François-Xavier Garneau (1809-1866) (Source : Québec éternelle : promenade photographique dans l'âme d'un pays, p. 118) |
ÉLÉGIE (extraits)
Le murmure des flots qui blanchissent ces bords,
Et la brise du soir cadençant ses accords ;
La douteuse clarté de l'astre du silence
Effleurant les coteaux, les bois, la mer immense,
Tout réveille dans moi de pieux souvenirs,
Et mon âme en planant s'enivre de désirs.
L'amant ou l'exilé, le bonheur, la misère,
Chacun a ses échos dans ce lieu solitaire.
Heureux celui qu'embrase un désir joyeux,
Naguère je goûtais ce nectar précieux,
Mais errant aujourd'hui sur la terre étrangère,
Sans parents, sans patrie, oublié des humains,
À l'écho de douleur j'adresse mes refrains ;
La nuit seule entend ma prière.
Ô toi qui de l'amour bus le philtre enchanteur,
Ou qu'abreuve à longs traits la coupe du malheur,
Poursuis les concerts de ta lyre :
La nature propice en ces lieux les inspire,
Et les zéphyrs te répondront en chœur.
Hélas ! dans quel climat le ciel te fit-il naître ?
Quel destin malheureux, quel orage peut-être
Contre toi souleva ses flots ?
D'un joug pesant fuis-tu l'ignominie,
Ou de ton fatal génie
Suis-tu l'astre, entraîné par des sentiers nouveaux ?
Le bonheur file en silence
Les jours de l'humble berger ;
Le toit qui vit sa naissance
Ne le vit pas s'enfuir à l'étranger.
Content du sort, chéri de sa bergère,
En vain roule aux cités le char ambitieux,
Dormant en paix sous la douce chaumière,
Il méprise des rois les palais orgueilleux.
Que n'ai-je, comme lui, dans le hameau paisible,
Su choisir un séjour aux chagrins inconnus !
Savourant le bonheur d'une épouse sensible,
J'eus partager l'amour et la vertu.
Mais d'un astre fatal éprouvant l'influence,
J'errai contre mon gré bien loin sous d'autres cieux.
Je disais : je verrai le soleil et la France
Et le tombeau de mes aïeux.
Je laissai donc ces bords où, profonds et sublimes,
Roulent du Saint-Laurent les flots majestueux ;
J'entends encore gronder dans les sombres abîmes
Du fier Montmorency les rochers écumeux.
Mes yeux suivaient de loin les murailles superbes
Qui portent jusqu'au ciel leurs créneaux foudroyants.
Et les rayons du soir glissaient, comme des gerbes,
Sur les toits éblouissants.
Ô toi, fière cité, reine de ma patrie,
Combien dut ce moment me coûter de douleur !
À ces pensers... ma paupière attendrie
Ne peut retenir ses pleurs.
J'ai vu de l'Océan les vagues agitées
Que pressaient d'Aquilon les ailes irritées.
Puis j'ai vu de Paris les palais somptueux,
Et le dôme superbe élancé jusqu'aux cieux.
Sur la colonne triomphale
J'ai vu de vieux guerriers relire leurs exploits ;
J'ai vu le lieu funèbre où repose des rois
La cendre sépulcrale ;
Mais rien du Canada n'éteint le souvenir :
J'y trouvais le passé, j'y voyais l'avenir.
En vain Londres à mes yeux déployait sa richesse,
Son faste, sa splendeur, d'un factice bonheur
La perfide ivresse,
Mon âme n'y trouvait qu'un charme empoisonneur.
Où sont ces jours quand, sous l'ombre d'un chêne,
Je fredonnais un rustique refrain ?
L'amour guidait mes doigts, et la timide Hélène
En rougissant sentait gonfler son sein.
Mais, comme un doux rayon au milieu d'un orage
Frappe l'œil du voyageur,
Ce tendre souvenir perce en vain le nuage
Qui pèse encore sur mon cœur. [...]
Mais pourquoi de mon cœur augmenter la tristesse ?
De ces illusions, noirs enfants de la nuit,
Chassons l'ombre qui me poursuit ;
Lyre, répète encor tes accents d'allégresse,
Et dérobe mon âme à l'ennui.
Oui, je verrai ces champs où rêvait ma bergère ;
Du limpide ruisseau j'écouterai la voix ;
Et sous le pin touffu qui vit naître mon père
Je chanterai mes refrains d'autrefois.
Aux premiers rayons de l'aurore
Qui brilleront à l'orient,
Je poursuivrai de l'œil encor
L'astre des nuits dans l'occident.
L'airain sonore au clocher du village,
En répondant à l'hymne du matin,
Réveillera par son divin langage
Ces sentiments qui charmaient tant mon sein.
Et sous l'ormeau, voisin du toit champêtre,
Aux pas légers qu'accorderont mes chants,
Je mêlerai les récits que fait naître
Le Dieu jaloux du bonheur des amants.
De la rive où le flot expire
J'écouterai le vieux pêcheur ;
Sa voix que le silence inspire
A des airs qui charment le cœur.
Mes doigts harmonieux animeront ma lyre,
Dont la corde souvent chantera nos exploits.
Et quand l'âge viendra refroidir mon délire,
Assis à l'ombre d'un bois,
Mes chants plus doux plairont au folâtre Zéphire.
François-Xavier Garneau (Londres, 1832)
Tiré de : Le Répertoire national, tome 1, deuxième édition, Montréal, J. M. Valois & Cie, libraires-éditeurs, 1893, p. 239-243. Pour lire et télécharger le poème complet dont des extraits sont présentés ci-haut, cliquer sur cette image :
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Le poème Le voyageur, ci-haut, de François-Xavier Garneau, est tiré du tome premier du Répertoire national, deuxième édition de 1893. (Cliquer sur l'image pour l'agrandir) |
Les poésies de François-Xavier Garneau ont été réunies dans ce volume que l'on peut encore commander dans toute bonne librairie. Informations ICI. (Cliquer sur l'image pour l'agrandir) |
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