André-Romuald Cherrier (1821-1863) (Source : Le Répertoire national, tome 2) |
C'en est fait, mes amis, il faut prendre le deuil...
Suivons d'un pas tremblant ce lugubre cercueil...
Un cercueil ! que ce mot présente de pensées !
Un cercueil !... Ah ! je sens que, froides et glacées,
Mes larmes à leur cours donnent un libre accès,
Et d'un timide vers empêchent le succès...
Dès que l'astre du jour, sur son char arbitraire,
Aura pâli les cieux de sa course première
Et baigné de ses feux ces coteaux attristés,
Je vous le dis, mes pleurs, je vous le dis, coulez !...
Et lorsque de vos nuits la blanche souveraine
Aura doré les prés de ses phases lointaines,
Gardez, mes yeux, gardez que le sommeil trompeur
Dans ses pavots n'exile une morne douleur.
Ô vous tous, contemplez ce pin brut, simple, antique,
C'est là que d'un ami reposent les reliques...
Humble pendant sa vie, humble jusqu'à sa mort,
Dans un tout autre monde il cherche un autre sort.
Accourez rendre hommage à son auguste cendre,
Du sommet de l'Olympe il saura vous entendre.
Jeune encor, le teint frais de la rose et du lys,
Il vit trancher ses jours, victime de Téthys...
Océan redouté, dis pourquoi dans ta rage,
Tes flots pleins de courroux, écumant sur la plage,
Osèrent engloutir celui qui de nos jours
Faisait le seul désir et les seules amours ?
Imprudent, il confie à ton onde azurée
Sa nacelle fragile, et son âme envolée
Près de son Créateur triomphe du trépas...
L'écho de cette rive en retentit là-bas...
Les pieds nus, déchirés par un cilice sombre,
Approchons saintement auprès de sa sainte ombre...
Et dans nos tristes chants, de celui qui n'est plus,
En gémissant la perte, exaltons les vertus !
Passant, cueille des fleurs à sa précoce gloire,
Verse, verse l'encens offert à sa mémoire...
Et si la pauvre mère a vu dans le tombeau
Descendre un fils naguère et si tendre et si beau,
Qu'elle vienne en ces lieux, sur le bord de sa tombe,
Épancher ses regrets, avant qu'elle succombe...
Libre d'inquiétude, exempte de soucis,
Elle y pourra trouver un baume à ses ennuis !...
André-Romuald Cherrier* (1839)
Cette élégie est tirée de : Le Répertoire national, deuxième édition, volume 2, Montréal, J. M. Valois et Cie Libraires-Imprimeurs, 1893, p. 135-136.
* André-Romuald Cherrier est né à Montréal le 6 mars 1821, de Georges-Hyppolite Cherrier, marchand, pelletier et manchonnier, et de Marie-Anne Roy. Orphelin de son père à l'âge de huit ans, il fit ses études classiques au Collège de Montréal de 1832 à 1840, et fut admis au Barreau en 1842. Il pratiqua le droit durant une dizaine d'années, puis s'établit à Joliette en 1853. Selon le Répertoire national, « ses succès au Barreau furent très marqués ». Il devint par la suite fonctionnaire à Québec.
Dès ses années de collégien, il participa activement à la vie littéraire de Montréal et commença à publier dans divers journaux des poèmes et textes en prose, dont des contes. À l'âge de 16 ans, le 11 octobre 1837, il fit paraître dans le journal Le Populaire, sous le pseudonyme de « Pierre-André », une critique incisive du premier roman paru au Québec, L'influence d'un livre, ce qui fait de lui le premier critique de roman de l'histoire du Québec.
À la fin de 1838, il assista au procès de Joseph-Narcisse Cardinal et de onze autre Patriotes accusés par l'oppresseur britannique pour leur participation aux rébellions de 1837-38. Sous le pseudonyme « Un étudiant en droit », il publia en 1839 un volume en défense des Patriotes condamnés, Procès de Joseph N. Cardinal et autres. Auquel on a joint la Requête argumentative en faveur des prisonniers et plusieurs autres documents précieux.
André-Romuald Cherrier est mort à l'Asile de Beauport le 12 décembre 1863. Selon le Répertoire national, « un surcroît de travail lui fit contracter une maladie de cerveau qui le conduisit au tombeau ». Il avait épousé Henriette Parthenais à Joliette, le 7 octobre 1844.
Selon le Dictionnaire des auteurs de langue française en Amérique du Nord, André-Romuald Cherrier est « un témoin d'un réveil culturel au Québec à la fin de la décennie 1830-1839 ».
À Montréal, la rue Marie-Anne, sur le Plateau Mont-Royal, est nommée en mémoire de sa mère, Marie-Anne Roy. Il était le neveu de Côme-Séraphin Cherrier, avocat, homme politique et important propriétaire foncier de Montréal, dont la rue Cherrier, également sur le Plateau Mont-Royal, commémore le souvenir.
(Sources : Dictionnaire des oeuvres littéraires du Québec, tome 1, Montréal, éditions Fides, 1980, p. 735 ; Répertoire national, deuxième édition, volume 2, Montréal, J. M. Valois et Cie Libraires-Imprimeurs, 1893, p. 21 ; Francis-J. Audet et Gérard Malchelosse, Pseudonymes canadiens, Montréal, G. Ducharme libraire-éditeur, 1936, p. 59 ; Dictionnaire des auteurs de langue française en Amérique du Nord, Montréal, éditions Fides, 1989, p. 297-298 ; Patrimoine culturel du Québec ; Ancestry.ca).
Élégie sur la mort d'un ami, ci-haut, est tiré du volume deuxième du Répertoire national, que l'on peut consulter ou télécharger gratuitement ICI. (Cliquer sur l'image pour l'agrandir) |
Certaines publications laisser planer des doutes quant aux parents d'André-Romuald Cherrier. Cet extrait du registre de la paroisse Notre-Dame-de-Montréal lève définitivement tout doute à ce sujet. (Source : Ancestry.ca ; cliquer sur l'image pour l'agrandir) |
Dans le journal L'Aurore des Canadas du 17 juin 1842, André-Romuald Cherrier annonçait l'installation de son bureau d'avocat sur la petite rue Saint-Vincent, dans le Vieux-Montréal, et qui apparaît de nos jours tel que le montre cette photo. (Source : BANQ ; photo : Montreal in pictures ; cliquer sur l'image pour l'agrandir) |
Dans L'Aurore des Canadas du 9 mai 1844, on apprend que le cabinet d'avocat d'André-Romuald Cherrier a déménagé au coin des rues Saint-Gabriel et Saint-Jacques. Cette intersection n'existe plus de nos jours, étant située sur l'emplacement du Palais de Justice de Montréal. (Source : BANQ ; cliquer sur l'image pour l'agrandir) |
Mention du décès d'André-Romuald Cherrier dans Le Courrier du Canada du 16 décembre 1863. À noter que l'on n'y fait pas allusion à l'Asile de Beauport, où est en réalité mort Cherrier. Saint-Roch est probablement le quartier qu'il habitait alors à Québec, et « l'Industrie » est l'ancien nom de la ville de Joliette, où Cherrier a habité de 1853 jusqu'à son installation à Québec. Ce manque d'exactitude est courant dans les journaux du temps. (Source : BANQ ; cliquer sur l'image pour l'agrandir) |
André-Romuald Cherrier repose auprès de sa mère, née Marie-Anne Roy, au cimetière Saint-Charles de Québec. On peut lire sur la pierre tombale : Ici repose le corps de ANDRÉ ROMUALD CHERRIER Écuyer, Avocat Décédé le 12 de Déc. 1863 Âgé de 42 ans. _______ MARIE-ANNE ROY épouse de G. H. CHERRIER Décédée le __ août 186_ (Source : Find A Grave ; cliquer sur l'image pour l'agrandir) |
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