Marc-Aurèle de Foy Suzor-Coté, Paysage d'hiver (Collines d'Arthabaska) (Source : Wikipedia Commons) |
Les arbres dépouillés et les prés qui jaunissent,
Aux premiers vents du bord, de frissons se remplissent.
L'automne bienfaisant qui vient de s'épancher
Se fait plus égoïste et paraît se cacher.
Vers les lieux protégés, c'est la grande retraite,
Car on connaît l'hiver et comment il nous traite.
Avez-vous remarqué que l'automne mourant
Confond toujours ses traits avec l'hiver naissant ?
Que pendant plusieurs jours les deux saisons s'enlacent ?
Que pour se rencontrer il faut qu'elles s'embrassent ?
C'est un fait constaté, la frileuse saison,
En saluant l'automne est douce et sans frissons.
Leur séparation nous est imperceptible,
Car l'automne s'en va de façon insensible.
Mais leur dernier salut nous montre un peu d'aigreur,
Un certain désaccord, un soupçon de rigueur.
Peut-être que l'amour de capter notre culte
Fait naître entre les deux cette petite lutte.
L'ouvrage que l'hiver a fait pendant la nuit,
L'automne, tout le jour, à dessein le détruit.
Et réciproquement la saison à distance
Voit son travail glacé par celle qui s'avance.
À la fin du combat notre hiver est vainqueur
Et commence son règne avec moins de douceur.
Cependant, le bétail, sur la plaine amaigrie,
Ronge les derniers brins d'une herbe rabougrie.
Mais enfin c'est trop peu ; les troupeaux affamés
Reçoivent d'autres soins dans l'étable enfermés.
Et les foyers, munis d'une double fenêtre,
Attendent le frimas qui commence à paraître.
Dans les poêles éteints, les feux sont allumés
Pour réchauffer du toit les objets bien aimés.
Pendant trois mois entiers, la bonté de leurs flammes,
De leur regard d'amour, réjouira les âmes.
Déjà dans les chemins le sol devient très dur ;
De l'approche du froid c'est un signe très sûr.
Enfin, voici qu'au ciel de grands nuages pâles
Planent dans l'air frileux au gré des vents plus mâles.
Oui, c'est vers la Toussaint, le jour béni des morts,
Que notre Canada sous son linceul s'endort.
Quand de légers grains blancs envahissent l'espace
Pour venir se poser sur la nature lasse,
Leurs petits corps neigeux au début clairsemés,
Après quelques instants se sont multipliés.
Sur la terre sans feu, bien des êtres grisonnent ;
Dans la grande forêt, des arbres nus frissonnent.
Il ne faut pas un jour avec tant de pâleur
Pour recouvrir le sol d'une immense blancheur,
Pour dérouler l'hermine aux formes onduleuses
Sur les monts dénudés et les plaines frileuses.
Soit colère ou dépit, le soleil, par trois fois,
Déchire avec fureur ce voile que tu vois.
Il coupe du terroir l'habit qui le dérobe,
Et plonge dans les eaux les lambeaux de sa robe.
Mais le ciel protecteur répare le tissu
Et force le soleil à s'avouer vaincu.
Puis la fin de novembre apporte assez de neige
Pour arrêter l'effort du déplaisant manège.
Nous sommes en hiver, saison de pureté
Où le monde en repos retrouve la santé.
Soyez-en bien certains, la terre n'est pas morte
Sous la blanche parure au fond qu'elle supporte.
Mais elle vit encore et son profond sommeil
Pour le printemps suivant prépare un doux réveil,
Car avec ses frimas et sa toison fameuse,
Notre hiver canadien a l'âme vigoureuse.
Les piqûres du froid activent notre sang
Et sont au corps chétif un tonique puissant.
C'est un plaisir de voir, quand la neige est venue,
Avec quel bel entrain notre cœur la salue.
C'est un si beau coup d'œil, sous un ciel de cristal,
De voir se dérouler le beau voile hivernal.
Mais afin d'en jouir il faut que des bordées
Lui donnent l'épaisseur d'environ deux coudées.
Sur ce front de candeur se forment des sillons,
Par où les blancs foyers sont en relations.
Et ces routes de glace et de neige remplies
Que les traîneaux glissants ont bien vite durcies,
Sont comme des liens qui rapprochent les cœurs,
Lesquels restent bien chauds au milieu des froideurs,
En formant un réseau de luisantes artères,
Où circulent la vie au sein des froids austères.
Quand l'or des froids rayons met sa blonde couleur
Entre un clair firmament et l'immense blancheur,
Sur leurs jolis patins reluisants de peintures,
Les gracieux traîneaux recouverts de fourrures,
Avec leur carillon d'un beau rythme argentin,
Pour chanter leur bonheur tout le long du chemin,
Suivent légèrement les cavales fringantes
Qui franchissent la plaine en courses élégantes.
Leur haleine blanchit au sortir des naseaux,
Pendant qu'une buée adhère aux noirs traîneaux.
Au milieu de ceci quelques formes velues
Bravent le froid piquant sous leurs robes poilues.
Leurs membres protégés sont en sécurité,
Tandis qu'en leurs poumons s'engouffre la santé.
Ces plaisirs vigoureux font des blanches campagnes,
Pendant les jours d'hiver, nos meilleures compagnes.
Certains biens qu'en été nos cœurs avaient perdus,
Par la neige des champs souvent leur sont rendus.
Il arrive souvent que de longues tempêtes
Suspendent les plaisirs de ces beaux jours de fêtes
Et font chercher l'abri de nos toits protecteurs
Contre les coups mortels des tourbillons rageurs.
Quand la voûte du ciel a pris sa robe grise,
Dont l'aspect menaçant provoque la surprise,
Et voile du soleil le beau regard d'amour
Au point de ne nous laisser qu'un faible demi-jour.
On a recours aux soins de nos bonnes chaumières
Dont le cœur toujours chaud écarte les misères.
Bientôt le vent du nord rafale sur les toits
Et lance jusqu'au ciel les plaintes de sa voix.
La poudre de nos champs que son souffle soulève
Devient comme un brouillard qui dans les airs s'élève.
De l'épais firmament aux nuages neigeux
Descendent de l'hiver les torrents orageux.
Par un cours opposé, ces fortes avalanches
Mêlent dans les hauteurs leurs molécules blanches.
Puis les vents déchaînés forment des tourbillons
Qui se tordent dans l'air avec de grands frissons.
Enfin, c'est la tempête en toute sa furie,
Par la terre et le ciel pendant trois jours nourrie.
Les blancs grumeaux, pressés par l'action des vents,
Suspendent dans les airs leurs grands voiles mouvants
Que l'aquilon déchire et, des pièces intactes,
Élève en les pressant des murailles compactes
Qu'il s'amuse à percer en poussant des clameurs
Qui sont comme un écho de ses blanches fureurs.
Quel tumulte effrayant, quelle horrible tourmente !
Le ciel est désolé, la terre se lamente.
Mais au foyer béni c'est la douce gaieté,
Les bienfaits du repos et la sécurité.
Car dans ces temps neigeux, la bûche qu'on allume
A bientôt réchauffé notre vieux toit qui fume.
Alors il fait si bon, au milieu du danger,
De vivre sans périls, d'avoir de quoi manger.
À côté d'un bon feu près de la flamme active,
On goûte mieux le chant de la bise plaintive.
Vivent nos vieux foyers tout couverts de frimas,
Que le givre blanchit, que glace le verglas.
Vivent nos vieux logis à la frileuse mine
Qu'ils subissent l'hiver sous leurs robes d'hermine.
Sous des dehors plus froids, les cœurs y sont plus chauds,
Puis ils sont si bien faits, nos vieux murs à la chaux !
Après le mauvais temps reviennent les beaux jours,
Les plaisirs coutumiers reprennent leurs vieux cours.
Des longs chemins durcis, on reforme la trace,
Et bientôt des étangs on découvre la glace.
Sur ce corps transparent, poli comme un miroir,
Sur ce verre luisant que l'on aime à revoir,
Lorsqu'en son corps si pur reposent les étoiles,
Alors que de la nuit s'étendent les beaux voiles,
Le patineur léger chaussé d'un dur métal,
Du lac illuminé découpe le cristal.
Rapide et gracieux, un rythme le balance,
Pendant que son beau corps vers l'horizon s'élance,
Et cette ombre qui passe ainsi qu'un vol d'oiseau,
Glisse comme un nuage au firmament nouveau.
C'est la nuit, car là-haut les étoiles frissonnent ;
Sur un fond clair d'azur, leurs diamants foisonnent.
La lune mielleuse et pleine de douceur,
De reflets somnolents inonde la blancheur.
La plaine et les foyers en ce moment sommeillent
À la demi-clarté des bons astres qui veillent.
Mais au cœur du foyer, un ami ne dort pas,
C'est l'âtre toujours chaud où l'on cuit les repas.
Dans son cœur enflammé les bûches se consument,
Et sans cesser, par lui, les toits blancs, glacés, fument.
Je vous quitte à présent, sous l'immense blancheur,
Au milieu d'un repos tout rempli de candeur.
Chênes de mon pays, merveilleuses campagnes,
Qui fûtes autrefois mes meilleures compagnes,
J'ai voulu vous chanter, vous prouver mon amour,
Champs bénis que j'aimai dès mes plus tendres jours.
Car aux divins bienfaits d'une vie abondante
Et aux dons merveilleux d'une âme débordante,
Vous avez ajouté l'attrait de la beauté,
Les horizons lointains, l'aimable liberté,
La splendeur des décors dans la plaine paisible,
Tout ce qu'on peut aimer en ce monde sensible.
MERCI ! beaux champs, MERCI, je n'ai pu vous chanter,
Mais il me reste un cœur, toujours, pour vous aimer.
Modeste Champoux (1917)
Tiré de : revue Le pays laurentien, novembre et décembre 1917.
Le poème Hiver, ci-haut, fait partie d'une série de quatre poèmes de Modeste Champoux, intitulée Campagnes laurentiennes, sur le thème des saisons. De cette série, les Poésies québécoises oubliées ont également publié : Été et Automne.
Pour en savoir plus sur Modeste Champoux, voyez la notice biographique et les documents sous son poème Petite barcarolle.
Modeste Champoux (1881-1918) (Source : Les Eudistes) |
Le poème Hiver, ci-haut, de Modeste Champoux, est paru dans le numéro de novembre-décembre 1917 de la revue Le Pays laurentien. (Cliquer sur l'image pour l'agrandir) |
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