mercredi 21 novembre 2018

La voix des âmes

Jean Dollens, nom de plume
d'
Estelle Bruneau (1910-1953)

(Source : Société d'histoire de Sherbrooke)




   Dans la nuit morte et langoureuse,
   L'âme mystique et douloureuse
   Contemple au fond de l'infini,

   De ses yeux pensifs et livides,
   L'abîme sombre des coeurs vides
   Dont l'idéal s'est endormi. 

   L'âme a chanté sur une lyre
   Les purs sanglots de son délire
   Sur le sépulcre du désir. 

   Car son regard n'a pas su lire
   Qu'un amour, un coeur, un sourire
   Sont des fleurs qu'on ne peut saisir.

   Roses de sang, d'azur, de rêve
   Dont le troublant parfum s'élève
   Sur le passé qui veut mourir...

   Âmes dont les fleurs des ténèbres
   Ouvrent leurs calices funèbres
   Aux longs baisers du souvenir...

   Et ces âmes dont l'esprit souffre
   Respirent le poison d'un gouffre
   Ouvert sous leur regard éteint, 

   Car les espoirs à l'agonie
   Ont rencontré l'âpre ironie
   Des mots frappés par le destin.

                                    * * * 

   En fuyant la haine implacable
   Des puissants, des inexorables, 
   Les âmes s'en vont dans la nuit,

   Écouter les voix fraternelles
   Triomphantes et solennelles
   Qui versent le calme et l'oubli. 

   Perdus au sein de l'ombre noire,
   Les esprits rêvent de victoire
   Sur leur morne captivité. 

   Car la voix des âmes révèle
   La nostalgie universelle
   Gémissant dans l'obscurité...

        Estelle Bruneau*, alias Jean Dollens (1938)



Tiré de : Jean Dollens, Nostalgies, Sherbrooke, La Tribune Ltée, 1938, p. 132-133. 

* Estelle Bruneau est née à Sherbrooke le 20 janvier 1910, d'Oscar Bruneau, agent d'assurances, et de Clotilde Champoux. Elle fit ses études à Sherbrooke, puis fut collaboratrice au journal La Tribune et au Messager de Saint-Michel, sous les pseudonymes de « Jean Dollens » et de « Guynemer ». Ses articles furent également publiés dans d'autres journaux et périodiques, comme Le Bien public (Trois-Rivières), L'Avenir du Nord (Saint-Jérôme), etc.
   Elle publia trois romans, La lumière retrouvée (1933) ; L'ombre du passé (1935) ; Sous la griffe de Moscou (....) et un recueil de poésies, Nostalgies (1938).
   Dans sa préface à Nostalgies, le poète Alfred Desrochers a écrit :
   « Jean Dollens, dont les journaux d'avant-garde publient fréquemment la prose vigoureuse et volontiers belliqueuse, entr'ouvre aujourd'hui le musée secret de ses NOSTALGIES aux amants de la poésie. Ce sera une révélation pour plusieurs, car on n'y retrouvera plus l'esprit curieux de théories sociales, de systèmes politiques et de spéculations philosophiques. Au lieu de cela, un coeur meurtri par la vie, un coeur selon le mot de Verlaine : "qui se répand, plutôt qu'il ne s'épanche". [...] La plupart de ces vers décrivent, en même temps que l'évolution d'une âme et d'un coeur, celle d'une pensée de jour en jour plus affinée, qui ne connaît de bornes que l'amour, la curiosité et l'orgueil ― ces trois frontières de l'art, dont l'autre est l'infini ». 
   Estelle Bruneau avait épousé Frank Atwood le 19 décembre 1929, avec qui elle a vécu quelques temps à Manchester (New Hampshire), pour revenir vivre avec ses parents à Sherbrooke, dans un édifice du centre-ville nommé le « Monument national ».
   Estelle Bruneau est morte à Sherbrooke le 9 septembre 1953.
(Sources : Dictionnaire des oeuvres littéraires du Québec, tome 2, Montréal, éditions Fides, 1981, p. 774 ; Dictionnaire Guérin des poètes d'ici de 1606 à nos jours, Montréal, 2005, p. 438 ; archives de La Tribune).


Nostalgies, recueil de Jean Dollens, nom de
plume d'Estelle Bruneau, d'où est tiré le poème
La voix des âmes, ci-haut. On peut en trouver
de rares exemplaires ICI et ICI.

Dédicace de Jean Dollens, nom de plume d'Estelle Bruneau,
dans son recueil de poésies Nostalgies. Son propos semble
indiquer qu'elle fut atteinte d'une maladie sérieuse dès les
 années 1930, ce qui a peut-être contribué à son décès
prématuré à l'àge de 43 ans, en 1953.
(Collection Daniel Laprès ;
cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Recension du recueil Nostalgies dans Le Devoir du 2 avril 1938.
(Source : BANQ ; cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Dans l'article de La Tribune relatant les funérailles
d'Estelle Bruneau, alias Jean Dollens, on remarque
qu'aucune mention n'est faite de son époux, Frank
Atwood, avec qui la poétesse a vécu à Manchester,
au New Hampshire, dans la période suivant leur
mariage en 1929, comme en atteste l'entrefilet du
20 septembre 1930. Peut-être que Frank Atwood
était décédé au moment de la mort de son épouse,
ou que le couple était séparé. Il est possible aussi
que le mariage ait été annulé, ce que l'on pourrait
déduire du fait que l'article mentionne la poétesse
sous son nom d'Estelle Bruneau, ce qui à l'époque
était peu courant pour une femme mariée, même veuve.
(Cliquer sur l'image pour l'agrandir)

La poétesse Estelle Bruneau vivait dans les années 1930 dans
l'appartement # 3 de cet édifice nommé « Monument national »,
au 100 rue Marquette, à Sherbrooke, à côté de la cathédrale

Saint-Michel. (Photo : André Paul, 2018 ;
cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire