lundi 2 juillet 2018

Hymne à l'Été

Robert Choquette (1905-1991)

(Source : La Revue des livres, juin 1935)



   Été moite et dolent couché sur la nature,
       J'entends grouiller sous ta ceinture
   Les indices vivants de la pérennité !
   Puisque à jamais j'ai faim et soif d'éternité,
   Eh bien ! je te prendrai dans une telle étreinte,
   Que mon terrestre coeur laissera son empreinte
       Sur ta poitrine, ô mol Été ! 

   J'enfouirai mon front, ma gorge et mes épaules
       Dans la chevelure des saules ; 
   J'irai comme un chamois sur la crête des monts
   Et mon coeur puéril frappera mes poumons !
   Je plongerai mon corps parmi les feuilles vertes,
   Et dans la mer j'aurai mes épaules couvertes
       D'une écaille de goémons

   Je courberai le vent dans mes mains arrondies
       Et sous les branches alourdies
   La saveur des fruits mûrs parfumera mes dents.
   Et la cigale aiguë et les criquets strident
   Seront pareils à des épingles dans les gerbes
       Au pied des buissons abondants !

   J'écouterai tinter les cloches suspendues
       Au cou blanc des brebis tondues ; 
   J'unirai mon haleine à celle des moissons,
   Et j'irai, bondissant par-dessus les buissons, 
   Rafraîchir mes genoux dans les jeunes bruyères
   Et suivre les chevreuils alentour des clairières
       Avec leurs grêles nourrissons. 

   J'emplirai de soleil ma bouche et mes narines ; 
       J'amasserai des fleurs marines
   Qui mouilleront mon corps comme des yeux humains !
   Car je t'aime, Été vert qui bordes les chemins.
   Je veux fleurir, Été, dans tes métamorphoses
   Et, pour que je me grise en toi, comme des roses
       Je veux te tenir dans mes mains !

                          Robert Choquette(1924)




Tiré de : Robert Choquette, À travers les vents,  deuxième édition, Montréal, Les Éditions du Mercure, 1927, p. 38-39. 

* Fils de Joseph-Alfred Choquette et d'Ariane Payette, Robert Choquette est né le 22 avril 1905 à Manchester (New Hampshire). Sa famille revint à Montréal en 1913 et l'inscrivit au Collège Notre-Dame, puis, de 1917 à 1921, au Collège de Saint-Laurent, où il entreprit ses études classiques. Il étudia ensuite au Collège Loyola de 1921 à 1926. 
   Journaliste à The Gazette en 1927, Robert Choquette assuma un peu plus tard la rédaction de la Revue Moderne, tout en étant secrétaire et bibliothécaire à l'École des Beaux-Arts de Montréal. La fondation de Radio-Canada marque un tournant dans sa carrière : il sera l'un des principaux écrivains à alimenter le nouveau réseau de radio-romans. 
   En 1942-43, il fut invité comme écrivain-résident au Smith College de Northampton (Massachusetts). Revenu au pays, il se consacra entièrement à la littérature. Auteur de nombreux recueils de poésies et de romans, il fut lauréat, entre autres, de trois prix David (1926, 1932, 1955), du prix de poésie de l'Académie française (1954) et du prix Edgar Poe (1956). En 1962, il fut proclamé « Prince des poètes du Canada français ». Membre fondateur, en 1944, de l'Académie canadienne-française (devenue l'Académie des lettres du Québec), il y siégea jusqu'à sa mort. 
   En avril 1937, Robert Choquette a épousé Marguerite Canac-Marquis. Il est mort à Montréal le 22 janvier 1991. 
(Source principale : Dictionnaire des oeuvres littéraires du Québec, tome 2, Montréal, éditions Fides, 1987, p. 76-77). 


Dans la deuxième édition du recueil À travers les vents, d'où est tiré le poème ci-haut, le critique littéraire et historien Henri d'Arles (cliquer sur son nom) signe une préface dans laquelle on peut notamment lire ce qui suit : 

Henri d'Arles (1870-1930)

« [...] Le recueil que l'on va lire ― ou relire 
― est le fruit d'une sensibilité riche et fine, neuve et ardente, qui emprunte aux lois traditionnelles les moyens de se libérer. Il y a ici de la poésie véritable, qui se manifeste dans l'originalité et l'abondance des images, et il y a de l'art. L'auteur était tout jeune, à peine dix-neuf ans, quand il l'a composé. Faut-il s'étonner qu'encore en pleine adolescence il ait pu produire une pareille floraison ? L'on n'en a pas le droit, la poésie pure étant un don naturel que les fées déposent dans un berceau. [...]
   Je me rappellerai toujours cet après-midi de l'été dernier, où je reçus son mince volume, qu'une lettre timide et charmante m'avait annoncé. Il faisait beau et chaud. Fatigué de la ville, je partais, je m'en allais dans ce grand bois de pins, de bouleaux et de chênes, facilement accessible, mais où l'on se croirait loin des vulgarités de la vie ordinaire. Solitude incomparable où je me réfugie comme dans un temple, aux heures où la réalité m'oppresse. Il y a là de hautes falaises, garnies d'arbres géants où se balance un murmure très doux ; vers le soir, le choeur des rossignols enchante l'espace. Et l'air y est tout imprégné d'une odeur balsamique. 
   J'hésitais à emporter avec moi ces poésies d'un jeune inconnu : "Qui sait, me disais-je, si j'y prendrai plaisir, ou si elles ne vont pas plutôt me gâter la paix harmonieuse que toujours je goûte dans ce lieu divin ? "
   Je me décidai à les prendre, et je m'en félicite encore. Je les lus tout d'un trait. Ces poèmes s'accordaient si bien avec tous ces entours. Ils me semblaient la voix des choses. Je ne distinguais plus entre leur musique et celle du ruisseau, ou la mélodie perlée du rossignol. Leurs images reflétaient tout ce que j'avais sous les yeux. Quelle ne fut pas ma joie ! Je découvrais un poète, un vrai poète chez un enfant, et ma pensée s'envola dans un long rêve d'avenir... »


De Robert Choquette, les Poésies Québécoises Oubliées ont également présenté: Ode à la liberté (cliquer sur le titre).


À travers les vents, recueil de Robert Choquette
d'où est tiré le poème Hymne à l'Été, ci-haut.

(Cliquer sur l'image pour l'agrandir) 

En 1934, Robert Choquette fut l'objet de
cette caricature de Robert La Palme.

(Source : Archives de la Ville de Montréal ;
cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Témoignage de l'écrivaine et artiste Louise Gareau-Des Bois 
paru dans Le Devoir du 8 février 1991, soit quelques 
semaines après la mort de Robert Choquette.

(Source : BANQ ; cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Avec un peu de persévérance, on peut trouver relativement
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Oeuvres poétiques de Robert Choquette. Sinon on peut les
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