samedi 11 décembre 2021

À la langue française

Carte postale officielle du premier congrès de la langue française au Canada, 1912. 
Le poème ci-dessous a été composé à l'occasion de la tenue du deuxième
congrès de la langue française
, en 1937.

(Source : Wikipedia ; cliquer sur l'image pour l'élargir)



                                     I

   Ô toi qui parfumas les lèvres des trouvères
   Comme l'arôme pur des tendres primevères ; 
   Toi qui gonflas l'ardeur de nos preux conquérants,
   Et qui berças d'amour la pâle châtelaine
   Rêvant à son époux en filant de la laine ;
   Toi qui trompais l'ennui des troubadours errants,
   Langue d'or, prête-moi ta musique sonore
                         Et ta clarté d'aurore. 

   Ô source cristalline où la Beauté s'admire, 
   Comme un beau soir d'été dans les ondes se mire,
   Je reviens savourer ton enivrant nectar ;
   Je viens baiser encor ton sourire impalpable, 
   Ô toi qui me donnas la torture adorable
   De sculpter l'infini dans le marbre de l'art,
   Toi dont le charme endort la tristesse éternelle,
                        Ô langue maternelle ! 

   Avec toute l'ardeur de mon âme naïve, 
   J'accours pour te chanter malgré ma voix craintive ;
   Oui, je vous chanterai, mots fluides et doux,
   Ô mots bleus, odorés de brises printanières,
   Comme de frais lilas saupoudrés de lumière.
   Car nous vous apprenons dans l'enfance à genoux,
   Et, comme les aïeux, nous implorons Marie
                        De garder la patrie.

                                     II

   Quand tout se fane et meurt, ô choses éphémères,
   Les roses d'un printemps, les chênes séculaires,
   Tu demeures toujours l'impassible rocher
   Qui regarde les flots rugir leurs lames vaines.
   Ta gloire a surmonté l'abattement des haines ;
   Elle a dompté l'obstacle ; elle vient chevaucher,
   Immortel cavalier, la monture des âges
                       Devant tes bardes sages.

   Un flambeau d'épopée éclaira ton enfance ;
   Les poètes, scrutant le sphynx de la souffrance,
   S'enfermèrent bientôt dans l'intime douleur ;
   Le vieux Ronsard, rempli du souffle de l'Hellène,
   Soupira la langueur sous les dédains d'Hélène
   La plainte de l'exil, comme un sanglot en fleur,
   S'épanouit à Rome et tourna vers la France
                       Son désir d'espérance. 

   La raison vint régir la scène protégée,
   Et ton astre atteignit alors son apogée :
   Corneille par ta voix exalta la vertu ;
   L'amour de ses secrets leva la gaze fine,
   Et le siècle applaudit l'adorable Racine ;
   Boileau légiféra, le dictateur têtu ;
   Le grand Molière apprit à voiler d'allégresse
                       Sa profonde tristesse. 

   L'art trop froid vit surgir une nouvelle aurore,
   Et ce pourpre horizon nous illumine encore ; 
   Hugo, le colossal enivré de ses vers,
   Lamartine, divin amant de l'harmonie,
   Musset, superbe écho d'un malheureux génie,
   Tous, chantres éperdus de leurs cœurs « univers »,
   Cherchèrent dans leurs pleurs le frisson des souffrances
                       Et des désespérances.

   Mais ces cygnes sont morts de leurs extases brèves,
   Enfouis aux blancheurs vaporeuses des rêves ;
   Et nous gardons encor leurs désirs infinis,
   Cette soif de beauté, l'aspiration vague
   Vers un idéal blanc qui sanglote et divague
   Dans l'azur de nos cœurs, par l'automne bannis
   Des royaumes divins où la grâce respire
                       Sur l'aile du zéphire. 

                                     III

   Des marins qui voguaient vers de nouvelles terres
   Furent jetés un jour sur nos bords solitaires.
   Leur amour t'emportait sur leurs lèvres de miel.
   Cette élite d'auteurs devint notre héritage
   Qu'il fallut protéger contre le fier sauvage.
   Ton amour fut si fort qu'avec l'aide du ciel
   Nous gardâmes toujours ton trésor grandiose
                       Digne d'apothéose.

   Dès qu'il posa le pied au seuil du Nouveau-Monde,
   L'ancêtre vit monter de la forêt profonde
   La sournoise rumeur des Peaux-Rouges haineux.
   Il dut lutter longtemps contre l'Indien farouche
   Qui hurlait la terreur de sa sanglante bouche. 
   Le massacre fuma, le colon fut fiévreux ;
   Mais jamais, ô ma Langue, il ne trahit son âme
                       Par une fuite infâme.

   Aux verts miroitements de l'Outaouais qui coule,
   La vague de ta gloire ondule et se déroule
   À travers les écueils des souvenirs lointains,
   Sans jamais se lasser et sans jamais se rendre
   À la chute écumante où la mort vient nous prendre ; 
   Toujours scintillera sur tes drapeaux dépeints
   L'emblème de nos cœurs, cette étoile de gloire : 
                       Dollard et sa victoire !

   Quand l'Anglais se dressa sur nos eaux canadiennes,
   Nos pères, fatigués des batailles indiennes
   Mais non découragés, tombèrent en héros,
   Offrant avec leur sang la coupe de leur vie
   Pour défendre l'honneur de notre colonie ; 
   Carillon, Sainte-Foy délèguent ces hérauts
   Qui disent à l'histoire un hymne de conquête
                       Aux lueurs d'une fête.

   Et vous, héros d'hier, légendaires rebelles
   Dont les yeux sont tournés vers des aubes nouvelles,
   Après avoir franchi les portes du tombeau,
   Défenseurs de nos droits, recevez nos hommages,
   Vous avez teint de sang nos émouvantes pages ;
   Car vous représentez le symbole si beau
   De la lutte de race, ô touchantes victimes
                       Du plus humain des crimes. 

                                     IV

   Sur les siècles courbée, ô ma langue ancestrale,
   Tu regardes mourir dans leur pâleur spectrale
   Les hommes qui s'en vont jouir des derniers jours,
   Étendant sur les fronts, partout, ton ombre immense,
   Comme un voile d'oubli qui couvre de silence
   Le poète rêveur, sa Muse et ses amours ; 
   Et tu souris, ô Langue, à sa prunelle douce 
                       Comme une lune rousse. 

   Les jours déferleront sur ta haute falaise
   Sans jamais la ronger, ô ma Langue Française ; 
   Tu sentiras toujours un vent d'éternité
   Frôler ton roc puissant d'une aile énigmatique ;
   L'avenir tournera son regard nostalgique
   Vers le Phare éclatant de ton Verbe exalté ;
   Et l'oeil contemplera dans ta splendeur féconde
                       L'ascension d'un monde. 

                                  Lionel Dessureaux* (1937)



Tiré de : livret de fin d'année du Séminaire Saint-Antoine du Collège séraphique de Trois-Rivières, Trois-Rivières, 1937, p. 27-30.

*  Lionel Dessureaux est né à Sainte-Geneviève-de-Batiscan le 28 juin 1917, de Roland Dessureaux, cultivateur, et d'Albertine Veillette. Il fit son cours classique au Séminaire Saint-Antoine du Collège séraphique de Trois-Rivières, puis au Séminaire Saint-Joseph dans cette même ville. Durant ses études secondaires, il publiait déjà des poèmes, nouvelles, contes et articles dans les journaux trifluviens Le Nouvelliste et le Bien public. Il était certainement fort doué en littérature, car il a raflé douze premiers prix parmi les seize prix de fin d'année de sa classe de belles-lettres en 1937, en plus d'un deuxième prix. 
   Il obtint un baccalauréat en sciences agricoles à La Pocatière, puis une maîtrise et un doctorat à l'Université du Wisconsin, après quoi il travailla comme spécialiste des croisements de plantes. Il dirigea notamment le département d'amélioration des plantes à la station expérimentale du ministère fédéral de l'agriculture, à La Pocatière. Il devint par la suite fonctionnaire au ministère de l'agriculture, à Ottawa. 
   Il fut deux fois candidat aux élections fédérales dans la circonscription de Kamouraska, en 1965 et 1972, mais sans succès.
   Lionel Dessureaux est mort à Gatineau le 23 février 1991. Il avait épousé Benoite Vézina à Shawinigan le 20 mai 1944.  
(Sources : Le Nouvelliste, 17 août 1957, p. 11 ; livret de fin d'année 1937 du Séminaire Saint-Antoine du Collège séraphique de Trois-Rivières ; Le Nouvelliste, 26 février 1991 ; Ancestry.ca). 



Photo de fin d'année 1937 de la classe de belles-lettres du Séminaire Saint- 
Antoine au Collège séraphique de Trois-Rivières. Lionel Dessureaux est le
premier à gauche, rangée du haut. Le poème ci-haut date de cette même année.

(Source : livret de fin d'année du Séminaire Saint-Antoine au Collège
séraphique de Trois-Rivières, 1937 ; cliquer sur l'image pour l'élargir)

Le poème À la langue française, ci-haut, de
Lionel Dessureaux, est tiré du livret de fin
d'année (1937) du Séminaire Saint-Antoine
du Collège séraphique de Trois-Rivières.

(Cliquer sur l'image pour l'élargir) 


Lionel Dessureaux en 1965.

(Source : Le Soleil, 16 octobre 1965)
 

Dès l'époque de ses études secondaires, Lionel Dessureaux
publiait des poèmes, contes, nouvelles et articles dans les
journaux de Trois-Rivières. Cet article, dont le sujet concerne
la profession d'agronome qu'il pratiquera, est paru dans
Le Bien public du 9 juillet 1942.

(Source : BANQ)


Lionel Dessureaux était un spécialiste réputé des croisements 
de plantes. On le voit ici procédant à un des ces croisements, 
la photo étant tirée d'un article signé Guy Fournier (alors
jeune journaliste qui deviendra une célèbre personnalité 
médiatique) paru dans Le Nouvelliste du 17 août 1957. 
Pour consulter l'article, cliquer sur la photo : 


Le Nouvelliste (Trois-Rivières),
26 février 1991.

(Source : BANQ)


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