2018

Les marches naturelles de la rivière Montmorency


Anna Duval-Thibault (1862-1958)

Source : Dictionnaire des auteurs franco-
américains de langue française
.





   En ce lieu la rivière est rapide et méchante ; 
   C'est un torrent fougueux qui bondit de courroux
   Et présente au regard de sinistres remous,
   Où tournoie en grondant une onde menaçante.
 
   Dominant le flot noir qui s'agite au-dessous,
   Resserré par la pierre à l'étreinte puissante,
   Deux profondes forêts à l'ombre verdoyante
   Ont dressé, sur ses bords, leurs empires jaloux. 

   Entre l'eau furieuse et les sapins antiques,
   S'élèvent dans le roc ces degrés fantastiques,
   Qui s'étendent au loin sous le firmament bleu. 

   Et quand paraît la lune aux rayons pacifiques,
   Appelant à leurs jeux les ondines mystiques,
   Les esprits des bois verts s'ébattent dans ce lieu. 

                                Anna Duval-Thibault (1888) 



Tiré de : Anna Duval-Thibault, Fleurs du printemps, Fall River (Massachusetts), Société de publication de l'Indépendant, 1892, p. 9-10. 

Pour en savoir plus sur Anna Duval-Thibault, cliquer ICI.

Pour consulter ou télécharger gratuitement le recueil Fleurs du printemps, cliquer ICI.


Fleurs du printemps, recueil d'Anna-Marie
Duval-Thibault d'où est tiré son poème
Les marches naturelles de la rivière
Montmorency
, ci-haut.

(Cliquer sur l'image pour l'agrandir)


Deux photos datant de 1867 des Marches naturelles de la rivière Montmorency et publiées dans Québec éternelle, promenade photographique dans l'âme d'un pays, de Michel Lessard.
(cliquer sur les images pour les agrandir) :