lundi 14 mai 2018

Le Coureur des Bois


Henri-Raymond Casgrain (1831-1904)

(Source : Fonds d'archives du Séminaire de Québec)




   J'ai voyagé toute ma vie
   Seul et sans me lasser jamais ;
   Je ne connais d'autre patrie
   Que les déserts et les forêts.

   À ma famille, à mon village
   J'ai dit adieu depuis trente ans ;
   Jamais, durant ce long voyage,
   Je n'ai vu la face des Blancs.

   Ma carabine est ma compagne ;
   Je règne avec elle en tout lieu.
   Dans la plaine et sur la montagne
   Je n'ai d'autre maître que Dieu. 

   On dit qu'une tribu guerrière,
   Jadis confia son destin
   Au grand chasseur qui fut mon père,
   Dernier baron de Saint-Castin

   De l'Indien j'ai l'insouciance,
   L'ouïe et l'intrépidité ; 
   Pareil mépris de l'existence,
   Pareil amour de liberté. 

   Il n'est pas un souffle, un murmure,
   Pas un frémissement des bois,
   Pas un seul bruit de la nature,
   Que ne puisse imiter ma voix.

   Que sont les brillantes parures
   Dont s'enorgueillissent les rois
   À côté des riches fourrures 
   Que pare le Coureur des Bois ?

   J'ai pour sceptre ma carabine,
   Le dôme des cieux pour palais,
   Pour tapis la mousse fine,
   Pour trône les monts des forêts.

   Là-bas, au fond de la prairie,
   Les buffles paissent par troupeau ;
   Pour mon vêtement, pour ma vie
   Je n'ai qu'à choisir les plus beaux. 

   Quand la neige des bois s'amasse,
   Qu'on enfonce jusqu'au genou,
   Je prends mes raquettes, je chasse
   L'orignal et le caribou.
  
   Lorsque l'ombre du soir arrive,
   Je me fais un lit de sapin.
   Couché près de la flamme vive,
   Je rêve et dors jusqu'au matin,

   Au bruit des vents et des cascades
   Qui beuglent comme des taureaux ;
   Au grognement des ours nomades
   Qui vont boire dans les ruisseaux. 

   Si je vois monter la boucane
   D'un camp sauvage à l'horizon,
   Je vais m'asseoir dans leur cabane
   Et partager leur venaison

   Au fond des bois, ou sur la plage,
   Quand mon cadavre dormira, 
   Celui qui prend soin du Sauvage
   Sur mes os blanchis veillera. 

   Peut-être le missionnaire
   Qui prêche au pauvre Indien la croix,
   En passant dira sa prière
   Pour l'âme du Coureur des Bois. 

         Henri-Raymond Casgrain (1869)


Tiré de : Henri-Raymond Casgrain, Œuvres complètes, tome troisième : Légendes canadiennes et oeuvres diverses, Québec, Typographie de C. Darveau, 1875, p. 60.

Pour en savoir plus sur Henri-Raymond Casgrain, cliquer ICI. 

Le poème Le Coureur des Bois, ci-haut, est tiré du tome troisième
des Oeuvres complètes de l'abbé Henri-Raymond Casgrain.

(Cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Dédicace manuscrite de Henri-Raymond Casgrain adressée au
cardinal-archevêque de Québec, Elzéar-Alexandre Taschereau,
dans son livre Pèlerinage au pays d'Évangéline, paru en 1887,
pour lequel Casgrain se mérita un prix de l'Académie française
et qui relate un voyage qu'il avait effectué en Acadie.

(Collection Daniel Laprès ; cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Les mémoires d'Henri-Raymond Casgrain, qui
permettent une captivante plongée dans les
milieux politiques, littéraires et culturels du
19e siècle québécois, ont été récemment publiés 

pour la première fois par la Société d'histoire de la
Côte-du-Sud
, où on peut se procurer 
le volume,
de même qu'à la librairie L'Option.

(Cliquer sur l'image pour l'agrandir)


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