(Fragments ;
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Nos écrivains sont fort nombreux :
La patrie en est radieuse.
Ma muse, elle, un peu trop rieuse,
Les prend à peine au sérieux.
Rire à leur barbe avec délices,
Tout en leur brûlant de l'encens,
Ce sont là ses jeux innocents ;
Je n'approuve pas ces caprices.
Non. Du fond de mon cabinet,
Nos écrivains je les admire.
Je me garderais bien d'en rire :
On me coifferait d'un bonnet !
Je veux encor moins sur l'enclume
Les marteler brutalement ;
Mais chatouillons-les seulement...
Avec une barbe de plume.
***
Bien. Je commence par Le May.
C'est une féconde prairie.
Il en a la monotonie,
Mais aussi le charme embaumé.
Vous vous dites : « Trop de verdure,
De ruisseaux, d'oiseaux veloutés ! »
Tout de même, vous écoutez,
Coudes cloués sur la clôture.
Poisson tourne d'aimables vers.
Mais il n'a pas le vol des aigles.
Comme un doux pigeon dans les seigles,
Il becquète les gazons verts.
Il semble avoir pris pour devise :
«Mon Dieu, pourquoi travailler tant !
Pour mes vers, pas plus de tourment
Que pour mon devant de chemise !»
Faucher ne nous fait pas languir !
Sa plume est suave et pimpante.
Comme une étoile à la brunante,
Il fait rêver, sans éblouir.
Je prise fort Benjamin Sulte !
Plein d'esprit, d'érudition.
Ses vers sont sans prétention :
Le mot renferme un grain d'insulte.
[…] Chauveau, c'est un esprit d'élite !
Prosateur souple et pomponné,
Dans la strophe il paraît gêné
Comme un soldat dans sa guérite.
Marmette a choisi le roman,
Pays scabreux de sa nature.
Joseph, je crains pour ta monture !
Tes harnais sont faits de ruban.
Je préfère Gérin-Lajoie :
Ses héros regardent le ciel,
Et l'intrigue, avec naturel,
Sous vos yeux marche et se déploie.
[…] Sans viser à l'inattendu,
Buies vous surprend toujours son monde.
Il est connu loin à la ronde,
Ce trop célèbre enfant perdu.
Muse ! muse ! par tes caresses
Apprivoise ce pauvre cœur.
Je crois sa muse un peu ta sœur ;
J'ai pour cet homme des tendresses.
Buies ! Un esprit original
Toujours sous sa phrase pétille :
C'est une étoile qui scintille
Sous un beau globe de cristal.
L'étoile doit dans les nuages
Répandre en haut ses verts reflets :
Buies ! laisse donc les feux-follets
Planer seuls sur les marécages.
Gagnon, spirituel causeur,
Charme l'esprit comme l'oreille :
S'il fait ronfler l'orgue à merveille,
Il tient éveillé son lecteur.
[…] Gagnon est un homme de sens :
La preuve, c'est qu'il me répète
Que je perds quelquefois la tête
En prodiguant un peu d'encens.
Myrand court trop la métaphore ;
De l'idée, un peu trop de fleurs.
Donnelly, bel astre d'ailleurs,
Reste toujours à son aurore.
[…] Prendergast est un sylphide
Qui ne manque pas de reflet :
C'est un insecte qui promet,
Quoique à l'état de chrysalide.
Quelle est cette muse hautaine,
Qui jase à l'église, et qui prend
De l'eau bénite avec son gant ?
Diva superbe, ultra... mondaine.
C'est Fréchette, du sang des dieux.
De la verve, mais quelle morgue !
Ses vers sont de vrais tuyaux d'orgue,
Ronflants, dorés, harmonieux.
Englué, comme l'ami Fabre,
Du sophisme contemporain,
On craint toujours que le poulain
Ou se jette à gauche, ou se cabre...
Je vais trop loin : rétractons-nous.
Fréchette, j'adore ta lyre !
Muse ! si tu veux en médire...
Fais cette sottise à genoux.
[…] Quand je veux lire Crémazie,
Je sens des pleurs mouiller mes yeux :
Quel sort ! mourir sous d'autres cieux,
Lui ! cet amant de la patrie !
Son vers sonne comme un clairon.
Quel souffle vrai ! Quelle envergure !
Sa strophe est large, sans enflure :
C'est l'aigle de notre Hélicon.
Casgrain : plume souple et féconde !
Comme ces ruisseaux du Pérou
Qui roulent l'or... et le caillou,
D'éclairs sa phrase nous inonde.
[…] Chapman a fait Les Québecquoises.
J'ai dit cela tout haut. Sais-tu
Ce que l'écho m'a répondu ?
« Chapman a fait des Iroquoises » !
[…] LaRue est un esprit mordant,
Original et didactique.
Il est aussi fort laconique...
Muse ! allons, plus de coups de dent.
[…] Legendre travaille en dentelle :
Mais a-t-il bien le feu sacré ?
Il brode avec du fil doré ;
Mais sa flamme est artificielle.
[…] Oscar Dunn, Montpetit, deux plumes
Qui dorent le nom canadien,
Mais, bien entendu, pas pour rien.
Allons, me voilà dans les brumes.
[…] N'est-ce pas une jeune étoile
Que ce reflet rose et lointain ?
C'est la muse de Beauchemin,
Qui jette un éclair, et se voile.
Caouette est tout à fait en fleur :
Sera-t-il poire, prune, orange ?...
Aux doigts la plume lui démange :
Je le salue avec bonheur.
***
Voilà. Mais quel air de dédain
Me montrent plus de vingt visages !
Aurais-je, avec mes vers sauvages,
Indigné le peuple écrivain ?
Allons, grands hommes que j'admire,
Et que j'admire tout de bon,
Prenez le style bon garçon,
Et tolérez le mot pour rire.
Écrivains sans doute immortels,
Ah ! votre pose m'effarouche.
Les vers me restent dans la bouche :
Ne soyez pas si solennels.
Pour mériter votre indulgence,
Puis-je assez faire en ce moment ?
Non : vous voulez absolument
De mes lazzis tirer vengeance.
Grands hommes, vous dites en chœur :
« Exterminons de notre haleine
Ce moucheron né dans la plaine,
Ce blanc-bec un peu trop gouailleur ! »
Eh bien donc, réglons notre affaire.
À chacun j'adresserai un cartel :
À vingt, battons-nous en duel,
Venez tous à mon gai presbytère.
Pour armes, pas de pistolets :
Des cigarettes capiteuses !
Et moi, charmantes mitrailleuses,
Je ferai cible aux quolibets.
Je promets du vin... de campagne,
Du cidre fait à la maison,
Mais qui fait sauter son bouchon
Comme du vrai vin de Champagne !
Enfin, pour émousser vos traits,
Pour faire oublier mes outrages,
Je déclamerai vos ouvrages :
J'en sais par cœur de bons extraits ! […]
Apollinaire Gingras* (1880)
Tiré de : Abbé Apollinaire Gingras, Au foyer de mon presbytère, Québec, Imprimerie A. Coté et Cie, 1881, p. 185-200.
D'Apollinaire Gingras, les Poésies québécoises oubliées ont également présenté : La Terrasse Frontenac ; Le Marécage ; La cabane à sucre ; Du fond du lac - du fond de l'âme.
* Apollinaire Gingras, fils de Joseph Gingras, cultivateur, et d'Adélaïde Côté, est né à Saint-Antoine-de-Tilly le 7 mars 1847. Il fit ses études au Séminaire de Québec et à l'Université Laval. où il obtint un Doctorat ès Lettres. Il fut ordonné prêtre à Québec le 7 juin 1873. Il exerça son ministère dans plusieurs paroisses, dont Saint-Fulgence-de-Chicoutimi, Saint-Édouard-de-Lotbinière, Sainte-Claire-de-Dorchester et Château-Richer. Très malade en 1901, il prit sa retraite à Québec, puis il devint prédicateur volontaire de missions. Il résida plusieurs années au Saguenay, soit à Chicoutimi, Bagotville et Port-Alfred, puis à Hébertville, au Lac-Saint-Jean.
Féru de littérature et d'histoire, il fut en relation constante avec divers écrivains et cercles littéraires du Québec. En plus de son « poème anti-impérialiste » L'Emballement, paru en 1920, il publia deux recueils de poésies : Au foyer de mon presbytère (1881) et Poèmes et chansons (1935). Des recueils de ses discours et sermons ont également été publiés.
Féru de littérature et d'histoire, il fut en relation constante avec divers écrivains et cercles littéraires du Québec. En plus de son « poème anti-impérialiste » L'Emballement, paru en 1920, il publia deux recueils de poésies : Au foyer de mon presbytère (1881) et Poèmes et chansons (1935). Des recueils de ses discours et sermons ont également été publiés.
Apollinaire Gingras est mort à l'Hôtel-Dieu de Chicoutimi le 19 mars 1935.
(Source principale : Dictionnaire des oeuvres littéraires du Québec, tome 1, Montréal, éditions Fides, 1980, p. 45).
Apollinaire Gingras (1847-1935) (Source : Musée de la civilisation du Québec ; fonds d'archives du Séminaire de Québec) |
Le poème Impertinences à l'eau de rose, d'où sont extraits les fragments ci-haut, est tiré du recueil Au foyer de mon presbytère, de l'abbé Apollinaire Gingras. On peut télécharger gratuitement ICI. (Cliquer sur l'image pour l'élargir) |
Apollinaire Gingras, vers 1865, avec un groupe de condisciples au Petit Séminaire de Québec. Il est le troisième à partir de la gauche, rangée du haut. (Source : Musée de la civilisation du Québec ; fonds d'archives du Séminaire de Québec ; cliquer sur l'image pour l'élargir) |
Tribun capable d'être flamboyant, Apollinaire Gingras arborait une chevelure léonine à la fin de sa vie. (Source : brochure de son poème L'emballement) |
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Merci encore une fois, Daniel. Il faudrait faire lire ces vers d'Appolinaire (le nôtre) par certains de nos contemporains qui se prennent un peu trop sérieusement pour des poètes, ces gentils toutous, plutôt inoffensifs, que le pouvoir entretient en leur jetant à l'occasion des miettes, une obole, appelées aussi subventions. Le couple subversion\subventions fait recette depuis longtemps auprès de qui appète les prix, surtout le prix de revient à défaut de Lettres, courant après les lettres de recommandation.
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