Albert Dreux (1886-1949) (Source : L. Mailhot et P. Nepveu, La poésie québécoise des origines à nos jours, 1981) |
Lorsque, sonnant l'orgueil de mon adolescence,
Fanfare triomphale, extasiée, vainqueurs,
Mes rêves et mon sang rendaient ma vie immense.
L'univers était grand, mais moins que mon désir,
Et le soleil brûlant, mais pas plus que mon âme,
Vous étiez mes amis, Aymerillot, roi Lear,
Vous aussi, Desdémone, ange plutôt que femme.
Je vous parlais au long du chemin familier
Où j'allais m'égarer aux heures romantiques ;
Héroïnes, héros, paladins, chevaliers,
Les arbres répétaient vos grands gestes épiques.
Je vivais avec vous, vous me faisiez les bois
Mystérieux et pleins de sublimes chimères.
Mon être tressaillait au seul bruit de vos voix
Dont le rythme était beau comme un vers d'Homère.
Ah ! mes beaux souvenirs, qu'ils sont délicieux.
J'aimais un coin choisi, discret, d'une colline
Tout près d'une cascade au bruit glauque et joyeux
Et dont l'eau dans le vent s'élève en mousseline.
J'apportais un poème et, vibrant ou rêveur,
Je colorais encore ta beauté, ô Nature,
Par ce que j'y mettais de juvénile ardeur
À te parer de l'or de mes belles lectures.
Cependant, je t'aimais aussi naïvement
Pour tes arbres, tes fleurs, tes velours, tes dentelles,
Tes rires, tes sanglots et tes enchantements,
Ô Nature changeante, immobile, immortelle.
Que de fois j'admirai la dégradation,
À la mort du soleil, de la sainte lumière !
Quand, strié d'oranger, de vert, de vermillon,
L'occident s'étalait, immense, radiaire.
Que souvent j'entendis la cascade au son clair,
Humide, régulier et jamais monotone,
Me rythmer, obsédante et plaintive, mes vers...
Lors, c'était le printemps, maintenant c'est l'automne !
J'ai déserté la joie, ô mes amis d'antan,
Un jour néfaste et dur me jeta dans la ville
Où tout, jusqu'à l'amour, est pressé, haletant,
Où même un coeur d'enfant est une chose vile.
Mais je retournerai, je reviendrai vers toi,
Nature qui me fus maternelle et si tendre ;
Je saurai retrouver mes rêves à ta voix ;
Je veux me retremper en toi, tu peux m'attendre.
***
Dans le palais sacré des chênes et des ormes,
Des pruches et des pins, des cèdres, des tilleuls,
Le merveilleux secret des couleurs et des formes
Se renouvelle, vit, demeure. Et c'est là seul,
Dans ce vivant palais aux colonnes fécondes,
Dont le dôme est un chant et dont les hôtes sont
― Rossignols, roitelets, mésanges et pinsons ―
Ceux qui font plus joyeux le sourire du monde.
Que je veux promener le dégoût et l'ennui
Qu'a jeté dans mon coeur la ville, ce cratère...
Ô forêts où le jour semble une belle nuit
Pour ce que vous semez d'étoiles sur la terre.
Albert Dreux (1920)
Tiré de : Albert Dreux, Le Mauvais Passant, Montréal, Roger Maillet éditeur, 1920, p. 31-34.
Pour en savoir plus sur Albert Dreux, voyez les informations sous son poème Retour, qui est également présenté par les Poésies québécoises oubliées.
Le Mauvais Passant, recueil d'Albert Dreux, d'où est tiré le poème Ah ! comme la lumière, ci-haut. (Cliquer sur l'image pour l'agrandir) |
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