Apollinaire Gingras (1847-1935) (Source : L'Emballement) |
Ce pauvre Bourassa ! Croit-il qu'un Démosthène
Peut encore réveiller tous les dormeurs d'Athènes ?
Patriote naïf, pour qui te prendra-t-on ?
Ils sont loin dans l'oubli, les jours de Marathon.
Nous, les dégénérés, servons une autre idole.
Les uns, c'est le "Parti" ; d'autres, la "Métropole".
[Notre patrie] ? Fi donc ! Un squelette embaumé.
Notre histoire est pour nous comme un livre fermé.
La fierté des aïeux ? Vous nous faites sourire.
Notre idéal, c'est d'être esclaves de l'Empire :
Esclaves en livrée, adroitement titrés,
Princes de carnaval brillamment chamarrés.
Vingt journaux pour l'idole à tous les vents trompettent
Des refrains bien payés que les badauds répètent.
De la chose publique on a fait un marais.
Les ormeaux sur ses bords se changent en cyprès ;
Lac couvert de roseaux, d'où l'aigle et la colombe
S'enfuient, comme étouffés par des odeurs de tombe.
Allez donc du pays plaider les intérêts :
Les partis vivent là : [le pays] passe après.
Qu'un fier coup de clairon en trouble les quenouilles :
À ces nobles appels répondront... des grenouilles !
"La patrie d'abord ! Son pays avant tout !"
La sirène répond : "Mais l'Empire est à bout !"
"Loyauté ! loyauté !" Nos chefs, triste délire,
Avec ce mot trompeur nous livrent à l'Empire.
Contrat bilatéral par chacun respecté,
Voilà bien, semble-t-il, la pleine loyauté.
Stratagème fatal d'ignoble politique,
On fait de ce grand mot une chaîne élastique.
Apollinaire Gingras* (1914)
Tiré de : Apollinaire Gingras, L'Emballement : poème anti-impérialiste, Bagotville, 1920, p. 15.
* Apollinaire Gingras, fils de Joseph Gingras, cultivateur, et d'Adélaïde Côté, est né à Saint-Antoine-de-Tilly le 7 mars 1847. Il fit ses études au Séminaire de Québec et à l'Université Laval. où il obtint un Doctorat ès Lettres. Il fut ordonné prêtre à Québec le 7 juin 1873. Il exerça son ministère dans plusieurs paroisses, dont Saint-Fulgence-de-Chicoutimi, Saint-Édouard-de-Lotbinière, Sainte-Claire-de-Dorchester et Château-Richer. Très malade en 1901, il prit sa retraite à Québec, puis il devint prédicateur volontaire de missions. Il résida plusieurs années au Saguenay, soit à Chicoutimi, Bagotville et Port-Alfred, puis à Hébertville, au Lac-Saint-Jean. Il décéda à l'Hôtel-Dieu de Chicoutimi le 19 mars 1935.
Intéressé par la littérature et l'histoire, Apollinaire Gingras fut en relation constante avec divers écrivains et cercles littéraires du Québec. En plus de son long poème L'Emballement paru en 1920 sous forme de brochure, il publia notamment deux recueils de poésies : Au foyer de mon presbytère (1881) et Poèmes et chansons (1935).
Intéressé par la littérature et l'histoire, Apollinaire Gingras fut en relation constante avec divers écrivains et cercles littéraires du Québec. En plus de son long poème L'Emballement paru en 1920 sous forme de brochure, il publia notamment deux recueils de poésies : Au foyer de mon presbytère (1881) et Poèmes et chansons (1935).
(Source principale : Dictionnaire des oeuvres littéraires du Québec, tome 1, Montréal, éditions Fides, 1980, p. 45).
Au sujet du poème L'Emballement, dont ci-haut se trouve un extrait, on peut lire dans le tome 2 du Dictionnaire des oeuvres littéraires du Québec un rappel contextuel du professeur et éditeur Guy Champagne dont voici des extraits substantiels :
« Alors que dans le passé les chefs politiques canadiens s'étaient toujours refusés à participer aux conflits armés de l'Empire, ceux de 1914 avaient accepté, en dépit de leurs promesses, de lever des troupes et d'endetter le pays pour venir en aide à la mère patrie [l'Angleterre]. Au Québec, des voix s'élèvent, dont celle du nationaliste Henri Bourassa qui affirme que le Canada, ne devant rien à l'Angleterre, ne doit pas s'engager dans une bataille qui lui est étrangère.
Six ans plus tard, le problème de la tutelle britannique est toujours présent. L'abbé Apollinaire Gingras décide donc de publier son long poème écrit en réaction à la participation du Canada à la guerre de 1914-1918, L'Emballement.
[...] Ce violent pamphlet fait le procès des visées impérialistes de l'Angleterre qui "n'a plus qu'à se croiser les bras, ses esclaves [étant] là pour mener ses combats". Gingras, en plus de s'en prendre à la mère patrie, vilipende les journalistes et les politiciens canadiens qui ont pour idéal "d'être esclaves de l'Empire".
Heureusement, pour réveiller le peuple hypnotisé par les propagandistes de ces "sanglantes querelles" qui souhaitent que "nos pauvres enfants, dans un lointain supplice, agonisent perdus sous d'horribles lauriers", il y a les Bourassa, les Lavergne, [les Lamarche] et d'autres autonomistes qui affirment que "Charité de bon sens commence par les siens" et que ce n'est pas manquer de loyauté que de choisir la "Liberté de fleurir au soleil du progrès" en son pays, plutôt que d'aller se faire tuer pour un drapeau à qui l'on ne doit rien.
Si ce pamphlet poético-politique "gonflé de lyrisme et de patriotisme" [...] eut beaucoup de succès au Québec, c'est que, à l'instar des essais politiques d'Henri Bourassa, il encourageait les visées autonomistes du peuple québécois ».
(Guy Champagne, Dictionnaire des oeuvres littéraire du Québec, tome 2, Montréal, 1987, p. 406).
L'Emballement : poème anti-impérialiste, d'Apollinaire Gingras, d'où est tiré l'extrait ci-haut, Le Marécage. Il n'en reste qu'un seul exemplaire sur le marché, soit ICI. On peut aussi le télécharger gratuitement ICI. (Cliquer sur l'image pour l'agrandir) |
Apollinaire Gingras, vers 1890. (Source : BANQ) |
Article paru dans Le Progrès du Saguenay, le 21 mars 1935, à l'occasion de la mort d'Apollinaire Gingras. (Source : BANQ ; cliquer sur l'image pour l'agrandir) |
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