Au banquet de la vie, infortuné convive,
J'apparus un jour, et je meurs :
Je meurs, et sur la tombe où lentement j'arrive,
Nul ne viendra verser des pleurs.
Pourquoi chercher encor de ces bois le feuillage,
La solitude a ses attraits.
Plus de gaieté profane ! ― À l'ombre des bosquets
Je vais écouter le ramage
Du bel oiseau de nos forêts.
Séduisante nature,
J'admire tes tableaux !
La richesse de ta parure
Réjouirait tant mes pinceaux.
Mais un triste délire
S'empare de mon cœur,
J'éveille la douleur !...
Sur un autre sujet j'essayerai ma lyre.
Si j'entrouvre ta tombe,
Pardonne à ma témérité.
Le talent qui succombe
A droit à l'immortalité.
Tes ossements sont froids : hélas ! ta cendre,
Couverte d'un linceul,
Dans son lugubre cercueil,
Refuse de se répandre,
Je vois ton front revêtu d'un laurier,
Si brillant et si chargé de gloire ―
Toi, tu croyais qu'on pourrait t'oublier ―
Tu vis au temple de mémoire !
De la Saône, ta rive,
Quelle vague plaintive
T'a dit d'être malheureux ?
Quel éclat de tonnerre,
« Sublime comme les cieux »
T'a renversé par terre ?
Périt-il le génie ! ― Il renaît de lui-même.
Il embrasse l'univers :
Plus que les conquérants, il porte un diadème ―
Le monde de concert
Honore ses vertus ― la noble intelligence,
Arbitre de faveurs,
Sur ses malheurs passés témoigne sa souffrance,
Et puis verse ses pleurs.
Quel astre lumineux éclaira ta carrière ?
Mais tu n'as vécu qu'un jour,
Et riche de ses dons, a prêté sa lumière
À ton poétique amour.
Ta lyre harmonieuse
A touché plus d'un cœur !
De pompeux novateurs, la phalange envieuse
A reculé devant ta future grandeur ! ―
Et que leur ont servi leur vanité superbe,
L'encens à leur veau d'or, leur folle prétention ?
Pensaient-ils à leur fin, à ce convoi funèbre
Qui rit de l'ambition ―
La France a tant gémi de leur perversité ―
Combien avaient creusé l'abîme !
Triomphèrent-ils tous avec impunité ?...
Tu fus leur première victime !
Séjour des bienheureux,
Dans les champs Élysées,
Que de noms glorieux
Ont accueilli tes augustes pensées !
Homère t'appela du beau nom de poète ―
Salut de fraternité !
Racine a couronné ta tête
Des fleurs de l'immortalité.
Ô Gilbert, tes accents exercent leur empire,
Ta poésie a son autel ―
Ici, mon âme qui soupire,
En méditant tes vers, s'élève jusqu'au ciel !...
Charles Lévesque* (Berthier, 24 juin 1849)
Tiré de : Yolande Grisé et Jeanne d'Arc Lortie, Les textes poétiques du Canada français (1806-1867), volume 4, Montréal, Fides, 1991, p. 961-963. Le poème est originellement paru le 5 juillet 1849 dans L'Écho des campagnes.
Charles
Lévesque est né à Montréal le 20 octobre 1817, de Marc-Antoine-Louis Lévesque,
avocat, et de Charlotte-Mélanie Panet, fille du juge Pierre-Louis Panet de
Québec.
Après
ses études classiques au Collège de Montréal, il s’inscrivit en droit mais, s'étant engagé avec les Patriotes, il dut
se réfugier aux États-Unis suite à l’insurrection de 1837. Son frère cadet, Guillaume, fut condamné à mort mais échappa à l’échafaud et dut s'exiler en
France.
De
retour au pays en 1839, Charles Lévesque reprit ses études et fut admis au
Barreau de Montréal dès l’année suivante. Il ouvrit dès lors un cabinet à
Berthier.
Le
14 juin 1843, il épousa Marie Julie Jessie Morrison, native de l’Ouest
américain, mais onze mois plus tard, celle-ci mourut en donnant naissance à leur
fille, Jessie-Béatrice. Brisé
par la douleur, Charles Lévesque se retira auprès de sa mère à Sainte-Mélanie (Lanaudière) et chercha asile dans la chasse et la poésie.
Il a publié de nombreux poèmes dans
divers périodiques, dont La Revue
canadienne, L’Aurore des Canadas,
L’Écho des campagnes, La Minerve, etc. Selon
la critique littéraire et spécialiste de la poésie canadienne-française Jeanne d’Arc
Lortie, « la critique a parfois reproché à Lévesque l’obscurité de sa pensée.
Mais on a loué son imagination ardente, sa riche sensibilité, la douceur et
l’abondance de son inspiration, son attrait pour le beau et pour les sujets
canadiens, sa tendance à moraliser, toutes choses qui sont dans le goût de ses
contemporains. On n’a pas assez noté la contribution qu’il a apportée à notre
jeune littérature par son intérêt pour les auteurs étrangers, surtout
américains, qu’il traduit, qu’il imite et dont il parle. Par exemple, il
consacre une étude à l’anti-esclavagiste Harriet Beecher Stowe, une autre à l’Évangéline
de Longfellow ».
Le
3 novembre 1859, on a trouvé Charles Lévesque mort au pied d’un arbre dans la
forêt de Sainte-Mélanie, la tempe trouée et son fusil déchargé près de lui. Il
est inhumé au cimetière de Sainte-Mélanie, où son monument funéraire est encore
visible. Le nom de la municipalité de Sainte-Mélanie rappelle le souvenir de sa
mère, inhumée aux côtés de ses fils Charles et Guillaume, morts avant elle.
(Sources : Jeanne d'Arc Lortie, La poésie nationaliste au Canada français (1606-1867), Québec, Presses de l'Université Laval, 1975, p. 291-302 ; Biographi.ca ; Dictionnaire des œuvres
littéraires du Québec, tome 1, Montréal, Fides, 1980, p. 591).
Charles Lévesque est, avec son poème Bienfaits, le tout premier poète présenté par les Poésies québécoises oubliées, qui ont également présenté ses poèmes Pour le coucher d'un enfant et Matinée poétique : le rossignol (cliquer sur les titres des poèmes pour y accéder). Il figure également dans le volume premier de Nos poésies oubliées (voir ci-dessous) paru en septembre 2020. Voyez aussi, de son frère Guillaume, le poème La feuille au vent, ou l'exil.
Dans son poème Le poète malheureux, ci-haut, Charles Lévesque s'adresse au poète français Nicolas Gilbert (1750-1780). Pour en savoir plus sur celui-ci, cliquer ICI. |
Le poème Le poète malheureux, ci-haut, de Charles Lévesque, est tiré du volume 4 des Textes poétiques du Canada français. (Cliquer sur l'image pour l'élargir) |
La mort tragique de Charles Lévesque a été rapportée dans le journal Le Canadien du 14 novembre 1859. Il est à noter que son suicide apparent y est plutôt décrit comme un accident de chasse. (Source : BANQ) |
Mention de la mort tragique de Charles Lévesque dans le numéro de novembre 1859 du Journal de l'Instruction publique, dont le fondateur est Pierre-J.-O. Chauveau. On y remarque aussi l'explication du décès par l'accident de chasse. (Source : BANQ) |
Détail du monument funéraire au pied duquel repose Charles Lévesque au cimetière de Sainte-Mélanie. (Photo : Daniel Laprès, 10 octobre 2021) |
Procurez-vous l'un des quelques exemplaires encore disponibles
de Nos poésies oubliées, un volume préparé par le concepteur
du carnet-web des Poésies québécoises oubliées, et qui présente
100 poètes oubliés du peuple héritier de Nouvelle-France, avec
pour chacun un poème, une notice biographique et une photo
ou portrait. Pour se procurer le volume par Paypal ou virement
Interac, voyez les modalités sur le document auquel on accède
en cliquant sur l'image ci-dessous. Pour le commander par
VISA, cliquer ICI.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire