Membres de l'École littéraire de Montréal en 1921, dont plusieurs sont mentionnés dans le poème ci-dessous d'Albert Boisjoly : #1 : Lionel Léveillé, alias Englebert Gallèze ; #2 : Alphonse Beauregard ; #3 : Germain Beaulieu ; #4 : Roger Maillet ; #5 : Victor Barbeau ; #6 : Joseph-Arthur Lapointe ; #7 : Albert Maillé, alias « Albert Dreux », #8 : Albert Laberge ; #9 : Henri Letondal ; #10 : Ubald Paquin ; #11 : Albert Boisjoly (auteur du poème ci-dessous) ; #12 : Isaïe Nantais ; 13 : Berthelot Brunet. (Source : Richard Foisy, L'Arche, un atelier d'artistes dans le Vieux-Montréal, Montréal, VLB Éditeur, 2009, p. 108 ; cliquer sur l'image pour l'élargir) |
(Pour en savoir plus sur les personnages évoqués dans le poème, cliquer sur leurs noms)
RÉMINISCENCES
Où sont, dirait Villon, ces écrivains d'antan ?
Quelques-uns sont partis et triment chez Satan
Ou chez les séraphins s'exercent sur la harpe !
Mais les vivants ? Ceux-là dont la muse en écharpe
Parvenait à vibrer aux soubresauts du cœur ?
Ceux-là qui se donnaient de l'encensoir vainqueur :
Du dramaturge éphèbe au vieux pamphlétaire ?
Ceux qui virent grandir l'École littéraire
Et la virent tomber ? ― Combien ont survécu
Aux rudes coups du temps, qui m'a quasi vaincu ?
Germain Beaulieu, ce doux artiste, presque aveugle,
Préférant l'orthoptère à la vache qui beugle,
Et qui, certaine fois, ne sachant pas tirer
Mais chassant une grive, en fut triste à pleurer !
Léveillé, l'Englebert Gallèze de ces dames,
Qui racontait en vers de si tragiques drames ;
Ce chantre canadien qui, plus fort que Pagnol,
Sut donner tant d'accent au joyeux rossignol(1)
Que nous ne savons plus sur quelle note il chante ;
Ce Prince de la Belle au Bois, vraiment méchante,
Qui feignait de dormir tandis qu'il en rêvait
À la claire fontaine où son cœur s'abreuvait !
Qui trouva que les soirs d'amour sont au génie
Ce que la blonde bière est aux reins maladifs
Et qui vient m'avouer, pris de regrets tardifs,
Qu'une Margot dodue, en chair tendre et peu rare,
Vaut mieux qu'une Vénus en marbre de Carrare !
Où sont-ils maintenant ? Ferland, ce bûcheron
Qui chanta son pays comme un fier ouaouaron(2) ;
Dumont, le taciturne et généreux libraire
Qui vivait pour ouïr comme d'autres pour braire ;
Loranger, le maçon de ces vers ambigus
Qui me donnaient, hélas ! des maux de tête aigus ;
Avec du reportage en gazette rimée(3) !
Ceux-là sont morts, s'il faut en croire les journaux,
Et font dans la musique ou dans les hauts fourneaux.
Mais Laberge ! Le père immortel de La Scouine,
Qui fouillait la beauté de son regard de fouine
Et qui, ne pouvant pas se nourrir de lauriers,
Assujettit son âme aux travaux roturiers !
Vit-il encore ? A-t-il atteint l'âge bonasse
Où l'on occupe un siège au Sénat du Parnasse ?
Le rude Ubald Paquin, ce Ponson du Terrail
Qui venait à l'École en bombant le poitrail
Et qui, sans dérougir et sans craindre Valdombre,
Lisait jusqu'au matin des chapitres sans nombre !
Ployé sous le remords, couvert de talismans,
Croit-il bon d'expier en lisant ses romans ?
Et Doucet ? Ce Breton bretonnant sans vergogne,
Prince à Québec, ailleurs ce poète-cigogne
Qui, bien avant Poirier, eut la distinction
D'unir deux fiers prénoms par un trait d'union !
Un soir, qu'il présidait un banquet au blé d'Inde
Où s'étaient réunis les montagnards de Pinde,
Il dit, en promenant sur nous son œil pensif,
― Je n'ai pas de vaisseau taillé dans l'or massif
Et je me sers toujours du vieux canot d'écorce. ―
Après un court instant, il se gonflait le torse
Pour alors ajouter, dans son plus pur français :
― Ramez, mes chers amis, ramez : c'est le succès ! ―
D'autres sont bien vivants, et que Dieu m'en protège !
Barbeau, le grammairien et le dissertateur !
Et Berthelot Brunet ? Certes, il vit encore !
J'entends, même d'ici, sa voix mâle et sonore
Sermonner Armandine, et de belle façon,
Pour un malheureux trou laissé dans un chausson.
Se souvient-il toujours de ces soirs, à l'École,
Où je lisais souvent, selon le protocole,
Des poèmes trop longs forgés dans mon cerveau ?
Tout le monde bâillait et j'avais l'air d'un veau ;
Je voyais dans les yeux des lueurs d'ironie.
Mais Dumont me soufflait : ― Vous avez du génie. ―
Comme Brunet le voit, je n'ai guère changé,
Nonobstant mon gros ventre et mon cœur plus chargé :
J'écris, comme autrefois, des poèmes trop longs.
Puisqu'il nous faut parler des bien vivants, parlons
De Valdombre, un fameux et bouillant pamphlétaire
Obligeant, par plaisir, le tonnerre à se taire
Comme avec le soleil s'amusait Josué !
Ce maître, après avoir cherché, peiné, sué,
Se découvrit, un jour, une double nature,
Espèce de Jekyll et Hyde en miniature,
Et devint, d'un seul coup de son cerveau d'acier,
Valdombre, pamphlétaire, et Grignon, romancier !
On n'oubliera jamais cette innocente table
Qui s'écroulait, un soir, de façon lamentable
Quand ce Titan, lisant un écrit valeureux,
Martelait de ses poings le mobilier de Dreux !
Aujourd'hui, possesseur d'une formule neuve,
Il nous fait admirer, dans un beau roman-fleuve,
Un héros amassant les piastres sac par sac,
Comme n'en a jamais conçu le vieux Balzac.
Plus mâle que Paquin s'il est moins prolifique,
Grignon a su bâtir une œuvre magnifique !
Letondal n'est pas mort ! C'est même un bon vivant
Qui nous pend, sans effort, un calembour savant,
Et qui fait dans le drame et dans la comédie
Au point que "mame" Gouin en est abasourdie !
Se tourna vers Alpha Tondal ― dit le Tondal ―
Pour dire, amèrement : ― Si le vieux Charlemagne,
Assis devant un plat d'escargots au champagne,
Préfère au son du cor les propos de Denis,
Tondal, mon cher copain, nous sommes tous finis !
Mais avant de briser sur le roc mon épée,
Et pour mourir en paix au seuil de l'épopée,
Il me faut ton pardon !... Alpha, pardonne-moi !...
Je t'ai si mal prouvé mon amitié pour toi.
Dumont, qui ramassa cette miette historique
Dans un grimoire ancien écrit en hébraïque,
A toujours prétendu, document à l'appui,
Que le sang de Roland bout encore aujourd'hui.
Jamais un Letondal, petit ou grand de taille,
Ne refuse un défi, n'évite une bataille ;
C'est pourquoi notre Henri, dans un exploit nouveau,
Oppose à Séraphin l'intrépide Bravo !
Et voilà tous ces preux que j'ai connus naguère !
Du sobre grammairien au stratège de guerre,
Sans compter Beauregard, le parfait magister,
Et Desaulniers, le doux, le suave poète
Qui traçait dans l'azur un lent vol de mouette !
Mais combien, des vivants, se rappellent de moi ?
L'autre jour, je sentis mon cœur s'emplir d'émoi
Quand Valdombre, essouflé, me défonça le ventre
En sortant d'un bistro comme un ours de son antre,
Et sans dire : ― Bonjour ! ― ou même s'excuser !
Mais je me souviens d'eux, et c'est pour m'amuser
Autant que pour troubler ce vieux Brunet que j'aime,
Que je les ai dépeints en un si long poème ;
Un vrai poème-fleuve, écrit sans style afin
D'imiter ces romans qui s'allongent sans fin !
Albert Boisjoly* (1944)
(1) : Boisjoly évoque ici le recueil de poésies intitulé Chante Rossignol, chante, que Lionel Léveillé alias « Englebert Gallèze » a publié en 1925.
(2) : Évocation du poème Les ouaouarons, inclus dans le livre troisième du recueil d'Albert Ferland, Le Canada chanté, paru en 1909.
(3) : Une « gazette rimée » est un petit poème léger et humoristique sur un fait d'actualité et publié dans les journaux.
(4) : Il s'agit probablement du journaliste Fernand Denis (1900-1975), cofondateur avec Roger Maillet du Petit Journal. Maillet est également évoqué dans le poème.
* Albert Boisjoly est né à Montréal le 8 février 1901, d'Ulric Boisjoly, cordonnier et chauffeur de tramway, et d'Anna Martineau. On ne dispose jusqu'à présent d'aucune information quant aux institutions d'enseignement qu'il a fréquentées. Il pratiqua la profession de comptable.
Il fit preuve d'un talent littéraire précoce. Dès l'âge de seize ans, ses poèmes étaient acceptés par divers journaux. En 1921, à l'âge d'à peine vingt ans, il fut recruté par Englebert Gallèze et admis au sein de l'École littéraire de Montréal, dont il fut le cadet et le secrétaire en 1923-1924.
On retrouve de ses poésies dans les journaux et périodiques suivants, à partir de 1917 jusqu'à 1948 : Le Passe-Temps ; Le Canard ; Le Devoir ; Le Pays ; Le Bulletin des agriculteurs ; Le Droit ; Le Canada.
Il fit preuve d'un talent littéraire précoce. Dès l'âge de seize ans, ses poèmes étaient acceptés par divers journaux. En 1921, à l'âge d'à peine vingt ans, il fut recruté par Englebert Gallèze et admis au sein de l'École littéraire de Montréal, dont il fut le cadet et le secrétaire en 1923-1924.
On retrouve de ses poésies dans les journaux et périodiques suivants, à partir de 1917 jusqu'à 1948 : Le Passe-Temps ; Le Canard ; Le Devoir ; Le Pays ; Le Bulletin des agriculteurs ; Le Droit ; Le Canada.
Il prit part à certains débats et polémiques littéraires et politiques. Nationaliste, il a notamment critiqué sévèrement les adeptes du parti libéral dans un poème, Le Héros, paru dans Le Devoir en 1944. Dans les journaux et périodiques, l'orthographe de son patronyme s'écrit indifféremment Boisjoly ou Boisjoli.
Durant les années 1940, il avait fondé les Éditions Boisjoly, qui publiaient des romans en format bon marché signés par lui-même ou par d'autres auteurs.
Albert Boisjoly est mort à Montréal le 10 novembre 1951. Il avait épousé Alice Bourgeois le 7 septembre 1920, à la paroisse Saint-Édouard de Montréal.
(Sources : La Patrie, 20 novembre 1951 ; Ancestry.ca ; Germain Beaulieu, Nos immortels, Montréal, Éditions Albert Lévesque, 1931, p. 41-47).
Pour en savoir plus sur Albert Boisjoly, voyez le volumineux dossier sous son poème La nuit et le poète (cliquer sur le titre).
Albert Boisjoly (1901-1951) (Photo tirée d'une mosaïque de portraits des membres de l'École littéraire de Montréal en 1921, publiée dans Richard Foisy, L'Arche) |
Pour en savoir plus sur l'École littéraire de Montréal
et ses membres dont il est fait état dans le poème
d'Albert Boisjoly ci-haut, cliquer sur cette image :
Caricature d'Albert Boisjoly par Albéric Bourgeois dans Nos immortels, de Germain Beaulieu. |
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