vendredi 11 septembre 2020

Poème d'or


« Payse », nom de plume de
Gabrielle Saint-Pierre-Duval (1884-1965)

(Source : Musée du Bas-Saint-Laurent)



   Déjà la nuit descend sur la plaine vermeille ;
   L'oiseau ne chante plus ; le laboureur sommeille.
   Troubadour, mon ami, voici le soir dolent.
   Au terme de la route, où glisse ton pas lent,
   Vois-tu ces hautes tours parmi l'ombre fugace ?
   Arrête, troubadour ! Repose ta voix lasse
   Et d'un cœur confiant, à la grille de fer
   Frappe... Celui qui veille, archer fidèle et fier,
   Debout, montant la garde en ce palais étrange,
   Est plus noble qu'un duc et plus beau qu'un archange.
   Il a nom « Souvenir »... Va ! Suis-le sans tarder, 
   Son émouvante voix parle pour te guider.

   C'est le fief enchanté d'une reine puissante : 
   On la nomme « Patrie ». Sa cour éblouissante
   Est pleine de seigneurs, héros et grands guerriers
   Qui donnèrent pour elle, en loyaux chevaliers, 
   Leur sang et leurs travaux... Viens à leurs pieds t'asseoir ;
   Consacre à les chanter tes derniers vers, ce soir. 
   Ils ont des noms de flamme, où leur valeur résonne,
   Des noms retentissants où le courage sonne
   Comme l'airain qui vibre au clairon triomphant
   Ou le tragique appel de l'antique olifant.  

   Rien qu'en les évoquant, c'est un bruit d'épopée 
   Où bataille le droit, par le verbe et l'épée. 
   Avant de déposer ton luth, bon travailleur, 
   Chante ces vaillants cœurs, leurs exploits, leur ardeur.
   Redis leur héroïsme et la façon sublime
   Dont ils surent servir. De fierté légitime,
   Ta chanson, troubadour, enivrera nos fronts,
   Et dans nos yeux mettra les pleurs d'émotion.
   Avec des rimes d'or, compose ce poème
   À l'honneur de nos preux, à leur gloire suprême.

   Champlain, le conquérant... Hébert, le laboureur...
   L'un, la force, la foi. L'autre, l'humble douceur...
   De Laval... Frontenac... Le bouillant d'Iberville...
   Le saint de Maisonneuve, aimant d'amour sa ville...
   Montcalm, le vaincu mort glorieusement...
   Et l'ardent de Lévis, croisé au dévouement,
   Qui, pour ne pas laisser ses drapeaux aux Vandales,
   Les jetait au bûcher, victimes triomphales.

   Et les seize héros dont la jeunesse en fleur
   A conquis les lauriers réservés au vainqueur. 
   Jeunes, braves, fervents, ils vont, l'âme stoïque,
   Sacrifiant leur vie en un geste héroïque,
   À la voix de ce chef, rempli de feu divin,
   Qu'on appelle aujourd'hui Dollard le Paladin ! 
   Tous ― ils l'avaient juré ! ― tombés dans le carnage
   Pour sauver le pays. Exalte leur courage !  […]

   Ceux-là, que tu rêvais un jour de nommer frères,
   Au festin du Parnasse assis, pauvres trouvères !
   Ceux dont les rythmes doux, le vers fascinateur,
   À ton âme d'enfant versaient, philtre enchanteur,
   L'amour de l'art divin : Fréchette et Crémazie...
   Chapman... Le May... Amants épris de poésie,
   De ce jeune pays guidant les pas craintifs
   Jusqu'aux clairs sommets de l'idéal ; naïfs
   Pionniers de beauté, évocateurs du rêve,
   Vers les horizons neufs ils ont marché sans trêve.

   Il faut les chanter tous, les obscurs, oubliés,
   Ceux qui toute la vie au labeur pliés,
   Enduraient, patients, l'exil et ses détresses,
   Et n'ont jamais connu la gloire et ses ivresses.
   Ouvriers de la glèbe et semeurs de bon grain,
   Qu'ils soient bénis, ceux-là. Leur frémissante main
   A jeté dans nos champs, sur nos monts, dans nos villes,
   De la prospérité les saisons fertiles.

   Ah ! Souviens-toi d'eux tous, poète ! Et que, demain,
   Reprenant du devoir l'aride et long chemin, 
   Ton pas soit plus alerte et ta chanson plus vive.
   À cause de ses morts, que la race survive !
   À toi dans ce grand œuvre, il échoit l'humble part
   De chanter ?... Chante donc !... Chante sur le rempart,
   Aux portes du palais, au seuil de la chaumière !
   Et que l'écho joyeux de ta chanson altière
   Aille porter au loin ces noms graves et doux,
   Artisans de l'Histoire, et qu'on devrait chez-nous
                                  Acclamer à genoux ! 

                                                 Payse (1923)



Tiré de : Payse , D'Azur, de lys, de flamme, Québec, Imprimerie de L'Action sociale, 1923, p. 133-137.

Pour en savoir plus sur « Payse », nom de plume de Gabrielle Saint-Pierre-Dugal, voyez la notice biographique et les documents sous son poème Sur le lac.  

De « Payse », les Poésies québécoises oubliées ont également présenté Heureuse solitude

« Payse » fait partie des 100 poètes présentés dans l'album 
Nos poésies oubliées, publié en septembre 2020.
Pour se procurer un exemplaire de cette édition unique
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Le Poème d'or, ci-haut, est tiré du recueil
D'azur, de lys, de flamme, de « Payse ».

(Cliquer sur l'image pour l'agrandir)

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