Le lac Saint-Pierre (Source : Wikipedia) |
Souvenir de Nicolet
Doucement balancé par la brise mourante,
Le lac aplanissait sa nappe transparente
Où déjà s'étendaient les ailes de la nuit ;
Les échos se taisaient au fond du bois sauvage,
Et sur le sable du rivage,
Le flot venait mourir sans bruit.
La lune déployait sa chevelure blonde
Et ses tremblants reflets se déroulaient sur l'onde
Comme un ruban d'argent sur un voile d'azur ;
La brise caressait la mobile ramée,
Et son haleine parfumée
S'endormait avec le flot pur.
Enfin, c'était à l'heure où la verte ramure
Mêle aux accents du soir un suave murmure,
Où la feuille frissonne aux baisers du zéphyr ;
À l'heure où des ondins la troupe se rassemble ;
À l'heure où chaque étoile tremble
Dans une vague de saphir.
Fuyant des vains plaisirs les coupes délirantes,
J'aimais à contempler les ondes murmurantes,
Ou les flots sommeillant dans le calme des nuits ;
J'aimais à m'égarer dans les bois, sur les grèves,
Laissant au loin flotter mes rêves,
Ce baume des tristes ennuis.
J'avais vu du soleil la brûlante crinière,
Ainsi qu'un char de feu dans une immense ornière,
S'engouffrer au Couchant dans un océan d'or ;
J'avais vu de la nuit se déployer ses voiles,
Et son diadème d'étoiles
Sur son front scintillait encor.
Et j'errais sur la rive, admirant en silence
Les reflets chatoyants du flot qui se balance
Et glisse en ondulant sur le sable doré ;
Et d'un roseau flexible armant mon doigt timide,
Je gravais sur l'arène humide
Les lettres d'un nom adoré.
Un nom plus enivrant que le bruit des fontaines ;
Plus suave qu'un chant sur les vagues lointaines ;
Plus doux que les échos d'un bois mystérieux ;
Qui surpasse en beauté le chant de Philomèle,
Dont la voix chaque soir se mêle
Au bruit des flots harmonieux.
Nom plus mélodieux que l'onde sur la grève ;
Plus doux qu'un chant d'amour entendu dans un rêve ;
Plus pur que le soupir d'un enfant qui s'endort ;
Nom plus harmonieux que le vol d'un archange ;
Plus doux que les accents d'un ange
Qui chante sur la lyre d'or !
Mais comme un vent léger sur la molle pelouse,
Passant et repassant, une vague jalouse,
De son onde venait aussitôt l'effacer ;
Je le gravais encor ; mais la vague suivante
Détruisait la lettre mouvante
Que je venais de retracer.
Voilà, pensais-je alors, les rêves du jeune âge !
Un songe qui s'enfuit ; la feuille qui surnage
Et disparaît bientôt parmi les flots mouvants ;
La trace du proscrit sur la terre étrangère ;
Une ombre, une vapeur légère,
Qu'emporte le souffle des vents !
Riante illusion bientôt évanouie ;
Pauvre fleur qu'une aurore a vue épanouie,
Et qui penche, le soir, son calice flétri ;
Fantôme décevant ; souriante chimère ;
Sylphe dont l'image éphémère
S'envole après avoir souri !
Qu'est-ce donc, ô mon Dieu ! qu'est-ce donc que la vie,
Ce banquet séduisant où notre âme ravie
Porte une fièvre avide aux coupes des amours ?...
C'est un nom qu'une main a tracé sur le sable
Et qu'une main insaisissable
Efface et détruit pour toujours !...
Louis Fréchette (août 1860)
Tiré de : Louis Fréchette, Mes loisirs, Québec, Typographie de Léger Brousseau, 1863, p. 41-45.
De Louis Fréchette, les Poésies québécoises oubliées ont également publié : Le matin ; Une correspondance poétique.
Mes loisirs est le premier recueil publié par Louis Fréchette et le tout premier recueil de poésie lyrique paru au Québec. Les exemplaires de l'édition originale sont rarissimes sinon introuvables, mais on peut ICI télécharger gratuitement le recueil. (Cliquer sur l'image pour l'agrandir) |
Louis Fréchette (1839-1908), vers l'époque où il publia son premier recueil de poésies, Mes loisirs. (Source : Québec éternelle, p. 116) |
Dédicace manuscrite de Louis Fréchette dans son troisième recueil de poésies, nommé Pêle-mêle, paru en 1877. La page porte également la signature d'Oscar Dunn (cliquer sur son nom). à qui Fréchette avait adressé sa dédicace. (Collection Daniel Laprès ; cliquer sur l'image pour l'agrandir) |
En 1880, Louis Fréchette devient le premier écrivain issu du Québec à remporter le prix Montyon de l'Académie française pour son recueil Les Fleurs boréales. Ce recueil, d'abord paru à Québec, en 1879, chez l'éditeur Darveau, fut à cette occasion publié à Paris. L'illustration à droite, où l'on voit Fréchette ainsi que la coupole de l'Académie française où Fréchette fut solennellement reçu, se trouve à l'intérieur de l'édition parisienne des Fleurs boréales. (Cliquer sur l'image pour l'agrandir) |
Caricature de Louis Fréchette par Albéric Bourgeois dans L'Annuaire théâtral de 1908-1909. (Source : BANQ ; cliquer sur l'image pour l'agrandir) |
Louis Fréchette vers la fin de sa vie. (Source : magazine La vie nationale, février 1940 ; cliquer sur l'image pour l'agrandir) |
Lettre manuscrite de Louis Fréchette à John G. Bourinot, journaliste, historien et greffier de la Chambre des Communes à Ottawa. Fréchette avait été député de 1874 à 1878, et cette lettre est une réponse à une requête que Bourinot lui avait adressée. (Collection Daniel Laprès ; cliquer sur l'image pour l'agrandir) |
Maison natale de Louis Fréchette, à Lévis. On peut la visiter de nos jours et elle tient lieu de centre d'activités littéraires et artistiques. Informations ICI. |
Tard en soirée le 30 mai 1908, Louis Fréchette s'est effondré, frappé d'une attaque de paralysie, sur le seuil de l'Institut des Sourdes-Muettes de Montréal, dont l'édifice est encore là de nos jours, rue Saint-Denis près de la rue Cherrier, à Montréal. L'Institut comportait une aile d'appartements pour retraités, où Fréchette résidait avec son épouse. Il est mort le lendemain. (Source : Images Montréal ; cliquer sur l'image pour l'agrandir) |
Merci de nous redonner notre héritage poétique! Ce texte sur le Lac Saint-Pierre fait revivre pour moi les jeux et le ravissement de mon enfance sur le bord de cette eau que je croyais être l'océan.
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