Ce grand banquet où l'on convie
Tant de pauvres cœurs soucieux ?
Les longs sanglots de la misère
Qui s'élèvent de cette terre
Deviennent-ils des chants dans les cieux ?
Pour celui, mon Dieu, qui t'oublie,
C'est un bien peu digne d'envie
Que ce mystère si profond.
La vie est comme une colline
Dont la pente abrupte s'incline
Vers un précipice sans fond.
Sur le sommet tout est verdure,
Tout est mélodie et murmure,
Tout est parfum et volupté !
On y voit folâtrer l'enfance,
Et son œil plein de confiance
Va se perdre dans l'immensité !
Mais à mesure que l'on glisse
Vers l'insondable précipice,
Le brillant tableau s'obscurcit :
La fleur s'éteint parmi la mousse,
Le sol est froid, l'herbe est moins douce,
Et l'horizon se rétrécit !
Et, sur cette rapide pente,
Pour cueillir une fleur brillante,
On voudrait s'arrêter parfois ;
Mais une étrange voix nous crie :
« Marche ! Marche ! » et la fleur chérie
Échappe à nos débiles doigts !
Et nous marchons avec vitesse,
Poussant de l'épaule, sans cesse,
Ceux qui cheminent devant nous.
Et l'enfance à son tour nous presse ;
Elle nous crie en son ivresse :
« Vous êtes vieux, retirez-vous ! »
Oh ! du moins laissez-nous encore
Nous retourner vers notre aurore
Et contempler les jours passés !
Mais le passé n'a point de charmes !
Les sillons creusés par nos larmes
Ne sont pas encore effacés !
Le passé, c'est un cimetière
Où reposent, dans la poussière,
Nos vœux, nos projets les plus beaux !
Où nos plus chères espérances,
Où nos plaisirs et nos souffrances
Ont trouvé de muets tombeaux !
Pourtant, de distance en distance,
Dans ce vaste champ du silence,
On voit surgir de douces fleurs :
Ce sont les souvenirs suaves
De ces temps où nulles entraves
Ne captivaient nos jeunes cœurs !
Pamphile LeMay (1879)
Tiré de : Pamphile LeMay, Une gerbe, Québec, Typographie de C. Darveau, 1879, p. 45-47.
De Pamphile LeMay, les Poésies québécoises oubliées ont également présenté (cliquer sur les titres) : Lusignan ; Le Sanctus à la maison ; Épitre à mon ami Sulte ; Le poète pauvre ; Ultima Verba ; La Nouvelle Année.
Voyez également : À la mémoire de Pamphile LeMay.
Pour en savoir plus sur Pamphile LeMay,
cliquer sur cette illustration :
Une gerbe, recueil de Pamphile LeMay d'où est tiré le poème La vie, ci-haut. (Cliquer sur l'image pour l'élargir) |
Pamphile LeMay est le premier traducteur d'Évangéline, le long poème épique d'Henry W. Longfellow qui évoque la Déportation des Acadiens. Cet exemplaire de la troisième édition de la traduction par LeMay est dédicacée de la main de celui-ci au poète-médecin d'Yamachiche, Nérée Beauchemin. (Collection Daniel Laprès ; cliquer sur l'image pour l'agrandir) |
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