dimanche 31 mai 2020

La voix des bois


Louis-Joseph Chagnon (1889-1947)

(Source : Centre d'histoire
de Saint-Hyacinthe
)




   Lorsque mon pauvre cœur, fatigué de la vie,
   Ne sent plus de mon sang le flux haletant, 
   Pour calmer mon aigreur et pour chasser l'envie
   Je dirige mes pas vers le bois qui m'attend.

   Je sais bien que toujours le bois aimé m'accueille
   Et me verse à longs traits le baume qui m'endort.
   Une goutte de miel s'accroche à chaque feuille
   Et le bois me la sert dans une coupe d'or[...]

   Qu'il fait bon, loin du monde et de la foule humaine,
   Sentir autour de moi le calme du grand bois !
   J'entends chanter la voix de la source prochaine
   Et, pour calmer ma soif, je m'y penche et je bois.

   Chaque fois que ma lèvre a frémi de souffrance
   En buvant à la coupe où je bois mon destin,
   Je m'en viens d'un pas sûr chercher de l'espérance
   Dans le bois qui m'est cher et dont je suis certain. [...]

   Si vous saviez comprendre un peu la voix si douce
   Des beaux arbres debout au sein de la forêt,
   Quand vous allez, rêveur, vous coucher sur la mousse,
   Ému pas ses accents, votre cœur vibrerait. 

   Sans doute cette voix, bien que réelle et tendre,
   N'a pas les sons parlés de celle des humains ;
   Mais elle parle bien à qui veut bien l'entendre
   Au cœur de nos grands bois comme au creux des chemins. 

   Je l'entends, c'est, là-bas, le bruissement d'une aile,
   Le froissement discret des feuilles qu'un oiseau,
   Sentant l'appel vibrant de l'âme maternelle,
   Ourle de fine paille et pique d'un roseau. 

   C'est le souffle léger de la brise qui passe,
   Caressant le feuillage au port majestueux ;
   C'est un appel plaintif qui déchire l'espace,
   Le sifflement aigu d'un envol vers les cieux.

   Et c'est le vent du soir qui geint dans le feuillage
   Avec le grand fracas de la vague et des flots,
   Triste comme l'adieu pour le dernier voyage...
   Et la plainte persiste où montent des sanglots !

   Mais la voix du grand bois, tantôt douce et légère,
   Tantôt triste à mourir et porteuse de pleurs,
   Berçant le rêve aimé de l'heure passagère, 
   Fait les cœurs plus humains et les hommes meilleurs.

                             Louis-Joseph  Chagnon* (1925)




Tiré de : Louis-Joseph Chagnon, La chanson des érables, Montréal, Les éditions du Devoir, 1925, p. 30-34.

*  Louis-Joseph Chagnon est né à Waterloo (comté de Shefford) le 2 août 1889, de Joseph-Antoine Chagnon, avocat, et de Hermine Blanche Caron. Après avoir fait ses cours primaire et secondaire au Collège Saint Bernardin de Waterloo, il fit ses études classiques au Séminaire de Saint-Hyacinthe de 1903 à 1911, puis étudia le notariat à Granby de 1913 à 1915.
   Journaliste et traducteur, il devint en 1910 rédacteur du Journal de Waterloo, propriété de son père qu'il dirigea jusqu'en 1912. À partir de 1915, il entra dans la fonction publique, puis devint traducteur des débats de la Chambre des Communes, poste qu'il occupa jusqu'à son décès. 
   Il publia en 1925 son seul recueil de poésies, La chanson des érables, dont la plupart des poèmes furent composés durant ses années d'études au Séminaire de Saint-Hyacinthe. Il publia plusieurs poèmes dans des journaux et périodiques, sous les noms de plume de « Louis de Rosale» et « Jean de Ravier ». Plusieurs de ses poésies ont été mises en musique par Pierre Gauthier, Joseph Beaulieu, Paul Larose et plusieurs autres, et certaines, dont la musique a été composée par Joseph Beaulieu, font partie du recueil La bonne chanson, de l'abbé Gadbois.
   Il est l'auteur d'une pièce de théâtre, Le chapeau de paille, qui fut jouée en diverses localités et qui fut primée en 1928 au concours du Salon des poètes de Lyon.
   Il reçut diverses distinctions littéraires, dont celle, en 1924, de diplômé d'honneur au concours de la Revue des poètes de France, puis il fut, en 1927, lauréat du Salon des poètes de Lyon. Il était membre de la Société des poètes canadiens-français et de la section littéraire de l'Institut canadien-français.
   Très actif dans la vie culturelle, littéraire et patriotique de l'Outaouais, il fut notamment élu en 1929 président de l'Association technologique de langue française et président de la Société Saint-Jean-Baptiste d'Ottawa. Il fut également directeur de la Société de conférences de l'Université d'Ottawa et de l'Alliance française d'Ottawa.
   Louis-Joseph Chagnon est mort à Ottawa le 16 juillet 1947. Il avait épousé Denise Pelletier à Granby le 18 août 1915.
(Sources principales : Le Droit, 19 juillet 1947 ; Bernard Vinet, Pseudonymes québécois, Québec, éditions Garneau, 1974, p. 291 ; Georges Bellerive, Nos auteurs dramatiques anciens et contemporains, Québec, 1933, p. 121 ; Précis d'histoire littéraire : littérature canadienne-française, Lachine, Procure des Missions des Soeurs de Saint-Anne, 1928, p. 166-167 ; Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec, tome 2, Montréal, éditions Fides, 1981, p. 201-202 ; The Ottawa Journal, 21 juillet 1947). 

De Louis-Joseph  Chagnon, les Poésies québécoises oubliées ont également présenté : Nature, que fais-tu ?



La chanson des érables, recueil de
Louis-Joseph Chagnon d'où est tiré
le poème La voix des bois, ci-haut.


(Cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Article du journaliste et écrivain Harry Bernard dans Le Courrier 
de Saint-Hyacinthe du 2 octobre 1925, au sujet du recueil de 
poésies de Louis-Joseph Chagnon.

(Source : BANQ)

Le Courrier de Saint-Hyacinthe, 1er février 1929.

(Source : BANQ)

Le Droit, 19 juillet 1947.

(Source : BANQ ; cliquer sur l'image pour l'agrandir)

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