vendredi 11 mai 2018

Les Lilas (ou le mois de Mai)

Alfred Garneau (1836-1904)

(Source : BANQ)




   Ô ville bégueule et bourrue,
   Ce soir, je ne te trouve pas
   Laide, avec tes jardins sur rue...
           C'est le temps des lilas. 

   Ce soir, l'on dirait qu'une fée,
   Toute jeune, change en éclats
   De rire ta plainte étouffée...
           C'est le temps des lilas. 

   L'air est doux ; point de vitres closes !
   Les blancs vieillards mêmes sont las
   De rêver seuls. Partout l'on cause...
           C'est le temps des lilas. 

   De musique le vent palpite.
   Qui donc chante là-bas,
   Faust, ton mensonge à Marguerite ?
           C'est le temps des lilas. 

   "Ô printemps gai dompteur de l'âme !"...
   Qui n'a fait depuis Ménélas
   Sur ce thème un épithalame ?
           C'est le temps des lilas. 

   Ma voisine est à sa fenêtre.
   Qu'entends-je ? elle soupire : hélas !
   Quelle folle peine peut-être. 
           C'est le temps des lilas. 

   Sous sa noire tresse elle est belle,
   Enfant aux contours délicats.
   Elle soupirait ; aime-t-elle ?
           C'est le temps des lilas. 

   Je la vois, la tête baissée,
   Avec son éventail au bras
   Comme une grande aile blessée.
           C'est le temps des lilas.

   Toi qui ris à travers la branche,
   Ô Lune, fuis, ne trahis pas
   Les premiers pleurs d'une âme blanche...
           C'est le temps des lilas. 

                             Alfred Garneau




Tiré de : Alfred Garneau, Poésies, Montréal, Librairie Beauchemin Limitée, 1906, p. 205-208.

Pour en savoir plus sur Alfred Garneau, cliquer ICI

Dans le Journal de Françoise du 2 avril 1904, la première femme journaliste de l'histoire du Québec, Robertine Barry, publia, sous son nom de plume Françoise et sous le titre Un disparu, cet hommage à la mémoire d'Alfred Garneau, mort un mois plus tôt : 


Robertine Barry
(Source : couverture du tome 1 de la
biographie par Sergine Desjardins)


   « Je dois l'hommage de mon regret sincère à la mémoire de l'homme de lettres éminent, au causeur fin et discret, à l'ami sympathique et doux qui vient de disparaître dans la personne de M. Alfred Garneau.
   "Heureux les morts qui sont aimés, car on les pleure", a dit le poète. Et ce vers revient sans cesse à mon esprit, chaque fois que s'entr'ouvre la terre pour engloutir les êtres que nous chérissons. M. Garneau restera "un de ces morts aimés" parce qu'il a laissé derrière lui un impérissable souvenir d'intelligence et de bonté.
   Fils de notre grand historien national, il avait, de bonne heure, puisé aux fortes sources, en la compagnie de son père, et dans celle d'hommes sévèrement trempés, son âme s'est forgée à la flamme ardente et pure d'un patriotisme convaincu. Peu à peu attristé, cependant, par les remembrances d'un passé cher à son cœur, et, qui sait aussi ? découragé par le spectacle des veuleries, l'écrivain excellent né dans Alfred Garneau ne voulut pas livrer au souffle de la publicité les beautés de son esprit délicat et distingué ; nos lettres ont perdu, sans doute, à cette abstention d'une nature trop fine et trop sensible, mais ses intimes en ont délicieusement joui. 
   M. Garneau était de plus un causeur dont on retrouvera difficilement le pareil. Sa conversation ne choisissait pas, pour étinceler et briller, les auditoires nombreux. Sa voix ne s'élevait pas plus qu'il ne suffisait à un ou deux de ses voisins immédiats pour l'entendre. Mais quel charme de l'écouter ! quel intérêt soutenu il savait communiquer à son sujet, quelle attention il pouvait commander dans les définitions profondes de la philosophie de la vie et quel baume il savait mêler à la piquante ironie de ses critiques ! 
   Ah ! la séduisante chose que l'intelligence, quand le cœur y a mis un peu de sa bonté ! Et combien l'on regrette, quand ils ne sont plus ici, les chers disparus, de n'avoir pas recueilli leurs paroles une à une, et de ne leur pas répéter plus souvent toute la respectueuse admiration, toute la profonde estime que nous avions pour eux. 
   À la famille douloureusement frappée, si capable de comprendre son malheur et d'en mesurer l'étendue, j'offre l'expression sincère de ma vive sympathie. Tant de coeurs amis s'associent à elle que si sa douleur ne peut être diminuée, l'amertume, au moins, en sera adoucie...»

Le poème Les Lilas, ci-haut, est tiré de Poésies,
l'unique et posthume recueil d'Alfred Garneau,
qui est devenu rarissime.

(Cliquer sur l'image pour l'agrandir)  

Rare portrait de jeunesse d'Alfred Garneau,
au temps où il était finissant au Séminaire

de Québec, en 1853. 

(Source :
BANQ)

Carte postale adressée par Alfred Garneau à Félix-Gabriel Marchand,
incluant la réponse manuscrite de ce dernier qui le remercie de lui
avoir fait envoyer un parapluie qu'il avait oublié.

(Source : BANQ ; cliquer sur l'image pour l'agrandir)

La disparition d'Alfred Garneau a été annoncée dans
La Presse le jour même de sa mort, le 3 mars 1904.

(Source : BANQ ; cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Notice funéraire parue dans La Presse le 5 mars 1904. Les funérailles
ont eu lieu à l'église du Gésu, rue de Bleury à Montréal, ce qui était 

sûrement un privilège, car rares ont été les obsèques célébrées dans
cette église jésuite qui servait alors de chapelle au collège Sainte-Marie. 

(Source : BANQ ; cliquer sur l'image pour l'agrandir)


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