mardi 17 octobre 2017

Ode à la liberté

Robert Choquette (1905-1991)

(Source : Ameriquefrancaise.org)




    LIBERTÉ ! fleur sauvage à la tête orgueuilleuse,
    Fleur unique, immortelle, et la plus merveilleuse !
    Toi dont le parfum sort des siècles primitifs
    Comme un murmure sourd autour d'une victoire ; 
    Toi qu'on n'a pas trouvée au jardin de l'Histoire
          Ensemencé d'arbres chétifs !

    Liberté, liberté séduisante et magique,
    Que d'âmes t'ont priée avec leur voix tragique ! 
    À te chercher, ô fleur, dans les siècles étroits,
    Que de sang répandu sur l'herbe de la vie !
    Oh ! que d'esprits, rompus à t'avoir poursuivie,
          Sont morts le long des chemins froids !

    Liberté, liberté, fille de la chimère,
    Fleur autrefois conçue au sein de l'âme-mère,
    On ne croit plus en toi maintenant. Mais le tas
    Des coeurs abatârdis que l'aurore effarouche,
    Croupissant dans la fange et saignant de la bouche,
          Blasphème et dit que tu n'es pas ! 

    Les sentiers sont déserts qui vont à la montagne ; 
    Un silence abruti pèse sur la campagne. 
    Nul ne fouille aujourd'hui la profondeur des bois,
    Pour trouver ta retraite, ô fleur, vivant ciboire, 
    Et pour plonger sa face en ta corolle, et boire
          Les pleurs de l'aube que tu bois !

    Mais s'il en reste un à l'âme frémissante,
    Un seul, un coeur musclé de force adolescente
    Et de qui la révolte aime à jaillir de l'oeil ; 
    S'il reste un tourmenté qui tourne dans ses fièvres
    Comme une bête en cage, et dont les fortes lèvres
          Embouchent le clairon d'orgueil ; 

    S'il en est encore un qui s'indigne et bondisse
    Et pour qui l'esclavage est la pire immondice,
    Liberté, liberté, je suis déjà debout ! 
    Ma jeunesse étincelle ainsi qu'une cuirasse ; 
    Debout ! j'entends chanter dans l'amour de sa race
          Mon coeur irascible qui bout ! 

    Je ne veux plus rêver, le soir, sous les charmilles,
    À l'angle des cailloux meurtrissant mes chevilles,
    Pour te ravir, ô fleur, je fuirai la cité. 
    Le soleil et ma foi seront mes girandoles,
    Et je te cueillerai, maîtresse des idoles,
          Ô souveraine liberté !

    J'irai vers l'horizon qui tremble et qui recule
    Sans cesse, à l'heure pourpre où sur le crépuscule
    Les grands boeufs en relief semblent des arcs mouvants. 
    Je marcherai la nuit sous le clair des étoiles
    Ou par les matins froids qui font crier nos moelles,
          À travers la pluie et les vents. 

    Je passerai le long des blanches maisonnettes
    Qu'ombrage avec amour un groupe d'épinettes.
    Je verrai l'abreuvoir à demi renversé,
    Le cheval somnolent qui regarde et qui broute,
    Et les petits poussins sur le bord de la route
          Qui descendent dans le fossé.

    J'irai dans les bois clairs où chantent les ramures,
    Où roulent sur nos doigts les framboises trop mûres
    Comme les grains d'un chapelet. Plus loin encor !
    L'oeil et la volonté vers le Nord magnanime,
    Je presserai mes pas dans l'espoir qui m'anime
          De t'y découvrir, ô trésor !

    [...] Liberté, tu fleuris dans les forêts profondes
    Où les grands orignaux et les biches fécondes
    Vont boire au bord des lacs et baigner leur poitrail ; 
    Au pays de l'érable et des castors habiles
    Où les arbres géants supportent les débiles
          Quand la tempête est en travail. 

    Liberté, liberté, fleur de la solitude,
    Fleur sanglante, immortelle, à la fière attitude,
    Dans les forêts du Nord j'irai te détacher.
    Tes sauvages parfums, ô fleur de mon ivresse,
    Font battre sur mon coeur le sang de ma jeunesse
           Comme la mer sur un rocher. 

    Rien ne ralentira ma course sur le monde. 
    Je frapperai du pied la crainte moribonde
    Comme un mulot des champs que la fourche étourdit.
    Ô sainte liberté, dégagement de l'âme
    Qui fais le bruit victorieux d'une oriflamme !
            Affranchissement de l'esprit !

    Je cours. Ah ! j'userais les forces de ma vie,
    Le soleil sècherait mon âme inassouvie,
    Je mettrais en lambeaux mes pieds nus sur les houx,
    Que je crierais encore, ô rose purpurine :
    Mon coeur n'est pas vaincu dans ma lourde poitrine,
           Je marcherai sur mes genoux ! 

                             Robert Choquette (1924)  



Tiré de : Robert Choquette, À travers les vents, Montréal, Louis Carrier-Les Éditions du Mercure, 1927, p. 127-130.


Pour en savoir plus sur Robert Choquette, cliquer ICI.  



À travers les vents, recueil de Robert Choquette
d'où est tirée l'Ode à la liberté, ci-haut.

(Cliquer sur l'image pour l'élargir)

La touchante dédicace du jeune poète
à sa mère décédée et à son père.

(Cliquer sur l'image pour l'agrandir)


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