Pamphile Le May (1837-1918) (Source : Québec éternelle, p. 11 ) |
Prends ce morceau de pain, mais tu seras esclave ;
Tu m'appartiens dès aujourd'hui !
Les larmes couleront de ta paupière cave
Et partout te suivra l'ennui.
Prends ce morceau de pain, ô poète au front blême,
Prends ! et dis adieu pour toujours
À cette liberté qui fut ton bien suprême !
Renonces à tes douces amours,
Au ruisseau qui gazouille à travers les vallées,
Au blé qui dore le guéret,
Aux nids qui dans le ciel jettent leurs voix perlées,
Aux ombrages de la forêt.
Comment ! hésites-tu ? Vainement tu me braves,
Le temps des rêves est passé.
Quand on est indigent a-t-on peur des entraves ?
Seul ici bas, l'or entassé
Peut conduire au bonheur. Les talents, la science
Sont des biens qu'on ne compte pas.
Le riche les supporte avec impatience,
S'il ne les brise sous ses pas.
Courbe ton front marqué du cachet du génie
Devant l'orgueil du parvenu ;
Souffre sans murmurer la honte ou l'avanie,
Passe avec le flot inconnu......
Prends ce morceau de pain, ô poète, te dis-je,
Pour assouvir ta pâle faim.
Ah ! ton oeil se dilate et déjà le vertige
Fait frémir ta débile main !
Souviens-toi de ton père ! Il est vieux et sans force
Pour travailler jusques au soir.
Tu tenterais en vain, sous ta rigide écorce,
De me cacher ton désespoir.
Prends ce morceau de pain, et pour ta jeune femme
Dont le chaste sein est tari,
Et pour tes blonds enfants qui te déchirent l'âme
De leur prière et de leur cri !
Eh bien ! pour les sauver tous ces êtres que j'aime,
Oui, j'ai dépouillé ma fierté.
Je ne m'appartiens plus, je ne suis plus moi-même
Et j'ai vendu ma liberté !
Le maître parle ; allons ! inclinons donc la tête
Et laissons là les rêves d'or.
Devant un plus puissant je ne suis qu'une bête
Et mon esprit n'a plus d'essor.
Le ciel est tout d'azur, les vallons, pleins d'arômes,
Les oiseaux chantent dans les airs,
Les insectes luisants babillent dans les chaumes,
Les ruisseaux roulent des flots clairs.
Poète, prends le joug, car ces flots d'harmonie,
Pauvre enfant, ne sont plus pour toi.
Ferme ! ferme l'oreille à cette voix bénie
Qui met la nature en émoi.
Ici-bas tout s'achète. Il n'est de jouissance
Que pour le riche, en vérité.
Hommes, choses, tout est soumis à sa puissance,
Tout vient servir sa volonté !
Pour lui s'ouvre la fleur dont le parfum enivre ;
Pour lui mûrissent les sillons ;
Pour lui, durant l'hiver, et la neige et le givre
Émoussent leurs froids aiguillons.
Et n'est-ce pas assez de souffrir en silence
Les maux qui me viennent du ciel ?
Faut-il qu'à chaque instant, dans leur froide insolence,
Les hommes m'abreuvent de fiel ?
Ah ! si j'avais pu naître au milieu des richesses
Comme sont nés tant d'idiots,
Si j'eusse eu pour berceau les genoux des duchesses,
Des dentelles à mes maillots,
Je n'aurais pas aimé d'amitié plus profonde
Les êtres que j'aime aujourd'hui,
Mais j'aurais vu comment nous apparaît le monde
Quand on plane au-dessus de lui !
Ô règne du métal, règne de la matière
Dont se moquera l'avenir,
Alors que nos neveux sortiront de l'ornière
Où nous aimons à nous tenir,
Triomphe de l'argent, âge du servilisme,
Siècle de l'or, je te maudis !
Tu portes sur ton front le sceau de l'égoïsme ;
Tes yeux pervers sont alourdis ;
Comme ces lourds oiseaux qui sortent des décombres
Lorsque le soir est de retour,
Tu promènes ton vol dans les épaisses ombres
Plutôt que dans l'éclat du jour !
Ô mes rêves aimés, mes croyances chéries,
Ô mes ivresses d'autrefois,
Comme les papillons des riantes prairies
Vous aurez à mes pauvres doigts
Laissé la poudre d'or de vos brillantes ailes,
Et vous vous êtes envolés,
Envolés pour toujours aux rives éternelles !
Parfois mes regards désolés
Cherchent encore, au ciel, la trace lumineuse
Qui devait rester après vous ;
Mais je ne vois plus rien, rien qu'une nuit affreuse
Que je vais attendre à genoux !
Pamphile Le May (1879)
Tiré de : Pamphile Le May, Une gerbe, Québec, Typographie C. Darveau, 1879, p. 112-116.
Pour en savoir plus sur Pamphile Le May, cliquer ICI.
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Pour consulter ou télécharger gratuitement le recueil Une gerbe, cliquer ICI.
Une gerbe, recueil de Pamphile LeMay d'où est tiré le poème Le poète pauvre, ci-haut. (Cliquer sur l'image pour l'agrandir) |
Pamphile Le May est le traducteur du poème épique Évangéline, de Henry W. Longfellow, qui évoque la déportation des Acadiens. Cet exemplaire est dédicacé de la main de Le May à son confrère poète Nérée Beauchemin (Collection Daniel Laprès ; cliquer sur l'image pour l'agrandir) |
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