lundi 4 juin 2018

L'orgue de Barbarie

Émile Coderre (1893-1970)

(Source : son recueil Les Signes sur le sable)





            "Oh ! je t'aime, vieil air qu'on
                    traîne dans les rues ! "
                                - Jean Richepin


   Dans la rue, un joueur d'orgue s'est arrêté ;
   C'est un vieux mendiant, et sa main qui tremblotte
   Tourne la manivelle en triturant les notes
   D'un vieil air d'opéra cent mille fois chanté. 

   Il regarde un à un, sombres, mélancoliques,
   Les passants qui s'en vont en détournant les yeux.
   L'orgue joue en grinçant : "Éléonore, adieu !"
   Puis, le vieillard s'éloigne en traînant sa musique.

   Le voilà qui s'installe à quelques pas plus loin. 
   L'orgue gémit encore la chanson du "Trouvère",
   Et le joueur attend, musicien de misère, 
   Qu'on lui jette les sous dont il a tant besoin. 

   ... "Éléonore, Adieu !" La vieille main débile
   Se crispe, ankylosée à force de souffrir...
   L'orgue pleure toujours : "Je vais bientôt mourir !"
   Mais personne ne jette un sou dans la sébile 

   Tandis qu'on s'enfuyait aux notes du vieil air,
   Délaissant le joueur et sa "boîte à musique",
   Moi, je le comparais (l'idée est fantastique)
   À nous les inconnus, à nous, faiseurs de vers.
   
   Mendiants nous aussi, nous errons dans la vie
   En jetant aux passants la chanson de nos cœurs ; 
   La foule nous écoute avec un air moqueur,
   Puis s'en va, dédaignant nos musiques ravies. 

   ... Ne chantons plus l'Amour ! Quel ennuyeux refrain !
   Voilà bien des mille ans que ce duo se chante !
   Nous sommes les derniers qu'un si vieil air enchante,
   On rit de nous déjà : que serait-ce demain ?

   Votre époque est passée, Ô Laure, Ô Béatrice !
   On se moque de vous, Pétrarque, Alighieri !
   Et les seules chansons dont personne ne rit
   Sont celles du plaisir, de l'or, des bénéfices.

   ... À quoi bon plaisanter, mon rire sonne faux !
   En ce monde où l'argent est le dieu qu'on proclame,
   Frères, chantons encore la chanson de nos âmes,
   Méprisés si l'on veut, mendiants s'il le faut !

                                         Émile Coderre
(1922)




Tiré de : Émile Coderre, Les signes sur le sable, Montréal, Chez l'auteur, 1922, p. 19-21. 

Pour en savoir plus sur Émile Coderre - Jean Narrache, cliquer ICI


Les Signes sur le sable, recueil de poésies
d'Émile Coderre, d'où est tiré le poème
L'orgue de Barbarie, ci-haut.

(Cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Dédicace d'Émile Coderre, sous son nom de plume de Jean
Narrache, dans son recueil Bonjour les Gars !, dont on peut se
procurer de rares exemplaires ICI.

(Collection Daniel Laprès ; cliquer sur l'image pour l'agrandir)

La biographie d'Émile Coderre par Richard
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