vendredi 1 juin 2018

Les Ruines

Léonise Valois (Atala) (1868-1936)

(Source : BANQ)



          Souvenir d'une excursion à Rigaud.

   Nous longions un chemin, non loin de la montagne,
   En savourant à deux l'air pur de la campagne. 
   Nous avions cru tout voir du village charmant
   Et nous nous en allions, sans regret, en causant ; 
   Nous discutions nos goûts sur nos fleurs favorites,
   Tu cueillais les muguets et moi les marguerites,
   Nous parlions du passé, de nos chers souvenirs,
   De notre enfance heureuse et de ses doux plaisirs ; 
   Et notre intimité faisait cause commune
   De mes soucis présents, de ta bonne fortune ;
   Nous devisions aussi sur le grand mot "Bonheur"
   Qui sert à définir les mystères du coeur. 

   Nous pressâmes le pas ― la chaleur était grande 
   Des ruines ! m'écriai-je, et nulle autre demande
   Ne t'allat supplier ; nos goûts s'étaient compris,
   Nous gravîmes la côte, et les agneaux surpris
   Fuyaient le vert sentier pour bondir dans la plaine,
   Nous pardonnant ainsi d'envahir leur domaine.

   De l'antique château, les vieux murs sont debout,
   Un air de vétusté se répand sur le tout,
   Et l'encens du silence émanant de ces pierres
   Se mêle aux bruits confus qui semblent des prières. 

   Les marronniers en fleurs ont gardé le cachet
   Des amoureux propos échangés en secret,
   Et ces rameaux noués sont toujours les symboles
   De tendres coeurs épris se liant sans paroles.

   Tout nous parle sans voix ! Seul le babil des nids,
   En cet endroit désert, confond son gazouillis
   Aux ondes du ruisseau qui, près de là, murmure
   Un air dans l'hymne doux de la grande nature. 
   Et notre esprit songeur peuple de souvenirs
   Ce lieu tout saturé des plus riants plaisirs. 

   Vous réveillez la mort, âmes douces des choses ! 
   Au soleil de la vie, en des apothéoses,
   Les âmes des aïeux viennent se ranimer,
   Les coeurs vibrent encore du doux bonheur d'aimer !
   Et notre rêve ému, sous l'effet de ces charmes,
   Croit voir tous leurs regrets se noyer dans leurs larmes !
   
   C'était déjà le soir ― Nous songeons au départ,
   Tout le déclin du jour se dessine avec art
   À l'horizon vermeil. Par toute la colline, 
   Tout être fait mystère et doucement s'incline...

                                    ***

   Je t'offre ce camée où j'ai mis de mon coeur,
   Ne va pas t'attrister de sa morne couleur,
   Car son relief est fait sur fond de sympathie
   Et je ne l'ai sculpté qu'à ta demande amie. 

                  Léonise Valois*, alias Atala (1910)


Tiré de : Atala, Fleurs sauvages, Montréal, Librairie Beauchemin, 1910, p. 47-48.

Léonise Valois est née à Vaudreuil le 12 octobre 1878, d'Avila Valois, médecin, et de Marie-Louise Bourque. Elle fit ses études primaires à l'Académie Blondin, à Vaudreuil, et ses études secondaires au couvent de Beauharnois. Elle s'établit à Montréal avec sa famille en 1886. 
  Elle fit paraître son premier texte poétique, Aimer, dans le Recueil littéraire, paroisse Sainte-Cunégonde, à Montréal. De 1900 à 1902, elle dirigea la page féminine, Au coin du feu, de l'hebdomadaire Le monde illustré. Elle collabora à plusieurs autres journaux et périodiques, dont La Presse (1902), Le Journal de Françoise (1903-1904), La Patrie (1903-1905), Le Canada (1904), L'Écho de Vaudreuil (1907), L'Autorité (1913-1914), La Revue Moderne (1920), La Terre de chez nous (1929-1931). Elle utilisa divers noms de plume : Attala, Atala, Marraine, Lumina.
     De 1907 à 1929, elle fut fonctionnaire au service postal. 
  Membre fondatrice du Canadian Women's Press Club (1904). Journaliste invitée à l'Exposition universelle de Saint-Louis (États-Unis, 1904). 
   En 1910, elle publia Fleurs sauvages, premier recueil de poésies publié au Québec par une femme. Membre de la Société des Poètes canadiens-français à partir de 1933, elle publia en 1934 son deuxième recueil de poésies, Fleurs tombées, de même qu'une réédition de Fleurs sauvages
   En plus de ses recueils de poésies et de ses chroniques, une correspondance (1900-1901) et des pages de journal intime (1933, 1935) apparaissent dans le livre de son arrière-petite-nièce, Louise Warren, intitulé Léonise Valois, femme de lettres, paru en 1993 aux éditions de l'Hexagone. 
   Les chroniques de Léonise Valois, qui est l'une des pionnières du journalisme féminin au Québec, se portent à la défense des droits des femmes : nécessité d'une instruction plus accessible, autonomie financière, égalité dans le mariage, conditions de travail des institutrices, etc. 
   Impliquée dans un accident routier à la sortie d'une banque, sa chute sur les rails de tramway la laissa soixante-trois jours dans le coma (9 novembre 1931 au 29 janvier 1932). 
   Léonise Valois est décédée à l'Hôtel-Dieu de Montréal le 20 mai 1936, alors qu'elle venait de gagner le concours de poésie de la Société des Poètes canadiens-français.  

(Sources : Marie-Paule Desjardins, Dictionnaire biographique des femmes célèbres et remarquables de notre histoire, Montréal, éditions Guérin, 2007, p. 482-483 ; Dictionnaire des oeuvres littéraires du Québec, tome 2, Montréal, éditions Fides, 1980, p. 505).

Pour en savoir plus sur Léonise Valois, cliquer ICI


Fleurs sauvages, recueil d'Atala
(Léonise Valois), d'où est tiré le
poème Les Ruines, ci-haut. Le 

dessin de la couverture est 
d'Albert Ferland. On peut trouver 
un exemplaire de la deuxième édition ICI.

(Cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Dédicace manuscrite de Léonise Valois dans son
recueil Fleurs sauvages et adressée au directeur
du journal Le Devoir, qui était alors Henri Bourassa.

(Collection Daniel Laprès ;
cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Léonise Valois

(Source : Georges Bellerive, Brèves 

apologies de nos auteurs féminins,
Québec, éditions Garneau, 1920)

Biographie de Léonise Valois publiée en 1993
par Louise Warren. L'ouvrage n'est disponible
que dans les librairies d'occasion, dont ICI

La rue Saint-Pierre, qui mène vers la colline de Rigaud,
tel qu'elle paraissait à l'époque où Léonise Valois a
composé son poème Les Ruines.

(Cliquer sur l'image pour l'agrandir ;
source : Rigaud, une ville à la campagne)

La rue Saint-Pierre, à Rigaud, à la même époque,
mais cette fois vue en revenant de la colline.

(Cliquer sur l'image pour l'agrandir ;
source : Rigaud, une ville à la campagne)

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