Émile Coderre (1893-1970) (Source : son recueil Les signes sur le sable, 1922) |
À Alphonse Désilets,
À l'ami et au poète.
Ô Divine nature, ô ma sainte maîtresse !
Accueille-moi, tremblant, dans tes grands bras tendus !
Que je me pâme enfin sous tes chaudes caresses
Et que mon âme meure en baisers éperdus !
Et pour t'appartenir, ô déesse éternelle,
Pour river à jamais la chaîne qui me tient
Et m'attache à tes pas comme un amant fidèle ;
Pour que mon chant, ma vie et mes rêves soient tiens,
Fais que mon âme lasse, errante et désolée
Revive transformée en un chêne géant,
Un chêne magnifique au bord d'une vallée.
Défiant la tempête et l'abîme béant,
Je sentirai monter en moi-même, ô nature !
Ta sève frémissante en flots précipités,
Et, fier, je dresserai ma hautaine stature
Comme un hymne d'amour à ta sainte beauté.
Ma voix dira ta gloire à qui saura l'entendre
Dans les pâleurs de l'aube et l'or blond des midis,
Dans le pourpre des soirs et l'air bleu des nuits tendres.
Puis, quand viendront les jours de l'ouragan maudit,
Étant plus grand, plus fort, je défendrai mes frères ;
Et, comprenant leur âme et sentant leur douleur,
Je dresserai mon front vers les cieux en colère,
Implorant leur pardon par pitié pour les fleurs.
Je serai le bon chêne où chantera la brise,
Le chêne plein de nids, d'oiseaux et de chansons,
Le chêne, asile sûr, quand le soir agonise
Et que monte la nuit, semeuse de frissons...
Quand le soleil mourra dans son apothéose,
Jetant des reflets d'or sur l'horizon nacré,
J'aurai des chants très doux pour consoler les roses
Et leur donner l'espoir dans le Réveil sacré...
Sous mon ombre viendront, par les soirs de tendresse,
Des couples de rêveurs amoureux et craintifs ;
J'entendrai leurs serments, leurs mots pleins de caresses,
Et leurs lèvres se joindre en des baisers furtifs.
Et pour sentir encor la divine torture
Du rêve et de l'amour me déchirer le cœur,
Je laisserai graver dans mon écorce dure
Les noms entrelacés des amoureux vainqueurs.
Je serai le bon chêne ; et mes feuilles tendues
Au ciel comme des mains, des centaines de mains,
Porteront vers l'azur et par-delà les nues
Le douloureux appel de mes frères humains.
Puis, quand viendra pour moi le soir où l'on succombe,
Battu par la tempête ou broyé par le vent,
Je demande le sol où j'ai chanté, pour tombe,
Mais que l'on jette au feu mon feuillage mouvant.
Fumée aérienne et légère, mon âme,
Libre enfin, montera vers l'espace éthéré,
Emportée à jamais sur des ailes de flamme
Vers l'éternel bonheur que j'avais espéré !
Émile Coderre* (1916)
Tiré de : revue Le Pays laurentien, Montréal, mai 1916, p. 127-128. Ce poème est également paru dans le recueil qu'Émile Coderre fit paraître en 1922, Les signes sur le sable.
Pour en savoir plus sur Émile Coderre, aussi connu sous son nom de plume de « Jean Narrache », voyez la notice biographique sous son poème Je pose ma candidature.
D'Émile Coderre, les Poésies québécoises oubliées ont également présenté L'orgue de Barbarie.
D'Émile Coderre, les Poésies québécoises oubliées ont également présenté L'orgue de Barbarie.
On peut également lire les Paroles retrouvées de Jean Narrache en cliquant sur l'image suivante :
Le poème Évocation, ci-haut, d'Émile Coderre, est d'abord paru en mai 1916 dans la revue Le Pays Laurentien, puis en 1922 dans le recueil Les signes sur le sable. (Cliquer sur l'image pour l'agrandir) |
Émile Coderre, alias « Jean Narrache », vu par le caricaturiste Robert La Palme, dans l'édition 1934 de l'Almanach de la langue française. (Cliquer sur l'image pour l'agrandir) |
Un poète et son double, de Richard Foisy, est l'un des plus intéressants et touchants ouvrages biographiques à avoir été produits au Québec, tous sujets confondus. Mais ce fait n'est malheureusement pas assez connu. Pour informations, cliquer ICI. (Cliquer sur l'image pour l'agrandir) |
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