vendredi 24 décembre 2021

Noël pour une âme seule

Messe de Noël, par Clarence Gagnon (1881-1942)

(Source : René Boissay, Clarence Gagnon,
Saint-Constant, Héritage Broquet, 1988)




                                    I


   Noël ! joyeux Noël cher aux petits enfants,
   Noël des dodos bleus et des réveils magiques,
   Je sens mon cœur frémir de songes nostalgiques
   En écoutant l'écho des clochers triomphants.

   La lune s'est ancrée au grand mât de l'église,
   Échouée en plein mont sur des galets d'argent ;
   Et la douce clarté de son disque immergent
   Donne aux maisons l'aspect d'immobiles banquises.

   Secouant leurs grelots sur les chemins tracés
   Par-ci d'un arbre en givre et par-là d'épinettes,
   Sur la neige crissant leurs lisses violettes,
   Arrivent les traîneaux par des gens devancés.

   La nuit vibre soudain comme un globe sonore
   Sous l'airain de la cloche éveillant le hameau,
   Tel un air pastoral de quelque chalumeau,
   Pour saluer la sainte et solennelle aurore. 

                                    II

   J'ai suivi le cortège en marchant pas à pas
   Derrière la gaieté des villageois. Pensive, 
   Mon âme que la peine emporte à la dérive
   Enviait ce bonheur qui ne reviendra pas. 

   Bonheur de ces Noëls vécus dans la famille,
   En contemplant la vie avec des yeux fervents.
   Trop tôt s'élève, hélas, la tourmente des vents
   Au ciel de cette étoile où notre foi scintille. 

   En grandissant, les loups, de malheurs affamés, 
   Viennent hurler la mort autour des bergeries ;
   Il faut fuir le berceau des chastes rêveries,
   Chasser par l'ange en deuil des paradis fermés. 

   J'ai suivi le cortège... En cette heure éphémère,
   J'ai vu flamber la joie aux âtres des maisons. 
   En plaignant le destin des coureurs d'horizon,
   J'ai partagé le pain du bohème sans mère
    
   Pour lui réchauffer l'âme au sein du réveillon
   Qui fait tout oublier, les rancunes, les haines,
   Lorsqu'elle vient poser le baiser des étrennes
   Sur les fronts, comme un lis qu'effleure un papillon.

   Il s'en ira tout seul, plongé dans les ténèbres
   De son être engourdi par le froid lancinant.
   Aux autres le plaisir ! Le songe hallucinant
   Ranimera la cendre en ces pensers funèbres. 

   Noël ! joyeux Noël de l'amour triomphant,
   Noël des carillons, des intimes ripailles,
   Pitié pour les humains qui, le coeur sur la paille, 
   Pleureront cette nuit leurs souvenirs d'enfant !

                               Charles-E. Harpe (1944)



Tiré de : Charles-E. Harpe, Les oiseaux dans la brume, Montmagny, Éditions Marquis, 1948, p. 107-110.

Pour en savoir plus sur Charles-E. Harpe, voyez la notice biographique et les documents sous ses poèmes Voix de la solitude ; Le plus bel hymne à l'orgue des vivantsGuirlande aux éprouvés ; Printemps ; Été du ciel de mon enfance (cliquer sur les titres).

De Charles-E. Harpe, les Poésies québécoises oubliées ont également présenté : L'escale ; Chanson d'automne ; Clair de lune.

Voyez également le dossier sur Charles-E. Harpe
présenté par les Glanures historiques québécoises
en cliquant sur cette image : 


Les Oiseaux dans la Brume, recueil de
Charles-E. Harpe d'où est tiré le poème

Noël pour une âme seule, ci-haut.
.
(Cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Cette photo publiée dans Le Soleil du 2 août 1952 montre
Charles-E. Harpe moins de cinq minutes avant la crise
cardiaque fatale qui l'emportera. Il n'avait que 43 ans.

(Source : BANQ ; cliquer sur l'image pour l'agrandir)


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