La bataille des plaines d'Abraham. (Source : Ville de Québec) |
« ... mais il régnait une telle
émulation dans le peuple que
l'on vit arriver au camp des
vieillards de quatre-vingts ans... »
La scène est à Québec. Là, Wolfe est attendu.
Montcalm, lui, n'admet pas qu'on s'estime perdu.
Eux, c'est le nombre ; en nombre, ils sont braves, avides.
Lui se voit presque seul avec des caissons vides ;
Pour répondre à leurs bricks hérissés d'obusiers
Il n'a que le vain poids de ses anciens lauriers.
Qu'importe ! Un soir au camp, il a nombré ses troupes,
Lorsque de vieux colons l'entourent de leurs groupes.
Ils tremblent, non de peur, mais craignent un refus.
Dès que les régiments, surpris, se furent tus :
― Général, dit l'un d'eux, bien faible est votre armée,
Les victoires d'hier l'ont cent fois décimée ;
Vos drapeaux font appel à nos bras, à nos cœurs,
Et d'eux-mêmes alors nos mousquets, vieux vainqueurs,
Nous tombent dans les mains du clou de la muraille...
Nous sommes à genoux, permettez qu'on bataille !
Le chef avait déjà les yeux de pleurs frangés.
― Mais comment tiendrez-vous devant leurs corps rangés ?
Pour charger des fusils il faut des doigts agiles !
― Ces mains, mon général, que vous croyez débiles,
Ont couché sur le sol les dernières moissons.
― Il faut pouvoir des yeux scruter l'horizon !
― Dès que poindront leurs mâts dans la brume ou dans l'ombre,
Nos regards, les premiers, auront connu leur nombre.
― Craignez donc des longs trajets la fatale langueur.
― De fouler nos sillons nous rendra la vigueur.
― Pour l'âge les boulets n'ont pas de déférence.
― Qu'importe ! si nos corps vous font une défense !
― Vous tomberez sans gloire en des tombes sans noms.
― Ce serait trop de gloire à nous si vos canons
Trouvaient pour se hisser les tertres de ces tombes ;
Ce serait trop de gloire à nous qu'aux hécatombes
Des assaillants ainsi nous ayons une part
Et que, morts, aux vivants nous fassions un rempart !
Puis, après un silence où coulèrent des larmes,
Le vétéran cria : « Vive la France ! Aux armes ! »
Ce fut tout. Mais ce trait révèle nos aïeux.
Rome avait des autels pour de semblables dieux.
Hélas ! Pourquoi sont-ils demeurés anonymes ?
Pères, vous fûtes grands et vous fûtes sublimes !
Ta mort, ô Dandolo, par eux je la comprends :
Ces cœurs avaient aussi battu... quatre-vingts ans !
Joseph Gingras (1917)
Tiré de : Joseph Gingras, Fidélité (édition posthume) Montréal,1958, p. 61-62.
Pour en savoir plus sur Joseph Gingras, voyez la notice biographique et les documents sous son poème Je lève les yeux vers les sommets.
Pour composer son poème Nos aïeux, ci-haut, Joseph Gingras s'est inspiré du passage suivant de l'œuvre monumentale de François-Xavier Garneau, Histoire du Canada :
« On avait eu l'intention de n'assembler que les hommes en état de soutenir les fatigues de la guerre ; mais il régnait une telle émulation dans le peuple que l'on vit arriver au camp des vieillards de quatre-vingts ans et des enfants de douze à treize, qui ne voulurent jamais profiter de l'exemption accordée à leur âge ! Jamais sujets ne furent plus dignes des bontés de leur souverain, soit par leur constance dans le travail, soit par leur patience dans les peines et les misères qui, dans ce pays, ont été extrêmes. Dans l'armée, ils étaient exposés à toutes les corvées ».
(Source : François-Xavier Garneau, Histoire du Canada, tome V, livre dixième, chapitre I (huitième édition entièrement revue et augmentée par son petit-fils Hector Garneau), Montréal, Éditions de l'Arbre, 1944, p. 254-255).
Pour en savoir plus sur François-Xavier Garneau, voyez Celui qui apprit aux Québécois le respect d'eux-mêmes.
Le poème Nos aïeux, ci-haut, est tiré du recueil posthume Fidélité, de Joseph Gingras (1896-1954) (Source de la photo : Fidélité ; cliquer sur l'image pour l'agrandir) |
Louis-Joseph, marquis de Montcalm (1712-1759) (Source : Archives de la Ville de Montréal) |
La bataille des plaines d'Abraham. (Source : Amérique française) |
Esquisse pour la mort de Montcalm, par Marc-Aurèle de Foy Suzor-Coté. Montcalm fut blessé mortellement lors de la bataille des plaines d'Abraham et il expira la nuit suivante. « À l'agonie, Montcalm aurait eu une petite discussion avec le frère du chirurgien, Joseph Arnoux, qui était apothicaire : — Combien de temps me reste-t-il à vivre ? — Quelques heures à peine. — Tant mieux, je ne verrai pas les Anglais à Québec. » (Source de l'illustration : Musée national des beaux-arts du Québec ; source de la citation : Bathild Bouniol, La France héroïque, tome troisième, Ambroise Bray éditeur, Paris, 1863, p. 108) |
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