lundi 18 mai 2020

Adieux à Sir John Colborne

Pierre-J.-O. Chauveau (1820-1890)

Portrait réalisé vers 1838-39, à l'époque 

où, vers l'âge de 18 ans, il composa le 
poème ci-dessous.

Source : Hélène Sabourin,
À l'école de P.-J.-O. Chauveau.



        (Fragments)

   Colborne, comme la ville est sombre à ton départ !
   On dirait un linceul jeté de toute part ; 
   Ces visages, parfois mobiles comme l'onde,
   Conservent tous l'aspect d'une douleur profonde.
   
   Est-ce qu'en te perdant le peuple croit qu'il perd 
   Un maître juste et bon, un maître ferme et sage ?
   Ce pauvre peuple, hélas, victime de ta rage,
   A-t-il donc oublié tout ce qu'il a souffert ?

   Des villages détruits n'est-il donc plus de fumée
   Qui montant vers les cieux décèle tes méfaits ?
   De tes séides fiers la fureur désarmée 
   N'exalte-t-elle plus les crimes qu'ils ont faits ?

   Loin de cela, bien loin ; ce que fut ta clémence,
   On ne le sait que trop, et tes lâches amis,
   Qui du sang des vaincus par toi furent nourris,
   En te reconduisant bénissent ta démence. [...]

   Tandis que pour scruter des crimes prétendus
   On tira de l'égout tous les hommes perdus,
   Et que pour satisfaire à ton puissant caprice,
   Interprètes soldés des pensées de chacun,
   Ils mirent au cachot sans forme de justice,
   Sans rien vouloir entendre et sans motif aucun,
   Tous ceux qui n'avaient pas le talent de leur plaire !
   En vain prétendras-tu qu'un effroi salutaire
   Résulte de ces faits et seul sauve l'État.

   Jeter aux chiens d'enfer dont la race fourmille,
   Comme un os corrompu, toute brave famille ;
   Traiter un peuple entier comme un vil scélérat,
   Ce n'est pas là des rois venger la noble cause.
   Et s'il est des méchants, s'il en est que l'on ose
   Envoyer devant Dieu chercher leurs châtiments : 
   Ceux qui passent la vie à forger des tourments
   Pour des hommes par eux contraints à la révolte,
   Qui sèment la discorde, attendant pour récolte
   La mort de leurs rivaux et les biens des proscrits. 

   Puis quand ils ont enfin élevé la potence
   Comme une table où règne une affreuse abondance,
   Pour provoquer encore font éclater leur ris ;
   Ceux-là sont méchants ! Ceux-là sont les vrais traîtres ! 
   Sous ton règne, Colborne, ceux-là furent nos maîtres ! [...]

   Dans ce champ funéraire illustré par tes armes, 
   Peut-être entendras-tu dire à des voix en larmes : 
   « Les faibles sont tombés sous la hache des forts !
   « La justice a détruit les bourgades trompées.
   « Les vengeances de Dieu, comme ils les ont outrées !
   « Ils n'épargnent personne, ils n'ont point de remords,
   « Les faibles sont tombés sous la hache des forts ! »

   Ces voix, ce sont les voix des enfants et des femmes,
   Des vieillards, qui, souffrant pour les fautes d'autrui,
   Au jour de la vengeance ont péri par les flammes.
   Ensuite, si tu veux, pour chasser ton ennui, 
   Quelqu'un pour converser, du tertre mortuaire
   Chénier se lèvera, drapé dans un suaire ;
   Tu lui diras comment un généreux vainqueur
   Entrouvrit son cadavre et déchira son cœur ; 
   Qu'il fut laissé, la nuit, aux griffes de l'orfraie
   Et traîné tout le jour sur l'infamante claie. [...]

   Pardonne, je m'oublie au champ de Saint-Eustache.
   Tu pars !... De ton vaisseau les foudres ont tonné
   Et le dernier signal bientôt sera donné.
   De ta suite déjà s'agitent les panaches,
   Des tambours de la garde un dernier roulement,
   De tes amis zélés un rauque hurlement,
   Dans le sein de la foule un mouvement rapide
   Annoncent ton départ. Reçois donc nos adieux.
   Nous ne médirons pas de ton règne odieux.
   Qui voudrait remuer ta mémoire fétide ?

   Seulement, pour flatter l'orgueil de ton vieux cœur,
   Si par hasard dans Londres une vénale plume
   Voulait de tes hauts faits compiler un volume
   Sur tes exploits récents, ô noble vainqueur, 
   Rappelle-toi là-bas ce qu'une amitié sage
   Te souhaite au départ : silence et bon voyage !

                             Pierre-J.-O. Chauveau
(1839)



Tiré de : Le Répertoire national, volume 2, deuxième édition, Montréal, J. M. Valois & Cie, 1893, p. 142-145.

De P.-J.-O. Chauveau, les Poésies québécoises oubliées ont également présenté : À une étoile tombanteTaquineries poétiques au « comité de la pipe »La Messe de Minuit à l'Islet.


Le poème Adieux à Sir John Colborne, de Pierre-J.-O. Chauveau, 
est tiré du deuxième volume du Répertoire national. Pour lire ou
télécharger la version intégrale du poème dont sont présentés
ci-haut des fragments, cliquer sur l'image de la couverture : 



Pour en savoir plus sur le personnage odieux 
que fut John Colborne, cliquer sur son portrait : 



Pour en savoir plus sur Pierre-J.-O. Chauveau, qui devint le
premier Premier ministre du Québec, cliquer sur cette image : 



Pierre-J.-O. Chauveau a prononcé certains des plus 
grands discours de l'histoire politique du Québec, 
dont celui qu'il a livré lors de l'inauguration du 
monument funéraire de l'historien François-
Xavier Garneau. Cliquer sur cette image pour 
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