samedi 9 mars 2019

La chapelle isolée

Léon Lorrain (1855-1892)

(Source : revue Le Glaneur

septembre 1892)




POÉSIE COURONNÉE AU CONCOURS DE L'UNIVERSITÉ LAVAL DE 1875


   Il est, loin du chemin que suit la multitude, 
   Une antique chapelle à l'air mystérieux ; 
   Souvent j'aime à porter, dans cette solitude, 
                  Mes pas silencieux.  

   Elle s'élève au sein d'une forêt profonde
   Où, des cèdres plaintifs, les murmures confus
   Viennent s'harmoniser aux pleurs tristes de l'onde
                  Sous les sapins touffus. [...]

   C'est là que, le matin, au lever de l'aurore,
   Ma mère, en souriant, m'apprenait à prier ; 
   J'étais petit enfant : je me rappelle encore
                  Les détours du sentier. 

   Des rayons de soleil se jouaient dans la mousse ;
   L'aurore étincelait sur les cimes des monts ;
   Le souffle du matin, de son haleine douce,
                  Embaumait les vallons.

   Les premiers feux du jour, tremblants, mélancoliques,
   Éclairaient le saint lieu ; les voiles de la nuit
   S'effaçaient lentement sous les voûtes rustiques,
                  Comme un rêve qui fuit !

   J'étais rempli d'amour, de respect et de crainte...
   Ma prière, mêlée aux parfums du matin,
   Pur encens s'élevait, de la modeste enceinte,
                  Vers le séjour divin !...

   Je ne comprenais pas, dans ma candeur d'enfance,
   La malice de l'homme au coeur ambitieux ;
   Je ne prévoyais pas les dangers, la souffrance,
   Le mensonge, le faux, ni les jours soucieux. 

   Mais maintenant, déjà, j'ai coudoyé la foule ;
   Et sans cesse battu comme un flot agité
   Que le vent déchaîné brise, foule et refoule, 
   Je regrette l'enfance et sa félicité !

   J'ai parcouru déjà les beaux jours de la vie.
   Bientôt, déjà, pour moi, vingt printemps vont sonner !
   Au souffle des pervers mon âme s'est flétrie
   Et j'ai vu mes espoirs soudain m'abandonner !

   J'avais bercé mon coeur de douces perspectives ;
   Des fantômes brillants, des mirages trompeurs,
   Étalaient à mes yeux des clartés fugitives : 
   Je croyais que c'était la gloire et ses splendeurs !

   Mais je fus le jouet de vaines jouissances,
   Et mon rire joyeux a fait place aux sanglots : 
   Tel un aventurier, sur les vagues immenses,
   Voit son dernier esquif s'abîmer dans les flots !

                  Parmi la foule indifférente
   Je n'ai jamais trouvé qu'égoïsme et froideur,
                  Et jamais mon âme souffrante
   N'y trouva son ami, ni son consolateur !

   Je n'ai jamais goûté cette amitié fidèle
   Qui console des pleurs, de l'exil, des chagrins,
   Qui fait renaître au cœur une gaîté nouvelle
                  Et revenir les jours sereins !

   Mais je fus abreuvé de noires calomnies,
                  Je fus le jouet des pervers,
                  De leurs infâmes tyrannies,
                  Et de leurs sarcasmes amers ! 

   Comme un roseau brisé que le vent de l'orage
                  Entraîne après lui par les champs,
                  Mon âme subit maint outrage
                  De l'impudence des méchants ! 

   Comme un esquif errant sur la vague profonde
                  Je fus sans cesse ballotté
                  Sur les flots orageux du monde
                  Au souffle de l'adversité ! 

   Et puis quand vint le jour d'un périlleux naufrage,
                  Pas un frère, pas un ami,
                  Ne vint jamais sur mon passage
                  Réveiller mon cœur endormi...[...]

   Alors, brisé, déçu, je veux fuir ce vain monde
                  Et ses plaisirs trompeurs ;
   Et près de toi, mon Dieu, dans une paix profonde,
                  Je cherche tes douceurs !

   Ô chapelle des bois ! je reviens sous ton ombre,
                  Car mon cœur opprimé
   Veut encore méditer sous ton portique sombre
                  Que j'ai toujours aimé !

   Tout est tranquillité sous ton humble colonne ;
                  Tout est paix et bonheur
   Dans l'air mystérieux même qui t'environne
                  Dans ton site enchanteur !

   En vain les ouragans grondent-ils sur la terre,
                  Je ne les crains jamais ;
   Car la tempête meurt près de ton seuil austère
                  Où je vis désormais !...

                                   Léon Lorrain(1875)




Tiré de : Léon Lorrain, Les Fleurs poétiques, Montréal, C. O. Beauchemin & Fils, Libraires-Imprimeurs, 1890, p. 5-16.

* Léon Lorrain est né le 26 février 1855 à Provenchères-sur-Fave (Lorraine, France), de Charles Lorrain et de Justine Aymont. Il émigra au Québec au début d'octobre 1873 et fut accueilli au foyer d'Alexandre Dufresne, maire et député d'Iberville opposé à la Confédération de 1867.
   Pendant ses études de droit à l'étude légale de Me Charland, de Saint-Jean-sur-Richelieu, il composa La chapelle solitaire, qui fut couronné au concours de poésie de l'Université Laval. 
   Admis au Barreau en juillet 1878, il ouvrit une étude légale à Iberville. La même année, il fut nommé au Cercle littéraire de Saint-Jean et collabora aux journaux Le Franco-canadien, de Saint-Jean, et La Patrie, de Montréal. Il publia d'importants ouvrages de droit, dont le Code des locateurs et locataires (1885) et Les codes de la province de Québec mis au courant de la législation (1889, deuxième édition 1890). En 1890, il publiait son unique recueil de poésies, Les Fleurs poétiques.
   Du 6 février 1884 au 16 novembre 1885, il fut maire d'Iberville. En 1890, le gouvernement du Québec lui confia le poste de réviseur français des bills privés, étant alors pourvu d'un bureau situé au troisième étage de l'Hôtel du Parlement de Québec et qui était un lieu de rencontre pour divers écrivains et journalistes.
   Léon Lorrain, atteint de troubles psychiques, s'est suicidé le 29 janvier 1892 en se jetant dans les eaux glacées de la rivière Richelieu, à Iberville. Son corps fut retrouvé à la hauteur de Chambly le 4 avril suivant.
  Il avait épousé Léontine Vincelette le 22 août 1881. Il était le père de Léon Lorrain, journaliste au Devoir, au Nationaliste et à L'Économiste canadien, et professeur de français aux Hautes Études Commerciales, de Montréal.
(Sources : Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec, tome 1, Montréal, éditions Fides, 1980, p. 272-273 ; La Presse, 8 avril 1892 ; revue Le Glaneur, septembre 1892).


Le poème La chapelle isolée, ci-haut, est tiré du
 recueil Les Fleurs poétiques, de Léon Lorrain.
Devenu rarissime, un seul exemplaire est encore
encore disponible sur le marché, voir ICI.

Léon Lorrain avait tenu à inclure cet hommage
à son bienfaiteur Alexandre Dufresne au début
de son recueil Les Fleurs poétiques. Nous avons
pensé qu'il serait bon de mettre en relief ce
poème qui enseigne la gratitude envers ceux
qui nous ont précédés et soutenus, nul ne se
créant tout seul, ce qui est vrai autant pour
l'individu que les nations. 

Le Sud (Sorel), 13 décembre 1890.

(Source : BANQ ; cliquer sur l'article pour l'élargir)

Entrefilet paru dans La Presse du 30 décembre 1890
annonçant la sortie du recueil Les Fleurs poétiques.

(Source : BANQ ;
cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Première partie de quatre (les trois autres se trouvant ci-dessous) de l'hommage
publié en  septembre 1892 dans la revue littéraire Le Glaneur, de Lévis, par
l'écrivain Charles-Arthur Gauvreau, suite à la mort tragique de Léon Lorrain.

(Cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Deuxième partie de l'hommage de Charles-Arthur Gauvreau à la mémoire de Léon Lorrain. 

Troisième partie de l'hommage de Charles-Arthur Gauvreau à la mémoire de Léon Lorrain.

Quatrième et dernière partie de l'hommage de Charles-Arthur Gauvreau à la mémoire de Léon Lorrain.

Article annonçant le suicide par noyade de Léon Lorrain,
dans Le Courrier de Saint-Hyacinthe du 4 février 1892.

(Source : BANQ ; clique sur l'image pour l'agrandir)

Cet entrefilet est paru dans la plupart des
journaux québécois de l'époque. Ici dans Le
Courrier du Canada
du 1er février 1892.

(Source : BANQ : cliquer sur
l'image pour l'agrandir)

Le Sud (Sorel), 5 février 1892.

(Source : BANQ ; cliquer sur l'article pour l'élargir)

Cet article paru dans La Presse du 8 avril 1892 décrit les
circonstances de la découverte du corps de Léon Lorrain
dans la rivière Richelieu à la hauteur de Chambly,
quatre jours plus tôt.

(Source : BANQ ; cliquer sur l'image pour l'agrandir)


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