mercredi 21 août 2019

Le chant du coureur-de-bois

Robert Choquette (1905-1991)

(Source : Mon magazine, mars 1926
)




   Oh ! que mon coeur bat fort dans ma large poitrine !
         J'ai peine à contenir ses bonds ;
   Je suis jeune et l'orgueil écarte ma narine,
         Rien ne tient mes pieds vagabonds.
   Je suis le libre enfant de la libre nature,
         Et quand jusqu'en mes flancs fougueux
   Je porte avec ivresse un souffle d'aventure
         Et franchis les halliers rugueux,
   Je suis plein de dédain pour les maisons de pierre
         Et pour les citadins chétifs !
   Le soleil qui vacille éblouit ma paupière
         Et j'y tiens ses rayons captifs !

   Moi, je ne connais pas les fausses attitudes
         Que l'on enseigne dans la cité ;
   J'ai cueilli la franchise au fond des solitudes
         Et je la porte à mon côté.
   La jeunesse où je fouille est ma seule ressource.
         Ma pensée, au fond de mes yeux, 
   Est comme un sable d'or à travers une source ;
         J'ai la vigueur de mes aïeux.
   Parfois quand j'erre seul, le dos au crépuscule,
         Dans les bois pleins de bruits confus,
   Je regarde en rêvant la lune qui recule
         Et fuit entre les pins touffus...

   Je rêve au doux regard que des cils environnent
         Comme un étang bordé de joncs.
   C'est une enfant sauvage où les charmes fleuronnent ;
         Sa lutte est sous les arbres longs.
   Elle a tout le printemps sur sa bouche entr'ouverte ;
         Nous nous aimons parmi les fleurs,
   Ivres, sous la forêt qui fait la clarté verte,
         Au bruit des insectes siffleurs.
   Oh ! de chérir ainsi cette enfant éphémère
         En parlant d'immortalité,
   N'est-ce pas le bonheur du ciel, Nature-mère,
         Nature aux yeux pleins de bonté ?

   Eh ! qu'importe demain quand le présent déborde,
         Quand on tient dans ses mains l'infini !
   Qu'importent l'avenir, la vieillesse et la horde
         Des maux dont le corps est puni,
   Si la jeunesse en nous bondit d'exubérance
         Comme un chevreuil sous la chaleur !
   Avoir peur de l'amour, c'est craindre la souffrance ;
         Le coeur grandit dans la douleur.
   À moi beauté de l'âme, idéal, ciel limpide,
         Printemps qui verdis les coteaux ! 
   À moi la liberté, la jeunesse intrépide,
         L'amour bâtisseur-de-châteaux !

   Aube aux souliers d'argent, vestale en robe blanche ;
         Matin qui marches sur des pleurs,
   Chansons qui frissonnez le long de chaque branche,
         Saveur des fruits, parfum des fleurs ;
   Mobiles clairs-obscurs gravissant la colline,
         Joncs d'où part un martin-pêcheur,
   Ô soleil de corail, lune de mousseline ;
         Nature, immortelle fraîcheur,
   Mère à jamais féconde, à jamais florissante,
         Je t'aime d'un amour fervent,
   Ô Nature, et tu fais mon âme frémissante
         Comme une feuille sous le vent ! 

   J'aime tout ce qui vit dans l'ombre ou la lumière,
         La nature ou l'humanité : 
   L'universel amour est la seule rivière
         Qui mène à l'immortalité.
   L'idéal, c'est la source où mon âme va boire
         Le soleil qui flamboie au fond !
   Ma jeunesse reluit comme l'or d'un ciboire
         Où s'entasse le ciel profond !
   Joyeux, ravi, libre devant l'horizon vaste,
         Quand je franchis les terrains plats,
   Je dois presser des mains mon coeur enthousiaste,
         De peur qu'il ne vole en éclats !

                                   Robert Choquette* (1925)




Tiré de : Robert Choquette, À travers les vents, deuxième édition, Montréal, Les Éditions du Mercure, 1927, p. 131-134. (Préface de Henri d'Arles).

* Fils de Joseph-Alfred Choquette et d'Ariane Payette, Robert Choquette est né le 22 avril 1905 à Manchester (New Hampshire). Sa famille revint à Montréal en 1913 et l'inscrivit au Collège Notre-Dame, puis, de 1917 à 1921, au Collège de Saint-Laurent, où il entreprit ses études classiques. Il étudia ensuite au Collège Loyola de 1921 à 1926. 
   Journaliste à The Gazette en 1927, Robert Choquette assuma un peu plus tard la rédaction de la Revue Moderne, tout en étant secrétaire et bibliothécaire à l'École des Beaux-Arts de Montréal. La fondation de Radio-Canada marque un tournant dans sa carrière : il sera l'un des principaux écrivains à alimenter le nouveau réseau de radio-romans. 
   En 1942-43, il fut invité comme écrivain-résident au Smith College de Northampton (Massachusetts). Revenu au pays, il se consacra entièrement à la littérature. Auteur de nombreux recueils de poésies et de romans, il fut lauréat, entre autres, de trois prix David (1926, 1932, 1955), du prix de poésie de l'Académie française (1954) et du prix Edgar Poe (1956). En 1962, il fut proclamé « Prince des poètes du Canada français ». Membre fondateur, en 1944, de l'Académie canadienne-française (devenue l'Académie des lettres du Québec), il y siégea jusqu'à sa mort. 
   En avril 1937, Robert Choquette a épousé Marguerite Canac-Marquis. Il est mort à Montréal le 22 janvier 1991. 
(Source principale : Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec, tome 2, Montréal, éditions Fides, 1987, p. 76-77). 


De Robert Choquette, les Poésies québécoises oubliées ont également présenté : Ode à la liberté et Hymne à l'été

Les Glanures historiques québécoises ont présenté : Robert Choquette sur la poésie : « Au narcissisme, je préfère le don »

Sur le thème du coureur de bois, les Poésies québécoises oubliées ont également présenté : La chanson du coureur de bois, d'Adalbert Trudel, et Le coureur des bois, d'Henri-Raymond Casgrain.




À travers les vents, recueil de Robert Choquette d'où est tiré
Le chant du coureur-des-bois, ci-haut. Le volume contient
une touchante dédicace à sa mère décédée et à son père. La
première publication du recueil eut lieu en 1925, alors que
 Robert Choquette était âgé de 20 ans.

(Cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Dédicace manuscrite de Robert Choquette dans la deuxième
édition de son recueil À travers les vents, datant de 1927 et
qui réunit ses poésies de jeunesse. Il avait 65 ans au moment
 d'écrire cette belle dédicace, en 1970.

(Collection Daniel Laprès ; cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Robert Choquette a été au moins deux fois le sujet de dessins
de Robert LaPalme, qi fut l'un  des plus grands caricaturistes
 québécois.   À gauche, sur la couverture de l'édition d'octobre-
novembre 1947 de la revue La Nouvelle relève, et à droite en
première page de l'édition du 12 novembre 1934 du journal
 L'Ordre, d'Olivar Asselin.

(Cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Ce témoignage touchant de sincérité et de beauté est paru dans Le Devoir
du 8 février 1991, à l'occasion du décès de Robert Choquette.

(Source : BANQ ; cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Robert Choquette était aussi romancier et auteur de contes. On
peut encore de nos jours se procurer en librairie, en format
poche, son roman Élise Velder ((cliquer ICI), qui inspira un
 populaire feuilleton radiophonique, suivi d'une adaptation 

télévisuelle elle aussi très populaire, et son recueil de contes
Le sorcier d'Anticosti (cliquer ICI).

(Cliquer sur l'image pour l'agrandir)


Procurez-vous l'un des quelques exemplaires encore disponibles 
de Nos poésies oubliées, un volume préparé par le concepteur 
du carnet-web des Poésies québécoises oubliées, et qui présente
100 poètes oubliés du peuple héritier de Nouvelle-France, avec
pour chacun un poème, une notice biographique et une photo
ou portrait. Pour se procurer le volume par Paypal ou virement 
Interac, voyez les modalités sur le document auquel on accède
en cliquant sur l'image ci-dessous. Pour le commander par
VISA, cliquer ICI.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire