vendredi 29 janvier 2021

Joies naïves

Pierre-J.-O. Chauveau (1820-1890) en 1840,
année où il composa le poème ci-dessous. 

(Source : Fonds d'archives du Séminaire de Québec)






   « Oh ! que j'aime la neige ! Oh ! que j'aime à la voir
   Descendre par flocons sur le sol encor noir ! 
   Ou bien quand elle tombe en poussière si fine,
   Que l'on croirait qu'un ange épand de la farine
   Pour donner des gâteaux à nous petits enfants. 
   Et puis maman, j'en fais des bonshommes tout blancs,
   Et j'élève des forts que mon grand frère assiège : 
                Oh ! que j'aime la neige !

   Vois-tu, c'est si plaisant ! Et le soir nous glissons
   Si loin sur nos traîneaux ! Et nous recommençons
   À descendre et monter mille fois les collines,
   Jusqu'à ce que la lune aux lueurs argentines
   Nous montre dans le ciel son visage riant : 
   Alors, mon frère et moi, nous revenons ensemble
   Vers toi, vers le foyer qui toujours nous rassemble : 
                Vois-tu, c'est si plaisant  !

   Oh ! qu'on glisserait bien sur tous ces beaux nuages,
   Qui, l'hiver, sont si blancs ! Je les crois des rivages
   De neige épaisse et dure, et de brillants glaçons
   Que chez lui, dans le ciel, le bon Dieu nous fait faire,
   Pour y laisser jouer les bons petits garçons.
   Tu dis que pour marcher le Seigneur nous éclaire,
   Et que nous irons là, si nous faisons bien : 
                Oh ! qu'on glissera bien !

   Te plaît-il comme à moi, dans l'épaisse fourrure
   Enveloppés tous les deux, de voler en voiture
   Sur la plaine blanchie et sur les lacs glacés ?
   Voir passer devant nous les clochers élancés,
   Voir passer la montagne avec sa cime nue,
   La forêt de sapins, qui toujours nous salue ; 
   Voir s'enfuir la corneille avec un cri d'effroi, 
                Te plaît-il comme à moi ?

   Moi j'aime les sapins ! Ils conservent leurs branches
   L'hiver comme l'été. Jamais on ne les voit.
   Comme ces arbres fous, qui lors des neiges blanches
   Se dépouillent tout nus, et pensent que le froid
   Est pour eux un grand bien. La forêt n'est plus belle,
   Et c'est bien de leur faute, et la neige nouvelle
   Ne les couronne pas comme mes arbres fins, 
                Comme mes beaux sapins.  

   Les petits oiseaux blancs viendront-ils cette année,
   Sortant de la forêt, jouer dans la vallée ?
   Ils n'ont point peur de nous, et ne sont point frileux ;
   Car si pour eux la neige est une couche molle,
   Elle est aussi froide. Oh ! je serais heureux
   Si, comme l'an dernier, notre maître d'école
   Voulait laisser encor sautiller sur les bancs
                Les petits oiseaux blancs ! 

   Que l'hiver serait beau, n'était-ce que la bise
   Dont le souffle cruel poursuit les oiseaux blancs,
   Et fait toujours pleurer les bons vieux mendiants
   À la voix si tremblante, à la barbe si grise !
   Qui pourrait sur chacun jeter quelque manteau
   Bien neuf et bien épais, et dans chaque famille
   Allumer au foyer comme un grand feu de grille,
                Que l'hiver serait beau  !

   Pour nous, riches enfants, l'hiver est bien aimable :
   C'est le temps de Noël, et c'est le temps du bal, 
   Où l'on va voir Jésus couché dans une étable,
   Où le soir, au salon, tout n'est qu'or et cristal,
   Et parure nouvelle, et frais bouquets de roses.
   Mais l'hiver ne fait point du tout les mêmes choses
   Pour le fils de la veuve aux haillons tout pendants,
                Que pour d'autres enfants. 

   Je n'aime plus la neige à présent que je songe
   Aux pauvres orphelins qui pleurent de la voir ;
   Lorsqu'ils n'ont plus de feu, que c'est bientôt le soir,
   Et que depuis deux jours l'ardente faim les ronge.
   C'est bien triste, pourtant, et c'est très ennuyeux
   D'avoir le chemin noir et gluant sous les yeux...
   Mais il est tant de gens que la misère assiège !
                 Je n'aime plus la neige. » 

   Il parla bien longtemps, le petit Canadien ;
   Son père, près de lui, dans son lit dormait bien,
   Et sa mère écoutait son ingénu langage.
   Trouvez-moi, dans le monde, une mère assez sage
   Pour s'endormir la nuit quand parle son enfant.
   Pour celle-ci, du moins, elle fut éveillée
   Et sous ses blancs rideaux, sur son coude appuyée,
   Et souriant parfois et d'autres fois pleurant,
   Tout le temps qu'une voix suave, jeune et fine
   S'éleva doucement de la couche voisine.

   Cependant, de l'enfant, le lendemain matin,
   Je ne saurais vous dire au juste la pensée,
   Quand il vit au réveil, partout sur le chemin, 
   La neige éblouissante, et nouvelle et posée
   Comme est sur un gâteau le sucre appétissant,
   Ni s'il fut tout de suite aussi compatissant,
   Ou s'il fit éclater une joie enfantine ;
   Mais on dit seulement qu'à la maison voisine,
   Où l'on n'avait jamais de bois pour se chauffer,
   Ni rien pour se couvrir, ni de pain pour manger,
   On eut chaud ce jour-là, et l'on fit bonne table,
   Et l'on nomma souvent la dame charitable

                              Pierre-J.-O. Chauveau (1840)



Tiré de : Le Répertoire national, volume 2, deuxième édition, Montréal, J. M. Valois & Cie libraires-éditeurs, 1893, p. 230-233 ; aussi dans Yolande Grisé et Jeanne d'Arc Lortie, s.c.o., Les Textes poétiques du Canada français, volume 4, Montréal, Fides, 1991, p. 343-345. Le poème est paru à l'origine dans le journal Le coin du feu, 2 janvier 1841.

De Pierre-J.-O. Chauveau, les Poésies québécoises oubliées ont également présenté : À une étoile tombante ; Adieux à Sir John Colborne ; La Messe de minuit à L'Islet ; Taquineries poétiques au « comité de la pipe ». 

Pour en savoir plus sur Pierre-J.-0. Chauveau, 
qui fut notamment le premier Premier ministre 
du Québec, cliquer sur cette image : 


Le poème Joies naïves, ci-haut, de Pierre-J.-O. Chauveau, est tiré
du volume deuxième du Répertoire national, de même que du 
volume quatrième des Textes poétiques du Canada français

(Cliquer sur l'image pour l'agrandir)


Pierre-J.-O. Chauveau a exercé une influence importante
sur le devenir de notre vie nationale et culturelle. Mais sa 
contribution est méconnue depuis très longtemps. Pour 
en découvrir un aperçu, cliquer sur ce titre pour parcourir
le texte d'une conférence que l'abbé Gustave Bourassa 
(1860-1904), frère d'Henri, donnait en 1895 
sur notre premier Premier ministre et apôtre de 
l'instruction publique : 


 
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