mardi 5 avril 2022

Qu'importe !

Alfred Descarries (1885-1958)

(Source : La Vie canadienne, supplément
au mensuel Le Roman canadien,
janvier 1929, p. 76)





   J'ai dans mon âme un beau poème
   Fait d'azur, d'espoir et d'amour ;
   Mais, tel un roi son diadème
   Souvent, je le trouve bien lourd. 

   J'en ai fait la première page, 
   Enfant, vagabond et rêveur,
   Dans une forêt, sur la plage ?...
   Je ne sais, mais la joie au cœur !

   Que connaissais-je de la vie ?
   Rien, car je n'avais pas souffert ;
   Mon âme, depuis, assouvie, 
   Vécut les tourments de l'enfer !

   Le néant, en son affreux gouffre,
   Engloutit mes rêves d'enfant. 
   Bah ! que m'importe que j'en souffre ; 
   Qu'importe au roc l'assaut du temps ; 

   Car certains êtres, en ce monde, 
   Pour lutter et souffrir sont nés. 
   Qu'importe à la foudre qui gronde
   L'effroi des humains consternés ! 

   Ma souffrance, c'est mon poème ;
   Elle m'a façonné le cœur ; 
   Elle a fait de moi le bohème
   Qui vaincu se croit vainqueur ! 

   J'ai connu l'amour, ma jeunesse
   S'est pâmée aux divins frissons ;
   Je croyais les vivre sans cesse ; 
   Tout est mort !... qu'importe !... passons !

   Oui, passons ; ici-bas, tout passe : 
   La gloire, l'amour, tout n'est rien.
   Quoique l'on dise ou que l'on fasse,
   La mort, implacable, un jour vient !

   Elle vient et crie au poète : 
   « Tu dois être heureux de mourir,
   Toi dont l'âme se disait prête,
   Lasse d'aimer et de souffrir ? » 

   Tu rêves un divin poème ?
   Viens... nous l'écrirons dans la paix
   D'un monde où tout est beau, suprême...
   Éternellement... à jamais !

   Lorsque viendra l'ultime trêve,
   Ô Dieu ! par Toi je serai fort.
   Que mon beau poème s'achève
   Dans la clarté d'un astre d'or !

   Puisque tu fais naître poète
   L'enfant qu'on dépose au berceau, 
   Pourquoi faut-il qu'il s'inquiète
   Quand tu le couches au tombeau !

   À toi je bois, ô poésie !
   Que le ciel soit d'azur ou noir, 
   Muses !... versez-moi l'ambroisie...
   Je bois à l'amour, à l'espoir ! 

                     Alfred Descarries (1929)



Tiré de : Alfred Descarries, La revanche, Montréal, 1929, p. 137-139. 


Pour en savoir plus sur Alfred Descarries, voyez la notice biographique et les documents présentés sous son poème L'idéal (cliquez sur le titre). Voyez également ci-dessous l'hommage que peu après sa mort lui a rendu l'écrivain Albert Laberge.


La revanche, recueil de nouvelles, 
de réflexions et de poèmes d'Alfred
Descarries, d'où est tiré le poème 
Qu'importe !, ci-haut.

(Cliquer sur l'image pour l'élargir)

Hommage à la mémoire d'Alfred Descarries par l'écrivain Albert Laberge dans La Patrie, 6 avril 1958. 

(Cliquer sur l'article pour l'élargir)


Parlant de nos poètes d'antan et oubliés, l'écrivaine Reine Malouin
(1898-1976), qui a longtemps animé la vie poétique au Québec, a 
affirmé que sans eux, « peut-être n'aurions-nous jamais très bien 
compris la valeur morale, l'angoisse, les aspirations patriotiques, 
la forte humanité de nos ancêtres, avec tout ce qu'ils ont vécu, 
souffert et pleuré ». 

Les voix de nos poètes oubliés nous sont désormais rendues. 
Le concepteur de ce carnet-web a publié l'ouvrage en deux 
tomes intitulé Nos poésies oubliées, qui présente 200 de
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