samedi 9 mai 2020

Québec

Simone Routier (1901-1987)

(Source : René Pageau, Rencontres avec Simone
Routier
, Joliette, éditions de la Parabole, 1978)




           À Maurice Hébert.
   
   Sur la maison, l'air est plus abondant, plus pur.
   Si j'y montais ? Il est midi, le soleil darde, 
   Notre terrasse est vaste et le haut pan du mur
   Où ma chaise s'appuie y monte un peu la garde,
   Il ne livre aux voisins que mes cheveux ; or les
   Dalilas n'étant plus, qu'aurais-je encor à craindre ?
   D'ailleurs, ces toits prochains sont, comme par exprès,
   Tous plus bas que le nôtre et n'offrent pas le moindre
   Balcon ouvert qui leur donnerait quelque ciel.
   Puis, une fois là-haut, au vent l'inquiétude. 
   Tôt l'oubli de l'instant tombe torrentiel. 

   Notre fleuve est au bas et, de mon altitude,
   Je vois s'en aller tant de libres paquebots,
   Par le tournant lointain, vers la mer désirée,
   Que l'opulent départ crie en moi de nouveau
   Et que je me sens plus seule et plus altérée.
   Un avion s'amuse à scruter nos contours,
   Son moteur ronfle et c'est comme une immense abeille
   Qui cherche dans l'azur l'unique fleur vermeille.
   Et longtemps l'œil s'aiguise à suivre son parcours.

   Les côtes de Lévis, d'humbles maisons gemmées,
   Ont soudain à leurs pieds de minuscules trains
   Dont la tête au parcours jette, en blanches fumées,
   Un panache agrandi par-delà les moulins : 
   Une vie au décor, un écho vif à l'âme.
   De longs nuages gris, en l'instabilité
   Captivante de leurs profils, disent la flamme
   Du rêve trop changeant qu'un soleil a sculpté.

   Et tout ce clair espace exprime on ne sait quelle
   Ivresse résignée où dort un grand désir. 
   Le Saint-Laurent enlace encor la Citadelle,
   En étreignant le Cap, avant de rétrécir. 
   Son eau drue est puissante et profonde, mais passe
   En maîtrisant sa force, obstinée en son lit. 
   Le promontoire arbore aussi une terrasse, 
   Terrasse Dufferin où, toujours ébloui, 
   L'étranger, au sortir du vieux Château, s'arrête
   Et dit que ce cadre à nul autre n'est pareil. 

   L'hôtel des Postes, tout au-dessus de ma tête,
   A son haut dôme blanc, son cadran en éveil
   Qui gaiement carillonne aujourd'hui qu'il est l'heure
   D'attendre de la France un courrier plus constant.
   Puis l'Université Laval pointe, demeure 
   D'un culte maintenu du doux parler... d'antan. 

   À gauche, un petit parc où le Grand Séminaire
   Glisse le rang étroit de son noviciat.
   Petit parc tout boisé, bien humble et solitaire,
   Ses sentiers sinueux n'arborent point l'éclat
   Des jardins éclairés de vasques et de marbres,
   Seul un gris monument y met son lourd défaut.

   Que je suis attachée à ce fleuve, à ces arbres,
   À ce rocher nu qui connût les durs assauts,
   À cette île, à ces monts bleus, à ce paysage
   Des miens, de mon enfance ! Et pourtant... un désir,
   Plus véhément encor que leur ardente image,
   Me harcèle souvent : partir ! partir ! partir !

   Et n'est-ce point ce même appel qui fit venir
   Mes ancêtres, leur fit quitter leur beau village ?
   Et que le sang normand fait en moi refleurir,
   Pressant besoin d'adieux, de départs, de rivages ?...

                                        Simone Routier*(1929)



Tiré de : Simone Routier, Les tentations, Paris, Éditions de la Caravelle, 1934, p. 13-15. 

 Simone Routier est née à Québec le 4 mars 1901, d'Alfred-Charles Routier et de Zélia Laforce. Son père était l'unique neveu et filleul de l'historien François-Xavier Garneau
   Diplômée du Monastère des Ursulines de Québec en 1920, elle étudia à l'Université Laval et à l'Université de Paris, où elle obtint en 1930 un diplôme en phonétique. Elle fut également graduée, l'année suivante, de la Faculté des Lettres de la Sorbonne. En 1945, elle paracheva des études de philosophie à l'Institut dominicain d'Ottawa
   De 1930 à 1940, elle fut dessinatrice-cartographe aux Archives publiques du Canada à Paris, puis, jusqu'en 1950, assistante-archiviste à la section des manuscrits à Ottawa. De 1950 à 1955, elle occupa le poste d'attachée de presse et d'information à l'ambassade canadienne à Bruxelles. Elle exerça les mêmes fonctions de 1955 à 1958 au consulat général canadien à Boston, où elle fut également vice-consule.
   Un drame la marquera pour la vie : en 1939, son fiancé, Louis Courty, mourut accidentellement la veille de leur mariage. 
   En 1929, elle avait remporté le Prix David pour son recueil de poésies L'Immortel adolescent. Son deuxième recueil, Ceux qui seront aimés, parut en 1930 et lui valut le diplôme d'honneur de la Société des poètes canadiens-français, de même que le diplôme des Jeux Floraux du Languedoc et la médaille du lieutenant-gouverneur. Elle publia également les recueils de poésie suivants : Les Tentations (1934) ; Les psaumes du jardon clos (1947) et Le long voyage (1947). Elle est également l'auteure de : Paris, Amour, Deauville (1932) ; Adieu Paris ! Journal d'une évacuée canadienne (1941 et 1942) et Réponse à « Désespoir de vieille fille » (1943).
    Membre, entre autres, de la Société des poètes canadiens-français, de la Société des poètes français (Paris) et de l'Académie canadienne-française, elle fut déléguée à de nombreuses biennales internationales de poésie et à divers congrès. Elle collabora à plusieurs journaux et revues tant au Québec qu'en Europe et prononça diverses conférences et causeries.
   En 1971, Simone Routier s'installa à Sainte-Anne-de-la-Pérade, où elle vivra jusqu'à sa mort survenue le 6 novembre 1987 à l'hôpital Saint-Joseph de Trois-Rivières. Elle est inhumée au cimetière de Sainte-Anne-de-la-Pérade. Elle avait épousé J.-Fortunat Drouin le 8 avril 1958.
(Sources : René Pageau, Rencontres avec Simone Routier, Joliette, Éditions de la Parabole, 1979; Dictionnaire des oeuvres littéraires du Québec, tome 2, Montréal, éditions Fides, 1981, p. 581; Dictionnaire Guérin des poètes d'ici de 1606 à nous jours, Montréal, éditions Guérin, 2005, p. 1182 ; Wikipedia ; Académie des Lettres du Québec).

Pour en savoir plus sur Simone Routier, voyez les documents sous son poème Mon pays



Le poème Québec, ci-haut, est tiré de Les Tentations,
recueil de Simone Routier paru à Paris en 1934.
On peut en trouver ICI un exemplaire d'autant
plus rare qu'il est dédicacé de la main de l'auteure.

(Cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Dédicace manuscrite de Simone Routier dans Les Tentations
et adressée au P. Marcolin-Antonin Lamarche o.p., qui à
cette époque était un critique littéraire influent.

(Collection Daniel Laprès ; cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Ce bois gravé représentant Simone Routier, inclus
dans le recueil Les tentations, est d'André Margat.
On remarque au bas que la poétesse a écrit à la
main : « dans 20 ans ! ».

(Cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Les tentations, de Simone Routier, a été préfacé par Fernand Gregh,
poète, critique littéraire et membre de l'Académie française.

(Cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Simone Routier a été inhumée au cimetière
de Sainte-Anne-de-la-Pérade, où elle a résidé
durant les dernières décennies de sa vie.

(Photo : Daniel Laprès, 2018 ;
cliquer sur l'image pour l'agrandir)


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2 commentaires:

  1. mais quel belle poème il y a si longtemp que je ne me suis eautemp régaler de la sorte quel son magnifique a mon oreille tra la la une vrait musique du Français mais québécoise eau que de temp perdu avant d'entendre la voix de chez soi qui caresse mes jou jusqu'à l oui et de mon tympan qui vibre au son du vent de mon pays qui est liverde vigneau a rimbaud de nelligan a mont tremblant des feille mort sur une pierre qui y séchait ces dernier souffle de son temp tra la la merci de cette belle énergi cette poésies québécoise qui ne faut pas oublier

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  2. Je suis très intéressée à lire plus de poésie !
    MERCI ! Marie-Claire

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