dimanche 24 avril 2022

Sur la tombe du protecteur des orphelins d'Irlande

L'abbé Charles-Félix Cazeau (1807-1881) 
et un groupe d'orphelins d'Irlande à la Grosse-Ile.

(Sources : abbé Cazeau : Musée national des beaux-arts du Québec ;
orphelins Irlandais : Les arpents du temps)




      À ma sœur d'adoption Ophélia Flynn-Gingras, 
      en religion Soeur Marie-de-Jésus


   Au fond, qu'a-t-il été, ce prélat humble et grand ?
   Entre deux nations comme un ciment vivant.
   Il fut de ces choisis dont la portée échappe,
   Mais pour Ses desseins d'un vrai cachet Dieu frappe.

   Comme on ouvre aux amis son manoir de seigneur,
   Aux orphelins d'Irlande il ouvrit son grand cœur.
   Ta lettre me parlait de douleur filiale : 
   Sa tendresse, en effet, paternelle et royale,
   Fit de chacun de vous, sur ce sol canadien,
   Un enfant adoptif, mais profondément sien. 
   Orpheline toi-même, oh ! ta douleur est belle ; 
   D'un millier de tes sœurs c'est un écho fidèle.

   Loin de la verte Érin vous chassait l'ouragan.
   La mort, comme un requin caché sous l'océan, 
   Surgit du sein des flots : souvenir qui vous navre,
   Vous avez à la mer vu jeter leur cadavre ;
   Avant de mettre pied en pleurant sur ces bords,
   Vous avez à la mer laissé vos parents morts. 

   Deux tyrans sans pitié ― la mort et l'Angleterre ―, 
   Vous volaient, l'un vos toits, et l'autre votre mère ! 
   Mais sous notre beau ciel on vous tendit les bras :
   Irlandais, Canadiens, ― mon Dieu, n'étions-nous pas
   De vieux lutteurs meurtris par les mêmes souffrances ? 
   Étrangers par le sang, frères par les croyances ?

   Or, un prêtre surtout, ― celui sur qui, ma sœur, 
   Ton bon cœur aujourd'hui verse tant de douleur ―.
   Or un prêtre sur qui le clergé se reflète,
   Se fit de notre accueil le fervent interprète.
   Il vous chercha, non pas des foyers opulents, 
   Mais un meilleur trésor : de vrais et francs parents. 
   Comme avec allégresse on se fit son complice !
   Ce prêtre disparu, que ma voix le bénisse : 
   Merci ! trois fois merci ! Ma famille lui doit
   L'honneur d'avoir longtemps vu fleurir sous son toit
   L'une de ces enfants qui forment sa guirlande,
   L'un de ces nobles cœurs qui font aimer l'Irlande !

   Tout mon pays en deuil bénit l'humble Cazeau : 
   Car mon pays le sait si son rôle fut beau ! 
   Sous l'inspiration de son âme d'élite,
   Ce prêtre sympathique eut d'instinct le mérite
   De rapprocher un peu, pour les rendre plus forts,
   Deux peuples qui sont faits pour unir leurs efforts. 

   Et maintenant, venez, peuples d'un même culte : 
   Irlandais, Canadiens, allons ! que l'on s'insulte !
   Citoyens de Saint-Roch, citoyens du Cap-Blanc,
   Sous les yeux des Anglais battons-nous jusqu'au sang !
   
   Pour briser de remords nos bâtons fratricides,
   Entre nos pistolets et nos haines stupides,
   Nous avons plus qu'un mur, nous avons un tombeau : 
   Nous avons le cercueil du vénéré Cazeau ! 
   Irlandais mes amis, et Canadiens mes frères,
   Jetons dans ce cercueil nos haines meurtrières.

   Irlandais, honte à vous si l'hospitalité 
   Cesse d'être à vos yeux un titre respecté.
   Honte à nous, Canadiens, si notre cœur oublie
   Que l'Irlandais souvent vient ici l'âme aigrie.
   Car, en face, voyez notre ennemi commun ; 
   Soyons digne au moins : pour cela, soyons un !
   Ayons assez d'orgueil et d'honneur pour nous dire : 
   Si l'ennemi nous hait, du moins il ne peut rire ! 
   Et puis, qu'adviendrait-il de nos rivalités  
   Laides, contre nature ? Ah ! mes yeux attristés,
   Sur un fleuve de sang, sur un torrent qui passe
   Contemplent les débris de l'une et l'autre race !

   Donc, la main dans la main, Canadiens, Irlandais : 
   Anathème à celui qui troublerait la paix !

                                      Apollinaire Gingras (1881)



Tiré de : M. l'abbé Apollinaire Gingras, Au foyer de mon presbytère, Québec, Imprimerie A. Côté et Cie, 1881, p. 205-208. Le titre original est « Sur la tombe de Monsignor Cazeau, protecteur des orphelins d'Irlande ». 

Pour en savoir plus sur l'abbé Apollinaire Gingras, auteur du poème ci-haut présenté, voyez la notice biographique sous son poème Le marécage (cliquez sur le titre). 

D'Apollinaire Gingras, les Poésies québécoises oubliées ont également présenté : Du fond du lac  Du fond de l'âmeImpertinences à l'eau de roseLa cabane à sucre La terrasse Frontenac (cliquer sur les titres).


   Charles-Félix Cazeau, sujet du poème présenté ci-haut, est né à Québec le 24 décembre 1807, de Jean-Baptiste Cazeau, charron, et de Geneviève Chabot. Orphelin de père dès l'âge de deux ans, il fit son cours primaire à Québec, l'un de ses premiers instituteurs ayant été le Frère Louis, récollet. Tôt durant sa scolarité, ses talents furent remarqués par Mgr Joseph-Octave Plessis, archevêque de Québec, qui le prit sous sa protection. Il entreprit ses études classiques au collège de Saint-Roch de Québec et les poursuivit au Séminaire de Nicolet. 
   En 1825, il embrassa l'état ecclésiastique et fut d'abord, durant quelques mois, sous-secrétaire de Mgr Plessis, jusqu'à la mort de ce dernier en décembre de la même année. Après ses études philosophiques et théologiques au Grand séminaire de Québec, il fut ordonné prêtre le 3 janvier 1830 par Mgr Bernard-Claude Panet, archevêque de Québec. Dès lors, il reprit son service à l'archevêché de Québec, en plus d'occuper la fonction de chapelain de la Congrégation des hommes de Québec, poste qu'il conservera jusqu'en 1849, alors qu'il sera nommé vicaire général de l'archidiocèse de Québec, une fonction qu'il occupera jusqu'à sa retraite en 1879. Il fut le principal organisateur de l'adoption de plus de 700 orphelins irlandais par des familles canadiennes-françaises, lors de l'épidémie de typhus de 1847. 
   Il fut impliqué au sein de diverses institutions et associations religieuses et littéraires, dont l'Asile du Bon Pasteur qu'il dirigea durant près d'un quart de siècle, l'Institut canadien de Québec et l'Institut littéraire de Saint-Patrice de Québec. Il fut un protecteur et bienfaiteur du poète Octave Crémazie. D'importants historiens le considérèrent comme l'un de leurs collaborateurs, dont Jacques Viger, l'abbé Jean-Baptiste-Antoine Ferland et Francis Parkman
   En 1875, le pape Pie IX lui conféra le titre de prélat domestique de sa maison, le dotant ainsi du titre de monseigneur.  
  Monseigneur Charles-Félix Cazeau est mort le 26 février 1881 à Québec, à l'asile du Bon Pasteur où il s'était réfugié depuis sa retraite.
(Sources : Souvenir du jubilé sacerdotal de Mgr C. F. Cazeau, Québec, janvier 1881 ; Abbé J.-B.-A. Allaire, Dictionnaire du clergé canadien-français : les anciens, Montréal, Imprimerie de l'École catholique des sourds-muets, 1910, p. 105 ; biographi.ca). 
   
L'abbé Charles-Félix Cazeau a fait partie des nombreux 
prêtres, religieux et religieuses catholiques qui ont porté
secours aux Irlandais atteints par l'épidémie de typhus
en 1847. Pour en savoir plus sur cet épisode tragique et
les dévouements héroïques qu'il a suscités, cliquez
sur cette image : 


Extrait d'un article paru dans Le Courrier du Canada le 1er mars 1881,
à l'occasion de la mort de Monseigneur Charles-Félix Cazeau.

(Source : BANQ ; cliquer sur l'article pour l'élargir)


Brochure publiée à l'occasion du cinquantième
anniversaire de prêtrise de Charles-Félix Cazeau.
Le document est signé de sa main.

(Collection Daniel Laprès ;
cliquer sur l'image pour l'élargir)

L'abbé Charles-Félix Cazeau en 1861.

(Source : Archives du Séminaire de Québec)

Monseigneur Charles-Félix Cazeau en 1875.

(Source : Archives du Séminaire de Québec)

Le poème ci-haut en hommage à Monseigneur Charles-Félix Cazeau a été
publié dans Au foyer de mon presbytère, recueil de l'abbé Apollinaire Gingras.

(Photo : Archives du Séminaire de Québec ; cliquer sur l'image pour l'élargir)


Parlant de nos poètes d'antan et oubliés, l'écrivaine Reine Malouin
(1898-1976), qui a longtemps animé la vie poétique au Québec, a 
affirmé que sans eux, « peut-être n'aurions-nous jamais très bien 
compris la valeur morale, l'angoisse, les aspirations patriotiques, 
la forte humanité de nos ancêtres, avec tout ce qu'ils ont vécu, 
souffert et pleuré ». 

Les voix de nos poètes oubliés nous sont désormais rendues. 
Le concepteur de ce carnet-web a publié l'ouvrage en deux 
tomes intitulé Nos poésies oubliées, qui présente 200 de
de nos poètes oubliés, avec pour chacun un poème, une
notice biographique et une photo ou portrait. Chaque  
tome est l'objet d'une édition unique et au tirage limité. 
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ouvrage qui constitue une véritable pièce de collection
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