jeudi 28 mars 2019

Le vieux cadran du Séminaire

Le vieux cadran du Vieux Séminaire
de Saint-Sulpice
, au Vieux-Montréal.


« ... Le jour sa belle âme transpire,
car le soleil le fait sourire...»

(Photo : Daniel Laprès, 26 mars 2019)



                   Il se souvient.


   Que fait là-haut, coi, solitaire,
   Sur ce vieux mur sombre, froncé,
   Ce vieux cadran couleur de terre ?
   ― Que fait-il ? ― Rien. Que peut-il faire ?
   ― Il se souvient d'un long passé
          Bien délaissé.

   Il se tait jusqu'à l'éloquence ;
   Et s'il desserre aussi les dents,
   Il converse de préférence, 
   À cause de la morgue des vivants,
          Avec les vents. 

   Ce que ce rêveur peut bien dire,
   Montréal devrait le savoir.
   Le jour sa belle âme transpire, 
   Car le soleil le fait sourire ;
   Mais il ne parle que le soir, 
          Quand il fait noir. 

   Émouvante est sa voix éteinte
   Qu'exaspère son coeur vibrant :
   On pourrait comparer la plainte
   Du bronze qui dans la nuit tinte
   Et dont le glas s'en va mourant,
          Au ton qu'il prend. 

   Une obsédante souvenance
   De jours à jamais révolus
   Le rend mélancolique : il pense
   À leur définitif silence,
   Et, lourd de regrets superflus,
          Ne marche plus.

   Il dit tout bas : « Mon terme approche ;
   « L'angoisse m'envahit ; je sens
   « Mon marteau lourd comme une roche,
   « Mes refrains figés dans ma cloche,
   « Et vois, pensif, sur mes vieux ans
          « Passer le temps ».

   Sait-on que l'hiver en furie
   Déride ce désenchanté ?...
   Si quelque soir la poudrerie,
   Blanchâtre fantasmagorie,
   Étend son grand voile agité
          Sur la cité,

   Alors les filles de Mémoire
   Animent sa face de bois ;
   Et, comme trêve à l'humeur noire,
   L'écho de l'émouvante histoire
   Que vécut la ville autrefois,
          Remplit sa voix. 

   [...]

   Sa voix, enthousiaste ou sombre,
   Laisse les coeurs indifférents...
   Lorsqu'on a vu des jours sans nombre,
   On n'a plus que le vent et l'ombre
          Pour confidents.

                 Arthur Guindon, p.s.s.* (1922)




Tiré de : Arthur Guindon, Aux temps héroïques, Montréal, 1922, p. 269-271 et 286. Les extraits ci-haut présentent l'introduction et l'épilogue de ce long poème épique.

*  Arthur Guindon est né le 12 janvier 1864 à Saint-Polycarpe, de Michel Guindon, commerçant, et de Marie-Louise Bazanaire. Après ses études classiques au Collège de Montréal, il étudia la théologie au Grand Séminaire de Montréal et au Séminaire Saint-Sulpice, à Issy-les-Moulineaux (France). Ordonné prêtre le 21 septembre 1895, il étudia un an à Paris et entra, en 1896, chez les Sulpiciens à Issy.
   Professeur de mathématiques au Collège de Montréal en 1897, il y occupa le poste d'économe de 1898 à 1906, puis de vice-procureur de 1906 à 1908, alors qu'il fut nommé vicaire à Notre-Dame-de-Montréal.
   En 1920, il publia En mocassins, une étude sur les sociétés et l'univers mythologique des Amérindiens, puis, en 1922, Aux temps héroïques, un recueil de poésies traitant d'épisodes de l'histoire de Nouvelle-France et de contes et légendes issues du passé québécois. En 1923, l'année de sa mort, il publia Les trois combats du Long-Sault. Il a également écrit les paroles d'un chant patriotique, « Le départ des braves du Long-Sault », mis en musique par A. de Liercourt. 
   Dans leur anthologie La poésie québécoise des origines à nos jours, Laurent Mailhot et Pierre Nepveu ont écrit : « [...] La poésie d'Aux temps héroïques possède une rare force d'évocation et un sens de l'image qui justifient qu'on la tire de l'oubli ». 
   Peintre et dessinateur, il a produit une quarantaine d'oeuvres picturales, dont 14 huiles sur toile et 26 dessins. Ces oeuvres sont conservées à la collection des Sulpiciens à Montréal.
   Arthur Guindon est mort à Montréal le 26 juillet 1923.
(Sources : Dictionnaire des oeuvres littéraires du Québec, tome 2, Montréal, éditions Fides, 1981, p. 433 ; Laurent Mailhot et Pierre Nepveu, La poésie québécoise des origines à nos jours, Montréal, Les Éditions de l'Hexagone et Sillery, Les Presses de l'Université du Québec, 1981, p. 127 ; Wikipedia).

Pour en savoir plus sur Arthur Guindon, cliquer ICI. On peut aussi consulter ICI l'article que la revue L'Action française, de Montréal, lui consacra à l'occasion de son décès.


Arthur Guindon, p.s.s. (1864-1923)
(Source : Arthur Guindon, sulpicien :
artiste et humaniste
)

 Le poème Le vieux cadran du Séminaire, ci-haut
est tiré du recueil Aux temps héroïques, d'Arthur
Guindon. Un exemplaire de l'édition originale
est encore disponible sur le marché, voir ICI.
On peut en télécharger gratuitement un
exemplaire ICI.

(Cliquer sur l'image pour l'agrandir)

« Il ne parle que le soir
Quand il fait noir. [...]
Sait-on que l'hiver en furie
   Déride ce désenchanté ?... »

Dessin d'Arthur Guindon accompagnant le
poème Le vieux cadran du Séminaire
dans son recueil Aux temps héroïques.

(Cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Le vieux Séminaire de Saint-Sulpice, au Vieux-Montréal, avec son vieux cadran, est l'un des
plus vieux édifices (1684) sur l'île de Montréal. Arthur Guindon y est décédé le 26 juillet 1923.

(Photo Daniel Laprès, 26 mars 2019 ; cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Arthur Guindon à la fin des années 1890.

(Source : Le Diocèse de Montréal
à la fin du XIXe siècle
, Montréal,
Eusèbe Senécal et Cie Imprimeur-
Éditeur, 1900, p. 72)

Article paru dans La Presse du 26 juillet 1923,
à l'occasion de la mort d'Arthur Guindon.

(Source : BANQ ; cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Le Devoir, 26 juillet 1923

(Source : BANQ ; cliquer sur l'image pour l'agrandir)


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