Benjamin Sulte (1841-1923) à 24 ans. (Source : Hélène Marcotte, Benjamin Sulte, cet inlassable semeur d'écrits, Éditions Lidec, 2001, p. 9) |
Quand on est vieux, quand le soir tombe
Sur notre jour qui va finir,
On rencontre au bord de la tombe
La grande ombre du souvenir.
Ce fantôme qu'on nomme aussi l'expérience,
Invisible à nos fils, m'attriste sur leur sort ;
Ignorant le passé, coeurs pleins de confiance,
Ils vont ! Dieu les conduise au port !
Enfants, vous marchez sans boussole,
Qui vous indiquera la route des aïeux ?
Au milieu des dangers l'espoir seul vous console.
Le passé vous instruirait mieux !
Ceux qui luttèrent à cet âge
Où vous n'étiez pas encore nés,
Ceux qui sauvèrent du naufrage
Les biens qui vous sont destinés,
Ils s'éteignent sans bruit, emportant leur histoire ;
Bientôt vous n'aurez plus de voix pour vous guider !
Plusieurs méconnaîtront les vieux refrains de gloire,
Le devoir qui sait commander.
Si vous ne gardez souvenance
Des sacrifices d'autrefois,
Qui vous dira la provenance
Des droits que protègent nos lois ?
On estime à son prix un noble privilège :
Plus cher il a coûté, plus il nous semble doux.
Mais s'il reste couvert d'un oubli sacrilège,
Grands et petits, qu'en ferez-vous?
Enseignez à la foule avide
Ce que furent [nos anciens].
L'ignorance fait le coeur vide :
Il faut guider la foi des siens.
Tandis qu'il en est temps, ressuscitez sans trève
Des échos du passé l'expirante clameur.
Le peuple se souvient, mais comme d'un grand rêve :
Son patriotisme se meurt !
Il mourra le patriotisme
Si vous n'animez ses débris ;
Car l'aiguillon de l'héroïsme
C'est le devoir qu'on a compris.
Déjà des déserteurs ont quitté la phalange !
Les rangs s'éclairciront ! Ces pauvres émigrés
Ne sauront-ils jamais ce qu'ils perdent au change ?
Que sont pour eux nos droits sacrés ?
Qui leur apprend dans la chaumière
De quel sang ils sont descendus ?
Songent-ils que la race entière
N'eût de remparts que ses vertus ?
Rattachez donc leur vie au courant électrique
Qui remonte à travers les générations.
Ah ! si vous ne voulez qu'un peuple prévarique,
Ravivez les traditions.
Dites : l'amour de la patrie
Ne rend-il pas les peuples forts ?
Que vers cette mère chérie
Tendent sans fin tous vos efforts !
Enfants, bien des dangers sont loin des citadelles ;
Préparez les esprits pour ces combats nouveaux ;
Enrôlez, instruisez des bataillons fidèles :
Chaque rang produit ses héros !
Enfants, vous marchez sans boussole,
Qui vous indiquera la route des aïeux ?
Au milieu des dangers l'espoir seul vous console.
Le passé vous instruirait mieux !
Benjamin Sulte (1867)
Tiré de : Benjamin Sulte, Les Laurentiennes, Montréal, Eusèbe Senécal Imprimeur-Éditeur, 1870, p. 129-133.
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Inauguration du Monument Benjamin Sulte, au Parc Champlain, Trois-Rivières, 1934. Après avoir occupé le centre du parc durant des décennies, le monument a été déplacé de sorte qu'il n'est pratiquement plus visible. Et le parc est d'ailleurs encerclé de constructions de béton dont l'Hôtel-de-Ville n'est pas la moins laide. (Source : Hélène Marcotte, Benjamin Sulte, cet inlassable semeur d'écrits, Éditions Lidec, 2001, p. 60 ; cliquer sur l'image pour l'agrandir) |
Biographie de Benjamin Sulte par Hélène Marcotte. Pour informations, cliquer ICI. |
Les voix de nos poètes oubliés nous sont désormais rendues.
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Cher Monsieur Laprès,
RépondreSupprimerJe ne peux pas croire, en lisant vers après vers, poème après poème, en quoi mon coeur est parfois percuté par une strophe saisissante, parfois me rappelant un passé lointain, mais parfois non pas aussi lointain qu'on le pense. De surcroît, notre peuple, le nôtre Monsieur Laprès, je le crois, a toujours été dans une position de faiblesse en cette Amérique, qui a toujours voulu nous larguer - nous avons souvent été complice à ce vilain drame, et encore aujourd'hui, mais j'en passe. En revanche, en lisant des phrases bien rédigées : "Si vous ne gardez souvenance, Des sacrifices d'autrefois, Qui vous dira la provenance, Des droits que protègent nos lois ?". Je sens en moi une petite accalmie, une petite joie même, qu'on pouvait, au moment de la Confédération, écrire des poèmes évocateurs, beaux et politisés, qui utilisaient notre langue comme une arme incisive. Quelle heureuse chose. En outre, cela me fait sentir coupable d'avoir gaspillé trop de mon temps à consommer des produits culturels médiocres, ou de masse, vides et sans réels valeur à mon passage sur la terre. À ce propos, un homme libre ne devrait pas accepter la vie pour y passer le temps, mieux vaut vivre délibérément, au moins dans sa vie intérieure. D'un autre côté, je pense qu'il ne faut pas rejeter en bloc des époques, il y a des lueurs d'espérance ici et là, j'en rencontre des résistants, des lucides, qui malgré la déception que représente cette époque, sont des gens droits qui savent s'alimenter l'esprit, se posent des vraies questions, connaissent l'importance de ne pas céder au consensus et aux tendances trop facilement consommées par les temps qui courent. Ils savent également l'art de la légèreté et de la beauté. Par ces motifs, nous partageons un combat, vous et moi, même s'il y a très évidemment des différences dans nos approches, l'objectif se ressemble, du moins il me semble. Vous savez comme moi que nous ne pouvons pas avancer comme peuple sans connaître les victoires, et par ailleurs les aléas, de notre histoire. Enfin, les récits sur votre site nous chantent joliment ce passé dans notre prose, et celle-ci claironne qu'il y a un combat inachevé, et donc à reprendre ...
- Napoléon Aubin