vendredi 20 juillet 2018

L'Amour et la Gloire

Jules Gendron (1868-1947)

(Source : La Légende des Chevaliers d'Oïl)




   Certain adolescent avait un amour rare
   Dont il était jaloux, dirai-je même avare.
   De doux projets tous deux ils remplissaient leurs jours.
   L'heure était enivrante alors que sur le cours
   Des routes ils cueillaient en errant des pervenches.
   L'heure était ineffable alors que, sous les branches
   Des saules, au ruisseau, l'un près de l'autre assis,
   Vers la brune, ils chantaient les refrains du pays. 
   L'heure était absorbante au sommet des montagnes,
   Alors qu'en admirant la beauté des campagnes
   Ils bâtissaient ensemble aux lointaines Espagnes.
   Et l'heure était céleste alors que, tard le soir, 
   Leurs lèvres se touchaient en se disant : « Au revoir !»

   Un jour vint cependant où dans l'âme sereine 
   Du bel adolescent régnait une autre reine ; 
   La Gloire aussi hanta son mobile cerveau,
   Et l'entraîna bien loin du paisible hameau. 
   En vain son doux amour versa d'amères larmes,
   Et, pour le retenir, épuisa tous les charmes,
   Il voulut embrasser la carrière des armes ;
   Sur maints champs de combat, pour des exploits hardis,
   Eut son sein décoré d'étoiles en rubis ; 
   Fréquenta les palais des rois et des marquis,
   Vit marcher devant lui la haute Renommée. 
   Un soir, dans un pays sauvage, son armée, 
   Par le fer ennemi, hélas ! fut décimée.

   Blessé grièvement dans ce combat fatal,
   Oublié sur le champ dans l'effroi général,
   Il sentit approcher bientôt l'heure dernière.
   Les vastes cieux d'Afrique étaient pleins de lumière,
   Et la brise effleurait doucement tous les morts. 
   Se soulevant avec de pénibles efforts,
   Et tirant de son sein un médaillon modeste,
   Il contempla mourant, hélas ! ce qui lui reste
   Des bonheurs d'ici-bas et des jours du passé : 
   Le portrait tout fané d'un amour délaissé.

   Lors essuyant des pleurs qui coulaient sur sa joue,
   Il murmura ces mots : « Bien fol est, je l'avoue, 
   Celui qui pour la Gloire abandonne l'Amour !
   Un jour vient où les rois, les honneurs et la Cour
   Ne peuvent consoler les peines de notre âme
   Comme le coeur aimant de la plus humble femme ». 
   Il dit, et sur le sol rougi tôt expira,
   Sur ses lèvres pressant l'image de Laura. 

                                         Jules Gendron(1914)



Tiré de : Jules Gendron, La Légende des Chevaliers d'Oïl, Québec, éditions Victor Lafrance Limitée, 1928, p. 253-255.

* Jules Gendron est né à Saint-François-de-Montmagny (aujourd'hui Saint-François-de-la-Rivière-du-Sud) le 31 mars 1868, de Stanislas Gendron et d'Apolline Morin. Il passa les onze premières années de sa vie auprès de sa grand-mère, Élisabeth Gendron-Dominy, car son père était encore étudiant en droit notarial. À la mort de celle-ci, il réintégra sa famille où il était considéré comme un étranger.
   Pensionnaire au Collège de Lévis de 1881 à 1888, il s'inscrivit à la Faculté de droit de l'Université Laval et obtint son diplôme en 1891. Il décida alors d'entreprendre des études de médecine et se rendit à l'université Hamline, à Saint-Paul, dans l'état du Minnesota aux États-Unis. Il reçut son diplôme de médecine en 1896, puis exerça sa profession à Centerville, à Crookston, pour finalement s'établir à Grands Rapids, dans l'état du Michigan.
   Membre de la Société des Poètes canadiens, il publia en 1928 La Légende des Chevaliers d'Oïl, puis en 1940 La Geste, La Laurentiade et Memoirs of a Country Doctor. Un recueil, Échos poétiques, achevé en 1930, est resté à l'état de manuscrit et serait conservé dans les archives de l'Université Laval. 
   Jules Gendron a épousé Marie Emma Juliette Pelletier à Crookston, vers 1904. Il est mort à Grand Rapids le 11 septembre 1947.
(Sources : Gaston Deschênes, Les origines littéraires de la Côte-du-Sud, Sillery et Sainte-Foy, éditions Septentrion et éditions des Trois-Saumons, 1996, p. 96 ; Dictionnaire des oeuvres littéraires du Québec, tome 2, Montréal, éditions Fides, 1980, p. 627-628).


L'Amour et la Gloire, ci-haut,
est tiré du poème épique
La Légende des Chevaliers d'Oïl

Pour en savoir plus sur cette oeuvre, 
cliquer ICI.

(Cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Dans l'introduction de La Légende des Chevaliers d'Oïl,
Jules Gendron confie à son poème la mission de
transmettre aux descendants de la Nouvelle-France
tout son amour envers sa patrie qu'il n'oublie pas.

(Cliquer sur l'image pour l'agrandir) 

Mention du décès de Jules Gendron dans
Le Soleil du 12 septembre 1947, p. 10.

(Source : BANQ


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