Charles Trudelle (1822-1904) (Source : Société d'histoire de Charlevoix) |
(Fragments)
Que ne puis-je en ce jour, aux vers donnant la loi,
Faire entendre en tout lieu des chants dignes de toi !
Oui, je te chanterais, ô ma douce patrie !
Comme le fils bien né d'une mère chérie
Qui va louant toujours l'objet de son amour,
En vers harmonieux je dirais tour à tour
Et les faits merveilleux de ta brillante histoire,
Et les lieux renommés qui gardent la mémoire
De tant de noms chéris, dont le doux souvenir
Doit passer d'âge en âge aux siècles à venir,
Et les chants glorieux qu'illustra la vaillance,
Et les prés émaillés, si chers à mon enfance.
Tantôt comme Virgile, sur le doux chalumeau,
Je chanterais la paix, les plaisirs du hameau,
Nos épaisses forêts et nos riches campagnes,
Le Huron poursuivant l'élan sur les montagnes,
Le Huron poursuivant l'élan sur les montagnes,
L'enfant qui de l'hiver brave tous les frimas
Et guide son traîneau sur un lit de verglas,
Ou sillonne en tous sens l'éclatante surface
Qu'offre aux légers patins un brillant pont de glace.
Quelquefois j'oserais, d'un style plus pompeux,
Peindre du Saint-Laurent le cours majestueux ;
Ou bien, sans redouter l'infortune d'Icare,
Et suivant dans son vol le sublime Pindare,
Chanter de nos guerriers le vaillant bataillon
Triomphant et vainqueurs aux champs de Carillon. [...]
C'est alors que vos noms, célébrés dans mes vers,
Iraient de bouche en bouche au bout de l'univers,
Sainte-Hélène, Longueuil et vous brave Bienville !
Famille de héros que les plus durs climats
Virent jadis gaiement affronter les combats. [...]
Puis, quittant ces sujets, sur le rivage errant,
Qu'il me plairait le soir, aux bords du Saint-Laurent,
De prêter en silence une oreille attentive
Aux chants du matelot que répète la rive !
De contempler souvent, au loin fendant les flots,
De joyeux Canadiens dans leurs légers canots ;
Et la lune argentant de sa clarté féconde
Mille objets répétés dans le cristal de l'onde !
Oh ! oui, qu'il me plairait de composer alors,
Pour dire ces beautés, les plus tendres accords !
Combien de fois aussi, dans un riant bocage,
Écoutant des oiseaux l'agréable ramage,
À leur chant doucereux je mêlerais ma voix,
Pour faire retentir les échos de nos bois !
Puis, variant les sons de mon humble musette,
Paisiblement assis sur la naissante herbette,
Ou suivant en jouant les replis d'un ruisseau,
Des jardins et des champs je peindrais le tableau :
Et comme l'abeille
Et comme l'abeille
Qui, de fleur en fleur,
Pillant la corbeille
Et flairant l'odeur
Des parfums de la flore
Et même du jour
Prévenant l'aurore,
Revoit tour à tour
Les beautés nouvelles
Qui, dans le jardin,
Renaissent plus belles
Au frais du matin,
Ma muse légère
Ainsi volerait
Parmi la fougère,
Parmi la fougère,
Et là chanterait
La riche verdure
Qui de son manteau
Revêt la nature
D'un éclat nouveau.
Toutes les merveilles
Des jardins, des prés,
Les roses vermeilles,
Les œillets pourprés,
L'humble violette,
Le narcisse en fleur,
La blanche paquerette,
L'agréable odeur
Du lilas nouveau
Embaumant l'enceinte
D'un riant berceau ;
La sombre hyacinthe :
Tous les trésors enfin que les tendres zéphyrs
Font éclore au printemps au gré de nos désirs ;
Et les fruits abondants que nous offre l'automne ;
Et les champs jaunissants que, plein d'espoir, moissonne
Le joyeux laboureur, suivi de ses enfants,
Seraient aussi l'objet de mes chants. [...]
Puisque du don des vers le ciel, sage et discret,
Me condamne toujours à ignorer le secret,
Froid versificateur, sans génie et sans verve,
Je ne veux plus rimer en dépit de Minerve.
Mais si plus tard sa voix, réveillant mon ardeur,
M'appelait à mourir sur le champ de l'honneur,
Digne fils des héros que guidait d'Iberville,
Et comme eux méprisant une crainte servile,
J'irais, je volerais au milieu des combats,
Du belliqueux clairon les sonores éclats,
Sous les drapeaux vainqueurs m'appelant aux armes,
Pour moi, dans ce grand jour, auraient autant de charmes
Que les sons doucereux de l'humble chalumeau
Qui module le soir les chants gais du hameau.
Car ma seule devise et mon plus beau partage,
Ma gloire et mon bonheur, en tout temps, à tout âge,
Sera toujours d'aimer, de défendre à la fois
Nos institutions, notre langue et nos lois.
Charles Trudelle (1878)
Tiré de : L'abbé Trudelle, Trois souvenirs, Québec, Imprimerie de Léger Brousseau, 1878, p. 75-80. Le titre original du poème d'où sont tirés les fragments ci-haut est « Hoc erat in votis », dont la traduction française est « Voilà ce que je désirais ».
Pour en savoir plus sur Charles Trudelle, voyez la notice biographique et les documents sous son poème Le petit Roger bon temps.
Pour lire ou télécharger la version intégrale du
poème dont des fragments sont présentés ci-haut,
cliquer sur la couverture du livre de l'auteur :
Les Glanures historiques québécoises ont présenté
ce texte, dont la lecture est fort agréable, de
Charles Trudelle, qui raconte une expédition
nocturne sur le cap Tourmente, vers 1845.
Pour le lire, cliquer sur cette image :
Charles Trudelle était l'un des animateurs d'une tout aussi
sympathique qu'inusitée association de curés et vicaires
nommée le « Congrès de la Baie Saint-Paul », qui se
réunissaient pour réciter des poèmes de leur composition.
Les réunions du Congrès avaient lieu au presbytère de
Baie-Saint-Paul, à l'époque où Charles Trudelle en était
le curé. Un recueil de poésies, certaines piquantes et
toutes pleines de saveur, en a été publié. Les curés-
poètes y avaient des « noms de guerre », celui de
Charles Trudelle étant « Charlemagne », comme on le
voit sur le rare document intitulé « La clé du Congrès »,
que nous avons joint au recueil que l'on peut consulter
ou télécharger en cliquant sur cette image qui
montre le presbytère de Baie-Saint-Paul, où se
tenaient les réunions du Congrès de ces poètes-curés :
(Photo du presbytère : Pierre Rochette)
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