Lucien Rainier (1877-1956) (Source : Claude Lavergne, Lucien Rainier, Montréal, éditions Fides, 1961) |
Ce soir, l'Illusion s'embarque sur la grève
en robe harmonieuse et merveilleux atours...
L'esquif est en partance au quai flottant du Rêve
et l'heure du départ sonne au sommet des tours !..
Ce soir, l'Illusion s'embarque sur la grève ;
elle fuit le château ténébreux de l'Ennui ;
elle fuit le chagrin de la vie ; elle fuit
le bruit sourd d'un passé qui remonte sans trêve.
En robe harmonieuse et merveilleux atours,
la voici : son petit page porte sa traîne...
La couronne du rythme est à son front de reine ;
l'accord est à ses pieds comme un lé de velours.
L'esquif est en partance au quai flottant du Rêve.
Les abords sont fleuris qu'éclairent des falots.
On entend les refrains de lointains matelots.
Sur la mer, un joli clair de lune se lève...
Et l'heure du départ sonne au sommet des tours !
Qui sait vers quel naufrage elle vogue ? Qu'importe !
Là-bas, l'île argentée où la brise l'emporte
recule infiniment ses vaporeux contours...
Le Flot, le flot divin et sonore l'enchante !
Ah ! mon âme est partie avec elle!.. Et, toujours,
elle accompagnera l'Illusion qui chante
en robe harmonieuse et merveilleux atours!..
Lucien Rainier* (1908)
Tiré de : Lucien Rainier, Avec ma vie, Montréal, Éditions du Devoir, 1931, p. 141-142. Ce poème fut antérieurement publié dans Le Nationaliste du 27 décembre 1908. Dans son journal intime, Lucien Rainier évoqua ce poème dans les termes suivants :
« J'en profite pour ajuster une poésie sur la musique dont l'inspiration m'était venue, en 1908, d'un vers de Baudelaire : "La musique souvent me prend comme une mer". Bien des fois depuis, j'ai essayé de mettre au point cette poésie. Quelque chose y manquait. Mais quoi ?... Donner cette impression d'imprécision, de vaporeux que la musique nous procure et, en même temps, ne pas être obscur : tel était le problème. Il n'y a que le symbolisme pour réussir ce tour de force. J'ai changé le nom de mon héroïne qui s'appelait l'âme du Clavecin. Elle est devenue, après beaucoup d'avatars : l'Illusion. J'ai ajouté une strophe. Surtout, j'ai fait disparaître le mot : musique, qui n'existe plus que dans le titre. Il me semble que, cette fois, ça y est ! au point de vue artiste, si ça n'est pas là ma meilleure poésie, je ne connais plus rien !...»
« J'en profite pour ajuster une poésie sur la musique dont l'inspiration m'était venue, en 1908, d'un vers de Baudelaire : "La musique souvent me prend comme une mer". Bien des fois depuis, j'ai essayé de mettre au point cette poésie. Quelque chose y manquait. Mais quoi ?... Donner cette impression d'imprécision, de vaporeux que la musique nous procure et, en même temps, ne pas être obscur : tel était le problème. Il n'y a que le symbolisme pour réussir ce tour de force. J'ai changé le nom de mon héroïne qui s'appelait l'âme du Clavecin. Elle est devenue, après beaucoup d'avatars : l'Illusion. J'ai ajouté une strophe. Surtout, j'ai fait disparaître le mot : musique, qui n'existe plus que dans le titre. Il me semble que, cette fois, ça y est ! au point de vue artiste, si ça n'est pas là ma meilleure poésie, je ne connais plus rien !...»
(Source : Claude Lavergne, Lucien Rainier, Montréal, éditions Fides, collection Classiques canadiens, 1961, p. 48).
* Joseph-Marie Melançon (nom de plume : Lucien Rainier) est né à Montréal le 15 octobre 1877, de Moïse Melançon et d'Élodie Gaudet. Après ses études primaires à l'école Saint-Laurent, il entra au Collège Sainte-Marie, où il commence à s'intéresser à la poésie.
En 1895, il fut un membre-fondateur de l'École littéraire de Montréal. Débutèrent dès lors ses amitiés avec les poètes Émile Nelligan, Charles Gill et Albert Lozeau. Dans Le Devoir du 22 février 1956 (p. 2) il est dit qu'il fut celui qui a initié Émile Nelligan à l'art poétique.
Entré au Grand Séminaire de Montréal en 1897, il fut ordonné prêtre le 22 décembre 1900. Durant les deux années suivantes, il enseigna les éléments latins au Collège de Montréal. Il occupa par la suite les postes de vicaire et de curé dans quelques paroisses, puis il devint aumônier auprès d'une congrégation religieuse.
Il publia des poèmes dans divers journaux, dont Le Samedi, Le Monde Illustré et Le Nationaliste d'Olivar Asselin et de Jules Fournier. Son unique recueil de poésies, Avec ma vie, parut en 1931, aux éditions du Devoir. Ce volume fut couronné l'année suivante par l'Académie française. Le poète se vit alors officiellement fêté au Cercle Universitaire. Ses amis et les poètes de l'ancienne École littéraire de Montréal célébrèrent son triomphe dans diverses réunions intimes.
Lucien Rainier est mort à Montréal le 20 février 1956.
(Sources : Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec, tome 2, Montréal, éditions Fides, 1980, p. 118-119 ; Claude Lavergne, Lucien Rainier, Montréal, éditions Fides, collection Classiques canadiens, 1961, p. 15-16 ; Dictionnaire Guérin des poètes d'ici de 1606 à nos jours, Montréal, éditions Guérin, 2005, p. 957).
Avec ma vie, recueil de Lucien Rainier d'où est tiré le poème La musique. On peut en trouver de rares exemplaires ICI, ICI et ICI. |
Fascicule paru en 1961 contenant plusieurs poèmes de Lucien Rainier. On peut en trouver des exemplaires ICI, ICI, ICI, ICI, ICI, et ICI. |
Lucien Rainier à l'époque (vers 1895) où, avec Émile Nelligan, il était membre de l'École littéraire de Montréal. (Source : Pierre de Grandpré, Histoire de la littérature française du Québec, tome 2, Montréal, éditions Beauchemin, 1968) |
Article de l'écrivain Harry Bernard (nom de plume «L'Illettré») soulignant la mort de Lucien Rainier dans Le Courrier de Saint-Hyacinthe du 6 avril 1956. (Source : BANQ : cliquer sur l'article pour l'agrandir) |
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