dimanche 19 juillet 2020

L'escale

Charles-E. Harpe (1908-1952)

(Source : courtoisie Gaston Deschênes)




                                       I

   Levé de grand matin comme un chasseur avide
   Qui veut traquer la bête au piège des roseaux,
   À l'heure où l'aube étend sur le frisson de ses eaux
   Ses châles de lumière, altéré d'air languide
   Pour me soustraire au sort de vos sombres éthers,
   Hommes, qui ressemblez aux mollusques des mers
   Avec vos yeux rongés de larmes infécondes,
   Pour scalper vos cerveaux en poids sur mon cerveau,
   Boire un coup de soleil au bar du renouveau,
   Me rouler dans la joie et découvrir des mondes
   Conçus de beauté pure aux flancs des dieux en fleurs,
   Oublier le cancer des passives douleurs
   Qu'engendrent les puits secs de vos amours fanées,
   J'ai marché, le printemps, à vertes matinées,
   Comme un faune échappé d'un buisson de corail.
   La brise, déployant son magique éventail,
   Éprouvait sur mon corps le jeu de ses caresses ;
   Des fanfares d'oiseaux escortaient l'allégresse
   De répondre à l'écho des appels frémissants
   Venus du cœur d'avril aux sources de mon sang !

                                       II

   Saturé de pain dur, j'ai fui vos âmes closes
   Et les maux desséchants de vos orgueils blessés.
   Lorsque je vous parlais des pauvres angoissés
   Qui pleurent leurs désirs dans l'extase des roses
   Et dont le cœur, comme un vol bleu de clair matin,
   Monte vers le nuage en effleurant les ondes
   Pour y chanter sa peine et croire en son destin,
   Vous m'avez cru le fou déchu d'un autre monde,
   Quand je voulais soumettre à vos songes pervers
   La grâce d'une étoile au mirage d'un vers.

   Vous méprisiez l'enfant crispé de vos vacarmes.
   Et ne comprenant rien au miracle des larmes
   Autrement qu'en vos deuils, pleins de solennité,
   Vous méprisiez, gorgés de fausse humilité, 
   Le murmure émouvant d'une ode surhumaine,
   Me donnant, fossoyeurs, tout juste assez de chaîne
   Pour atteindre une fleur où le frais papillon
   Venait frôler mes doigts d'une aile vermillon. 

   Vous me teniez courbé vers l'auge des misères,
   Entre l'étroit couloir des mornes horizons,
   Dans le creux étouffant des sordides maisons
   Où l'on apprend la haine ainsi que des prières.
   Mais voilà que j'ai fui, tel un esclave heureux
   De respirer la vie en des sentiers d'aurore,
   Et voilà que je chante, et voilà que j'arbore
   Sur vos épuisements l'empreinte de mes dieux ! 

                                        III

   J'ai marché, le midi, dans la chaleur des routes,
   Rejetant le chagrin, la cruauté, le doute
   Et tout ce qui chargeait la cale de mon cœur ; 
   Plus léger qu'un frelon maraudant les ramures,
   Délivré de l'instinct des pénibles rancœurs, 
   J'ai goûté le grand large et l'auguste Nature,
   M'arrêtant quelquefois sous les pampres du jour
   Pour cueillir une grappe aux vignes de l'Amour.

   Enivré des subtils parfums de l'aventure,
   Prodigue d'un espoir vainement recherché
   Dans leur plaisir forain, crédule, j'ai marché,
   Écartant la rumeur des intimes rafales,
   Me penchant sur l'eau calme où des Narcisses pâles
   Regardaient en mes yeux l'éclat de leur péché. 

   Parfois, je m'allongeais sur la mousse odorante
   Et je fixais, ravi, le bruissant rideau
   Des feuilles, pour saisir l'envol d'une âme errante,
   Au vif scintillement d'une étoile filante
   Tombant en arc-en-ciel aux vasques du jet d'eau. 

   Soudain me semblait-il que les nymphes des plaines,
   En s'enchaînant la main, pour rythmer mon émoi,
   Dansaient la ronde sur des pieds de marjolaines
   Et puis venaient s'abattre en ruche autour de moi ;
   Tandis que des bosquets les faunes helléniques,
   Sur un mode troublant, tendre et sacramentel,
   Ourdissaient des complots sur leurs flûtes magiques
   Pour m'infiltrer le sang d'un poème immortel ! 

                                   Charles E. Harpe (1948)



Tiré de : Charles-E. Harpe, Les oiseaux dans la brume, Montmagny, Éditions Marquis, 1948, p. 17-22.

De Charles-E. Harpe, les Poésies québécoises oubliées ont également présenté : Le plus bel hymne à l'orgue des vivants ;  Voix de la solitudeGuirlande aux éprouvésÉté du ciel de mon enfanceClair de lune ; Chanson d'automnePrintemps.


Pour en savoir plus sur Charles-E. Harpe, 
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Le poème L'escale, ci-haut, est tiré du recueil
Les oiseaux dans la brume, de Charles-E. Harpe.

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